La France a mis sur les rails mercredi une taxe nationale visant les géants du numérique faute d’avoir rallié l’ensemble de ses partenaires européens au projet, sans abandonner toutefois l’espoir d’arriver à une solution au niveau international, considérée par Paris comme seule efficace.
Le ministre de l’Economie et des Finances, Bruno Le Maire, a présenté en conseil des ministres un projet de loi instaurant une taxe de 3% sur le chiffre d’affaires numérique réalisé en France par les Google, Apple et autres Facebook (les « Gafa »). La taxe, rétroactive au 1er janvier de cette année, concerne une trentaine de sociétés.
Cet impôt national concernera les entreprises réalisant un chiffre d’affaires numérique de 750 millions d’euros au niveau mondial et de plus de 25 millions d’euros en France.
La France avait imaginé à l’origine une taxe européenne mais elle n’est pas parvenue à convaincre quatre pays – Danemark, Finlande, Irlande et Suède. Or, l’unanimité est de rigueur au sein de l’Union européenne pour décider d’une nouvelle taxe.
Pour Bruno Le Maire, qui dénonce régulièrement le fait que les géants du numérique paient 14 points d’impôts de moins que les PME européennes – 23,2% en taux moyen au lieu de 9,5% -, il s’agit d’une « question de justice fiscale » – un thème d’actualité avec la crise des « Gilets jaunes ».
« Ces géants du numérique utilisent nos données personnelles (…) font des bénéfices considérables sur ces données (…) et les rapatrient ensuite ailleurs sans payer leur juste part d’impôt (…) », a-t-il déclaré lors d’une conférence de presse.
« QUESTION D’EFFICACITÉ »
C’est aussi une « question d’efficacité des finances publiques », a-t-il dit. Les sommes levées permettront de continuer à financer écoles, crèches et autres services public, a ajouté le ministre. « Il faut taxer la valeur où elle se crée. Toujours plus de marge et toujours moins de taxe, c’est tout simplement impossible. »
La taxe sur le numérique devrait rapporter 400 millions d’euros en 2019, 450 millions en 2020, 550 millions en 2021 et 650 millions d’euros en 2022, a précisé le ministre.
Dans le viseur de cette TSN : la publicité ciblée en ligne, la vente de données à des fins publicitaires (pour éviter le contournement de la première activité) et la mise en relation des internautes par une plafe-forme.
Pour ne pas pénaliser les entreprises qui paient déjà leurs impôts en France sans recourir à l’optimisation fiscale, c’est-à-dire sans domicilier leurs bénéfices dans des filiales installées dans des Etats à très faible fiscalité, le montant de cette taxe sera déductible de l’assiette de l’impôt sur les sociétés (IS).
Le projet de loi adopté mercredi en conseil des ministres devrait « passer en première lecture » au Parlement « au début du mois d’avril », a précisé Bruno Le Maire.
« VERROUS LEVÉS »
La France ne renonce pas pour autant à parvenir à terme à une taxation internationale des entreprises du numérique, « car j’ai bien conscience que redéfinir les règles fiscales ne peut se faire qu’à échelle internationale », a dit Bruno Le Maire. La France renoncerait alors à sa propre TSN.
A défaut de parvenir à convaincre les quatre derniers pays européens récalcitrants sur la TSN au niveau européen, le ministre français espère convaincre ses homologues européens qui se réunissent le 11 mars à Bruxelles d’adopter une position européenne commune à présenter au printemps à l’Organisation de coopération et de développement économiques, ce qui permettrait selon lui d’aboutir à une position commune de l’OCDE fin 2019.
Fin janvier, 127 Etats et territoires sont convenus de revoir les règles de taxation pour répondre au développement des géants du numérique – mais aussi plus largement des entreprises multinationales – notamment la question de l’endroit où doivent être déclarés les sommes imposables.
La France peut désormais se prévaloir du soutien des Etats-Unis dans sa croisade pour la justice fiscale. Le secrétaire américain au Trésor Steven Mnuchin, en visite en France la semaine dernière, a fait part de son soutien à une taxe digitale à l’échelle internationale, ainsi qu’à l’idée d’un impôt minimal sur les sociétés en général.
« Beaucoup de verrous sont désormais levés », a commenté Bruno Le Maire. « C’est un pas en avant vers cette fiscalité du 21e siècle devenue désormais impérativement nécessaire. »
(Myriam Rivet avec Simon Carraud et Danielle Rouquié, édité par Yves Clarisse)
https://www.sciencesetavenir.fr/high-tech/la-france-donne-le-coup-d-envoi-de-sa-taxe-numerique_131966

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