Comment et par qui l’accord entre le Liban et Israël sera-t-il signé ?

Accord maritime cherche signataire en urgence. Jeudi, tous les yeux seront rivés sur la ville frontalière de Naqoura, pour la signature d’un accord « vraiment formidable (et) historique entre deux pays ennemis », comme l’a décrit dimanche l’émissaire américain Amos Hochstein chargé de la médiation entre le Liban et Israël. Signe de l’importance de l’événement pour l’État hébreu – notamment pour son Premier ministre qui veut vendre l’accord comme une victoire en amont des législatives –, les autorités de ce pays pourraient envoyer le directeur général du ministère de l’Énergie pour signer le document. Mais côté libanais, la délégation censée se rendre au Sud demain n’a toujours pas été formée. Et pour cause : alors que le président Michel Aoun souhaitait « célébrer » ce qu’il considère être un exploit pour son mandat, le Hezbollah préfère que les autorités fassent profil bas.

Deux salles séparées.

Selon les informations obtenues par notre journal, Amos Hochstein doit se rendre jeudi matin au palais de Baabda pour faire signer au président Aoun la première annexe de l’accord final. Ce texte sera également signé par le médiateur américain. En parallèle, une procédure similaire aura lieu côté israélien. Plus tard dans la journée, la seconde annexe sera signée des deux côtés au siège des Forces intérimaires des Nations unies au Liban (Finul) à Naqoura. Les délégations représentant chacun des deux pays seront installées dans des salles séparées et signeront chacune de son côté l’annexe, avant de la remettre à l’émissaire américain, qui se chargera de la transférer à l’ONU. Un protocole compliqué pour s’assurer que la signature du document négocié pendant plusieurs années ne soit pas vue comme pavant la voie à une paix entre les deux voisins. « Le fait que le Liban et Israël ne signeront pas un document commun montre clairement que cet accord n’est pas une forme de normalisation », estime Fayçal Abdel Sater, un observateur proche du Hezbollah.

 

C’est dans cette même optique que la délégation libanaise censée signer cette seconde annexe n’a pas encore été formée, alors que le jour J approche à grands pas. Le parti de Dieu préfère que le texte soit signé par un militaire, alors que le président Aoun préfère envoyer une figure civile du ministère de l’Énergie et de l’Eau, un portefeuille détenu par son camp depuis une quinzaine d’années. Pour rapprocher les deux points de vue, le Liban pourrait opter pour l’envoi d’une figure « technocrate » du ministère de l’Énergie, même si plusieurs cadres ont pour le moment refusé l’offre. Selon une source proche du dossier, une autre option serait de dépêcher à Naqoura un général de l’armée ainsi qu’un expert. Côté militaire, il s’agirait de Afif Ghaith, qui dirige les services d’hydrographie au sein de l’armée. Côté civil, il pourrait s’agir de Wissam Chbat, président du conseil d’administration de l’Autorité de l’énergie, ou de Nagib Massihi, un expert en droit international, proche du président. Contacté, le palais de Baabda, chargé de former la délégation, n’a pas répondu à notre demande de commentaires.

 

 

Sauf que la présence d’un général de l’armée à Naqoura pour signer le document pourrait mettre l’institution militaire dans l’embarras, comme ce fut le cas en 1969 lors de la signature de l’accord du Caire entre le Liban et l’Organisation de libération de la Palestine (OLP). À l’époque, le chef de l’armée, Émile Boustani, avait représenté Beyrouth et signé l’accord. Or, et malgré le fait que le texte avait été signé avec la bénédiction de la sphère politique, le général Boustani a été fortement critiqué quelques années plus tard par l’élite au pouvoir, quand la guerre éclatait entre l’OLP et des milices chrétiennes.

Aujourd’hui, le patron de l’armée Joseph Aoun est perçu comme un candidat sérieux à la présidence de la République. Il pourrait donc préférer ne pas mêler l’institution militaire dans cette affaire qui risque de lui compliquer la tâche. Joseph Aoun avait à plusieurs reprises souligné que le rôle de l’armée dans cette affaire était terminé depuis décembre 2020, quand les négociations avaient été interrompues sur fond de désaccords entre les deux pays. L’armée libanaise s’accrochait alors à la superficie supplémentaire de 1 430 km2, en plus de la zone disputée, donc la ligne 29 qu’elle estime revenir de droit au Liban. C’est partant de cet impératif qu’avait été rédigé l’amendement au décret présidentiel 6433 visant à corriger la carte transmise par le Liban à l’ONU en 2011. Sauf que ce décret avait été remis dans le tiroir par le président Aoun.

 

 

Au-delà de la composition de la délégation, le Hezbollah veut aussi s’assurer que la signature se fasse loin des projecteurs et sans fanfare. Jusqu’ici, la presse n’a pas été conviée à Naqoura. La formation chiite souhaite donc s’assurer que l’événement ne sera pas comparable avec les accords d’Abraham de normalisation entre Israël et plusieurs pays arabes, qui ont été célébrés en 2020 en grande pompe. Selon nos informations, le président Aoun, conscient du fait que cet accord est le principal exploit de son mandat puisqu’il ouvre la voie à l’exploitation des hydrocarbures dans la zone économique exclusive d’un Liban en crise, aurait préféré célébrer l’événement. Selon une source proche de Aïn el-Tiné, M. Aoun envisageait d’inviter le président du Parlement Nabih Berry et le Premier ministre sortant Nagib Mikati à une cérémonie, jeudi à Baabda. Finalement, M. Berry a coupé l’herbe sous le pied au chef de l’État, d’un côté parce qu’il ne souhaite pas que son plus grand rival puisse utiliser cet accord à son avantage, surtout que le chef du Législatif est le parrain de l’accord-cadre qui a mis le dossier sur les rails. Mais aussi pour aller dans le sens de son allié chiite qui préfère que le Liban maintienne profil bas. A contrario, l’accord sera beaucoup plus médiatisé du côté sud de la frontière. « Jeudi, nous allons signer l’accord historique avec le Liban. Israël deviendra dans un futur proche un important fournisseur de gaz à l’Europe », a déclaré Yaïr Lapid lundi. Selon des médias israéliens, un événement médiatique important est d’ailleurs prévu en Israël pour célébrer la signature de l’accord.

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