Alors que de nombreuses manifestations hostiles à la guerre en Ukraine sont organisées ces derniers jours en Russie, la pression de la part de la société civile ainsi que des oligarques russes se fait de plus en plus remarquée.

Guerre en Ukraine, jour 5. Alors que des premiers pourparlers ont lieu entre des délégations russes et ukrainiennes ce lundi à la frontière biélorusse, sur le terrain, l’offensive de l’armée de Vladimir Poutine se poursuit, mais se heurte à la résistance de l’armée locale ainsi que de celle des citoyens ukrainiens qui s’organise chaque jour un peu plus. Dimanche, alors que le conflit avait déjà fait plus de 100 morts et 500.000 déplacés côté ukrainien, Vladimir Poutine a décidé de monter d’un cran dans l’escalade de la terreur, en brandissant la menace de la dissuasion nucléaire.

Au sein de la société russe, l’idée même de cette guerre ukrainienne semble diviser de plus en plus. Ces derniers jours, des dizaines de rassemblements, officiellement prohibés en raison de la menace sanitaire, ont été recensés dans les principales villes russes dont Saint-Pétersbourg ou Moscou, où les opposants au conflit se sont retrouvés place Pouchkine. Au total, plus de 6000 opposants ont été interpellés par les forces de l’ordre.

« On est au début de quelque chose »

Le début d’une vague d’opposition majeure contre Vladimir Poutine et son gouvernement? S’il est encore tôt pour le dire, il semble bel et bien que « l’on est au début de quelque chose qui peut faire boule de neige, mais c’est une partie infime de la population », souligne auprès de BFMTV.com Lukas Aubin, chercheur associé à l’Iris (Institut de relations internationales et stratégiques), spécialiste de la géopolitique russe et auteur de l’ouvrage La sportokratura sous Vladimir Poutine: Une géopolitique du sport.

« Cela laisse penser qu’il y a une prise de conscience, qu’il n’y a pas de causes à cette guerre qui n’est pas comprise par la population. Les termes comme ‘dénazification » et ‘démilitarisation’ ne sont pas raisonnés », explique-t-il.

Sur place, les petits noyaux de contestation s’agrandissent de jour en jour, en témoignent les arrestations. Dans les faits, les Russes ne s’attendaient pas à une attaque massive contre son voisin ukrainien, mais à des opérations ciblées sur l’Est du pays pour venir en aide aux populations russophones.

L’opposition bâillonnée.

Cependant, de par la composition même de la société russe et de sa caste politique, il est ardu pour les opposants de s’organiser, tant l’opposition est atomisée. Les opposants au Kremlin ou ceux contre la ligne du parti de Vladimir Poutine, Russie Unie, sont réduits au silence. Cela fut le cas pour Alexaï Navalny, emprisonné depuis maintenant plusieurs mois. A cela, il faut ajouter une censure forte de la part du pouvoir en place, en particulier dans les médias.

« L’espace informationnel russe est de plus en plus en vase clos. Ce ne sont pas les mêmes informations qu’en Europe, c’est beaucoup plus opaque et le conflit se concentre sur l’Est de l’Ukraine, ils n’ont pas les mêmes images », confirme Lukas Aubin.

Parmi les principaux médias russes, seul le principal journal d’opposition, Novaïa Gazeta, a pleinement pris position contre l’offensive de Poutine par une Une bilingue. « LA RUSSIE. BOMBARDE. L’UKRAINE », peut-on lire sur sa Une dont l’illustration est un simple fond noir. En outre, une pétition contre la guerre sur le site change.org a récolté plus de 750000 signatures en deux jours.

La révolte par le sport?

Comme l’explique encore Lukas Aubin, plusieurs signes apparus depuis le début de l’invasion russe en Ukraine montrent une certaine évolution dans la contestation russe. « Il y a des dizaines de sportifs russes qui prennent position, pas contre Poutine mais contre la Guerre », explique-t-il.

« C’est assez nouveau car normalement les sportifs ne s’expriment pas car il existe le risque de se faire suspendre de leur club ou par leur fédération. Cette prise de parole laisse penser que cela touchera plus de monde. »

Dans tous les cas, le sport devrait bel et bien tenir un rôle extrêmement important dans la contestation contre Vladimir Poutine. Ce week-end, en marge d’un match de football opposant le Dinamo Moscou au FK Khimki, plusieurs « ultras » du club moscovite ont rendu hommage à l’entraîneur adjoint de leur club, Andriy Voronin, un Ukrainien retourné dans son pays et mobilisable sur le front.

Un fait extrêmement nouveau et loin d’être anodin, selon Lukas Aubin. « De manière générale, Poutine essaie de garder le contrôle sur les tribunes, c’est un des cadres de sa politique du sport. Il veut faire de cet espace de contestation un espace de patriotisme russe. C’est un espace contrôlé, mais il existe des débordements », décrit-il.

La menace oligarchique

En Russie, la contestation pourrait également se faire via l’oligarchie, extrêmement puissante dans le pays. A date, en raison des nombreuses sanctions économiques mises en place à l’international, la revue spécialisée Forbes indique que le les 116 milliardaires russes ont déjà perdu près de 100 milliards de dollars depuis le 16 février dernier. De quoi instaurer un climat de défiance vis-à-vis du régime?

« C’est complètement possible », pronostique Lukas Aubin. « A nouveau c’est encore tôt, mais des éléments le laissent penser, certaines voix apparaissent dans les castes politiques et oligarchiques. Il y a des rumeurs et des bruits de couloirs. »

Selon lui, l’exemple du milliardaire Roman Abramovich est parfaitement parlant. « Il assiste aux pourparlers en Biélorussie, il a beaucoup de liens avec la communauté juive en Ukraine, il veut mettre fin à cette guerre car c’est une tragédie mais aussi car elle menace ses intérêts financiers », ajoute le spécialiste.

Ce lundi, d’autres milliardaires ont également fait entendre leurs voix. C’est le cas d’Oleg Deripaska, qui a réclamé la fin du « capitalisme d’Etat » en Russie face à la crise provoquée par les sanctions occidentales.

« C’est une vraie crise là, et il faut de vrais managers de crise (…) il faut absolument changer de politique économique et mettre fin à tout ce capitalisme d’Etat », a écrit sur Telegram le milliardaire et fondateur du géant de l’aluminium Rusal.

Contrairement à 2014 lors de premières sanctions adoptées à la suite de l’annexion de la péninsule ukrainienne de Crimée par Moscou, « il ne sera pas possible de simplement attendre », a poursuivi l’homme d’affaires, qui fait partie des 50 personnes les plus riches de Russie.

Un autre milliardaire russe, Oleg Tinkov, fondateur de la banque Tinkoff, a également critiqué l’invasion de l’Ukraine dans un message publié lundi.

« Aujourd’hui, en Ukraine, des innocents meurent chaque jour, c’est impensable et inacceptable! », a-t-il affirmé sur Instagram, appelant à « dépenser de l’argent pour soigner les gens, pour la recherche afin de vaincre le cancer, et non pour la guerre ».

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