Sur le site de Marianne, Emmanuel Lincot, sinologue et chercheur-associé à l’Institut des Relations internationales et stratégiques (IRIS) expose les enjeux de l’appel d’offres lancé par le Liban pour la reconstruction pays du port de Beyrouth qui a attiré la convoitise de consortiums internationaux décidés à mettre le grappin sur ce marché. En tête de file on retrouve l’Allemagne, la France, la Turquie mais surtout la Chine qui ambitionne de devenir une puissance incontournable dans la région afin d’endiguer la mainmise occidentale et cette demande met en lumière l’opposition entre l’arc chiite composé par Téhéran, Moscou et désormais Pékin, qui s’oppose à l’axe sunnite incarné par l’Arabie-saoudite et soutenu par les États Unis et l’Europe.

Dans cette partie, le Hezbollah, parti pro iranien en lien avec Pékin, œuvre à l’abri des regards pour éjecter la France, ancienne puissance mandataire du Liban (1920-1946).

Or, cette région est, comme l’ensemble du pourtour méditerranéen, vitale pour la sécurité française et si les Chinois s’en emparent, notre sécurité d’abord économique puis militaire risque de ne plus être respectée. La stratégie des Nouvelles Routes de la soie initiée par Pékin vise à neutraliser les points névralgiques et de passage pour ses seuls intérêts. Le contrôle de Beyrouth lui permettrait d’établir un continuum entre Le Pirée, en Grèce, et l’Égypte notamment qui tend à devenir avec l’Iran les deux pays privilégiés, en termes d’investissements, par la diplomatie chinoise du moment. Beyrouth est par ailleurs la principale porte d’entrée au Proche-Orient. Une majeure partie des importations pour l’ensemble de la région transite par ce port et la Chine y est déjà très présente puisque 40 % des importations pour le seul Liban proviennent précisément de l’Empire du milieu.

La Chine a adopté une logique de comptoirs comme celle qu’adoptèrent les Britanniques. Un port est la manifestation d’une présence et outre sa vocation commerciale, il peut à tout moment être utilisé à des fins militaires. Voyez Djibouti. Demain peut-être Gwadar au Pakistan ou encore les ports de l’Asie du Sud-Est comme ceux du Cambodge ou en Birmanie. Ce que l’on observe en Méditerranée est observable dans le Golfe du Bengale et dans l’Océan Indien. C’est une stratégie de revers qui s’applique d’une manière universelle. L’Indopacifique, contre-projet aux Nouvelles Routes de la soie, devrait couvrir un plus large spectre et il commence évidemment par la Méditerranée.

Evidemment, la situation est plus complexe et dépasse cette configuration géopolitique bipolaire, avec d’un côté un monde « abrahamique » associé aux États-Unis, et de l’autre un agrégat d’États musulmans non-Arabes jouant la carte chinoise et celle de son partenaire russe. S’il existe un apparentement entre la Chine, l’Iran et le Hezbollah, Ryad et Israël entretiennent aussi des relations de très grande proximité avec Pékin. Les logiques binaires ne sont plus aussi marquées comme elles le furent jadis et il y a des découplages à la fois stratégiques et économiques. La France va être forcée à devenir plus intelligente.

Source : Marianne (Cf article complet)

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