LIBRE ANALYSE. Les Marocains restent tiraillés deux ans et demi après les accords d’Abraham.

Par (Casablanca, Maroc, correspondance)

Le Maroc est classé au second rang des pays d’Afrique du Nord et du Moyen-Orient les plus favorables à la normalisation (après le Soudan) par l’Arab Barometer, qui explique cette relative adhésion par les « avantages stratégiques » que les Marocains peuvent percevoir de ce rapprochement. A commencer par la reconnaissance de la souveraineté marocaine sur le Sahara occidental – autre cause largement fédératrice – que Rabat a obtenue de Washington dans le sillage des accords d’Abraham.

« Une bonne partie des Marocains se rallient discrètement à la position officielle du régime qui fait de la normalisation un choix pragmatique servant les intérêts du pays : intégrité territoriale, mais aussi intérêts sécuritaires, dans un contexte régional tendu avec l’Algérie, et intérêts économiques, souligne Aziz Chahir, enseignant-chercheur en sciences politiques à Rabat. Cette frange de l’opinion n’est pas contre le rapprochement si cela peut avoir des impacts socio-économiques favorables. »

« Liens forts ».

L’acceptation de la normalisation se nourrit également d’une histoire commune entre les deux pays qui n’a pas d’équivalent avec les autres Etats arabes. « En Israël, il y a près de 800 000 juifs originaires du Maroc qui ont gardé des liens forts avec la terre de leurs ancêtres et la culture marocaine y est très présente, souligne le journaliste Jamal Amiar. Dans le royaume chérifien, la présence du judaïsme, qui remonte à plus de deux mille ans, imprègne la culture marocaine. »

Cet héritage a été entériné par la Constitution de 2011, qui reconnaît « l’affluent hébraïque » de l’identité marocaine. Il est aujourd’hui très présent dans les discours officiels pour montrer que la normalisation s’inscrit dans une continuité historique. Mais non sans risque sur l’opinion, avertit Saadia Elouallous, militante propalestinienne : « Pourquoi rattacher à notre composante juive, qui est indéniable, la normalisation, sinon pour créer la confusion entre judaïsme et sionisme, donc entre antisémitisme et antisionisme ? C’est précisément sur ce terrain qu’on veut nous emmener, pour faire de nous de vulgaires antisémites. »

Il n’en reste pas moins que, dans l’imaginaire collectif, « les rois alaouites ont toujours été des amis privilégiés des juifs et d’Israël », analyse Aziz Chahir. L’idée selon laquelle le roi Mohammed V a été un « protecteur » des juifs marocains sous le régime de Vichy y est ancrée. En 1986, la rencontre entre Hassan II et le premier ministre israélien Shimon Pérès a marqué les esprits, comme les liens que le souverain entretenait avec la communauté juive marocaine, jusqu’à nommer un conseiller politique, André Azoulay.

« Hassan II n’a jamais cessé de jouer sur les deux registres, ne coupant pas les ponts avec Israël tout en défendant la cause palestinienne, rapporte l’universitaire. Sa politique de rapprochement à petits pas, comme autant de ballons d’essai lancés pour jauger l’opinion, a préparé celle-ci à une future normalisation. » Mais sans que cette ligne rouge, à connotation de trahison, ne soit franchie.

« Pavillon sioniste ».

En 2020, les accords d’Abraham ont mis fin à six décennies de relations non avouées, au cours desquelles les rencontres et les coopérations, notamment militaire et commerciale, s’opéraient en catimini. Affichés au grand jour, et plus forts que jamais, les liens entre le Maroc et Israël mobilisent aujourd’hui un parterre de militants et sympathisants propalestiniens opposés à la normalisation.

Même si « leur capacité de mobilisation est bridée à cause de l’affaiblissement des partis politiques d’opposition et des syndicats, la propagande des médias officiels, le recul des libertés publiques », souligne Abdelmoughit Benmessaoud Tredano, directeur de la Revue marocaine des sciences politiques et sociales, auteur de plusieurs publications sur la Palestine. « Il est loin, remémore-t-il, le temps des manifestations millionnaires de soutien à la cause que le Maroc a connues dans les années 1980 et 1990, jusqu’au début des années 2000. »

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