C’est peut-être la reconversion professionnelle la plus atypique du moment. Après 28 ans au Mossad, l’une des trois agences de renseignement israéliennes, l’ancien espion Avner Avraham a lancé Spy Legends, une agence chargée, entre autres, de la formation des équipes de cinéma et de télévision dans la mise en scène d’affaires d’espionnage. Il raconte.

« Je suis un agent infiltré, je ne peux pas montrer mon visage ! », s’exclame Avner Avraham, hilare, derrière une fenêtre Zoom. L’ancien espion finit par activer sa caméra et reprend un peu de sérieux dans un français quasi irréprochable. « Bonjour, comment allez-vous ? »

De ses 28 ans dans les services secrets israéliens, cet officier à la retraite semble avoir conservé sa maîtrise des langues, ainsi qu’un certain penchant pour le combo café au lait – croissant parisien. Mais c’est peut-être l’art du réseautage que le cinquantenaire sympathique – expert des opérations du Mossad, conférencier, producteur, curateur et même commissaire d’exposition – maîtrise encore le mieux. On lui donnerait d’ailleurs le bon Dieu sans confession.

La passion de l’espionnage

C’est en 2020, pendant le premier confinement à Tel-Aviv, qu’il monte Spy Legends, une agence de talents et de conférenciers spécialisée dans la vulgarisation et la formation aux affaires d’espionnage et opérations spéciales. Il est alors retraité depuis six ans, mais n’en est pas à son coup d’essai : il a déjà monté un musée de l’espionnage dans la ville israélienne.

« Je suis un collectionneur de longue date et j’ai développé l’habitude de compiler des objets originaux de mes opérations au Mossad ; des armes, des photos, des appareils, des gadgets… tout ! », explique le passionné aux côtés de son fils et associé, Nof Avraham. Très vite, il devient curateur à l’international, tient des expositions et des conférences où il partage son passé d’espion. « Pendant la pandémie, je me suis retrouvé désœuvré à la maison. Beaucoup de gens ne pouvaient plus exercer leur métier, alors j’ai eu l’idée de réunir un certain nombre de mes contacts et de monter cette agence. »

Des contacts, Avner Avraham en a un paquet, à commencer bien sûr par d’anciens agents de renseignement, comme lui. « Certains étaient réticents au départ, mais j’ai peu à peu réussi à recruter à l’agence des agents du Mossad et du Shin Bet (le service de sécurité intérieure israélien). » Spy Legends, aujourd’hui forte d’environ 200 intervenants, compte aussi d’anciens officiers de services de renseignement étrangers comme la CIA, le FBI et les services secrets français. 

« On a à l’agence des gens qui parlent plus de 10 langues – Chinois, Arabe, Japonais, Italien… – mais aussi des militaires, des survivants de l’Holocauste, des journalistes, des experts en cybersécurité, des magiciens, des personnalités du cinéma et du théâtre… et maintenant vous à Paris, poursuit Avner non sans malice, et d’ajouter : vous connaissez Le Bureau des légendes ? Le producteur Alex Berger est également des nôtres ! »

Du Mossad à Hollywood

L’idée ? Rassembler des personnalités d’horizons différents, « toutes liées de près ou de loin au monde de l’espionnage », pour produire des contenus inédits, des événements, et plus récemment, former les équipes de cinéma et de TV aux rudiments du renseignement et de la surveillance.

« Vous pouvez rencontrer un agent du Mossad, un acteur, puis un expert en stratégie géopolitique ou un mentaliste », explique Nof Avraham, aujourd’hui CEO de l’agence de son père. Saugrenu ? Pas tant que ça. « Le mentaliste va parfois utiliser des techniques proches de celles d’un espion, comme manipuler ou contrôler pour gagner la confiance de son interlocuteur, argumente Nof. D’ailleurs, certains de nos mentalistes conseillent en parallèle des agences de renseignement pour tout ce qui a trait à l’intelligence humaine. C’est assez fascinant, les disciplines se nourrissent les unes les autres. »

Mais c’est peut-être au cinéma et en télévision que l’agence fait le plus parler d’elle. « On reçoit beaucoup de scripts à relire, puis on intervient en amont et pendant les tournages, poursuit Nof. Admettons que j’aie une série TV ou un film et que je veuille parler du Mossad, de l’armée ou des services secrets en général : j’aurai besoin d’insiders, de professionnels qui ont vécu des choses de l’intérieur. Notre travail, c’est d’injecter de l’authenticité et de la crédibilité dans ces projets audiovisuels, d’éviter les incohérences. »

C’est d’ailleurs lors de la production d’Opération Finale, du réalisateur américain Chris Weitz, que son père se fera connaître à Hollywood. Le film, diffusé depuis 2018 sur Netflix, raconte la capture du nazi Adolf Eichmann (Ben Kingsley) par le Mossad en Argentine, quinze ans après la fin de la Seconde Guerre mondiale. « J’étais présent au stade des recherches, je confirmais ou infirmais certaines localisations de l’opération. Puis, je suis venu deux mois sur le plateau en Argentine, notamment parce que j’étais la seule personne à savoir lire l’hébreu », se souvient Avner Avraham, qui admet pouvoir parler du film pendant des heures. Il faut dire que les anecdotes ne manquent pas.

Au début des années 60, lorsque le Mossad envoie ses agents à Buenos Aires, différents passeports, dates et compagnies aériennes sont utilisés pour assurer la discrétion des agents lors de l’opération. « Au départ, le réalisateur voulait tourner la scène avec tous les agents arrivant à l’aéroport au même moment et avec la même compagnie aérienne. J’ai dit à Chris Weitz que ça n’avait pas de sens : “ils arrivent tous ensemble avec Air France ?!” » Ni une ni deux, son flair de collectionneur le pousse à farfouiller sur eBay. Il y trouve des étiquettes vintage de différentes compagnies à imprimer et coller sur les valises et passeports des acteurs. « Je me souviens aussi d’une scène où des phrases en hébreu étaient écrites dans le mauvais sens (l’hébreu se lit de droite à gauche, ndlr). Voilà le genre de petites choses que je mets en lumière et qui peuvent éviter les non-sens…. », poursuit modestement Avner.

Souvent, ce sont les petites choses qui cachent les grands traumatismes. Dans une courte scène du film, un homme d’un certain âge apporte de quoi boire aux espions. Son avant-bras porte un matricule. « Certains des survivants de la Shoah ont un chiffre tatoué sur le bras, explique Avner. Je me souviens que les équipes du film voulaient mettre un numéro au hasard, or il y a une signification à ces chiffres. Certains étaient longs, d’autres avaient des lettres au début… rien de tout ça n’est aléatoire.

Avner Avraham et l’acteur Ben Kingsley sur le tournage d’Opération finale. Photo : Spy Legends

La manie du secret

Aujourd’hui considéré comme un expert de la mission qui a capturé « l’homme de la Solution finale », Avner Avraham affirme recevoir presque chaque semaine de nouveaux éclairages sur l’affaire : des photos, des cartes et même des noms. « C’était une énorme opération. Beaucoup de gens y ont participé sans même le savoir », poursuit l’ancien officier, comme ces petites mains anonymes qui faisaient transiter, par New York, des lettres échangées entre l’Argentine et Israël. « Une façon de brouiller les connexions entre chaque intermédiaire. »

Comme le naturel revient au galop, les habitudes discrètes d’Avner le suivent jusque dans sa nouvelle entreprise. Il ne peut pas dévoiler les productions sur lesquelles il travaille en ce moment, mais estime qu’une douzaine de films aux États-Unis et en Europe sont actuellement en cours de réalisation ou de négociation. Il a d’ailleurs tenu à faire signer des accords de confidentialité à ses employés, note le quotidien Israel Hayom. « C’est un monde très secret et puis… on n’est jamais à l’abri d’un vol de script », conclut-il.

www.ladn.eu

 

 

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