Pourquoi la commémoration de l’assassinat de Yitshak Rabin ne parvient pas à rassembler
La classe politique israélienne n’a jamais vraiment pris le temps de faire son examen de conscience.
26 ans ont passé depuis cette tragique nuit au cours de laquelle le Premier ministre israélien Itzhak Rabin a été assassiné par un extrémiste juif.
26 ans au cours desquels l’Etat d’Israël s’est battu, développé et consolidé. Mais 26 ans au cours desquels, sur un point spécifique, rien n’a vraiment changé : l’incapacité des Israéliens à s’unir et trouver un dénominateur commun pour commémorer le souvenir de celui qui bien avant d’enclencher le processus d’Oslo, avait été le chef d’état-major mythique de la guerre des Six Jours.
Les discours prononcés ce lundi sur le mont Herzl où Rabin repose, puis à la Knesset, l’ont encore confirmé, avec plus d’acuité que jamais. En effet, si jusqu’à l’année dernière, les clivages divisaient la droite au pouvoir face à la gauche dans l’opposition, cette année, les allocutions ont prouvé qu’au sein même de l’actuel gouvernement, les « deux Premiers ministres » Bennett et Lapid avaient une perception presque diamétralement opposée des leçons à tirer de l’assassinat de Rabin.
Naftali Bennett a appelé à l’unité nationale, soulignant que « ce n’était ni la droite ni les sionistes religieux qui avaient tué Rabin, mais Ygal Amir ». De son côté, Yaïr Lapid a fustigé ceux qu’il a qualifiés « d’adversaires de la démocratie », pointant un doigt accusateur en direction des « descendants idéologiques d’Ygal Amir » qui siègent à la Knesset, et auraient pu, selon lui, siéger au pouvoir si « le gouvernement du changement n’avait pas été formé ».
Comment expliquer qu’en dépit de toutes les mises en garde, la classe politique israélienne n’ait pas su tirer les leçons de cet assassinat ? Avec le recul du temps, on peut avancer plusieurs réponses.
Un examen de conscience manqué
La première est historique : elle réside dans le fait que la classe politique israélienne n’a jamais vraiment pris le temps de faire son examen de conscience. La difficile réalité, au lendemain de l’assassinat, ne lui en a pas donné l’occasion.
Tandis qu’une partie de la gauche alors au pouvoir s’est lancée dans une chasse aux sorcières contre ceux qui à droite auraient cautionné cet assassinat, les attentats-suicides du Hamas se sont multipliés, augmentant le nombre de ceux que Shimon Peres avait l’outrecuidance de qualifier de « victimes de la paix ». Puis il y a eu l’opération « Raisins de la colère » au Liban en avril 1996, qui s’est soldée par un terrible ratage, avec la mort d’une centaine de civils libanais a Kfar Kana en raison du tir manqué d’un missile israélien. Un mois plus tard, le secteur arabe israélien boycottait Shimon Peres, et c’est Benyamin Netanyahou qui devenait le premier chef de gouvernement de l’Etat hébreu à être élu au suffrage universel direct.
La seconde explication est de nature plus politico-idéologique. L’assassinat de Rabin était politique : le meurtrier n’a en effet jamais caché qu’il espérait que son acte torpillerait le processus de paix. Ce crime a été commis dans un climat de profonde division interne entre gauche et droite. Un mois avant d’être tué, Rabin avait péniblement réussi à faire voter les accords d’Oslo II, à l’aide de transfuges politiques soudoyés, alors que les partisans d’une paix avec les Palestiniens avaient été ébranlés par les premiers attentats-suicides du Hamas. Oslo ne portait déjà plus le formidable élan d’espoir et de réconciliation de ses débuts. De facto, jamais le geste de l’assassin, aussi horrible soit-il, n’a réussi à estomper le débat politique et idéologique.
Netanyahou, catalyseur de la haine
La troisième raison est plus « politico-psychologique ». L’élection de Netanyahou, six mois après l’assassinat de Rabin, a été considérée par la gauche israélienne comme un second méga traumatisme : à ses yeux, c’est presque comme si Rabin avait été assassiné une seconde fois. Pour les partisans d’Oslo, Netanyahou était perçu, dans le meilleur des cas, comme le catalyseur de la campagne d’incitation qui avait abouti à l’assassinat du Premier ministre et, dans le pire, comme le complice direct de l’assassin, Ygal Amir.
Si l’on veut comprendre la haine nourrie jusqu’à ce jour par une partie de la gauche et du centre envers l’ancien Premier ministre, c’est à cette source qu’il faut la puiser. Les anti-Bibi ont en quelque sorte entamé leur « croisade » de vengeance il y a 26 ans sur la place Rabin à Tel-Aviv, pour la terminer avec le succès que l’on sait, il y a quelques mois, près de la rue Balfour à Jérusalem. Dans un tel contexte, impossible de parler de réconciliation nationale, d’introspection ou de dialogue. Dans la vision dichotomique de la gauche israélienne post-traumatisée, Rabin était le Bien, et Netanyahou le Mal… Tous les moyens légaux étaient donc bons pour débarrasser la classe politique de l’homme qui a brisé les rêves de paix de tant d’Israéliens.
La quatrième explication, enfin, est à la fois « familiale » et médiatique. La famille Rabin a payé le plus lourd tribut qui soit et sa douleur se doit d’être respectée. Cependant, il faut constater qu’elle n’a quasiment jamais officiellement participé à un véritable effort national de réconciliation. Au fil des ans, elle a ouvertement méprisé Benyamin Netanyahou. Le petit fils de Rabin, Yonathan ben Artzi, est même allé l’an dernier jusqu’à souhaiter que ce dernier contracte le Covid-19 ! On comprend mieux pourquoi l’ex-Premier ministre a choisi de ne pas se rendre, cette année, sur le mont Hertzl.
Quant à la presse et les médias, ils auraient pu être les vecteurs d’un tel effort de rapprochement. Mais ils ont préféré prendre ouvertement part au débat, en se focalisant notamment sur les marginaux d’extrême droite qui auraient cautionné l’assassinat, ou encore en véhiculant avec complaisance les condamnations de la famille Rabin et de la gauche israélienne.
Un festival anti-droite.
Voilà pourquoi la période séparant la commémoration de l’assassinat de Yitshak Rabin n’a jamais été sérieusement mise à profit pour enclencher un dialogue public, et pourquoi elle a toujours été marquée par les divisions et les accusations.
Tout électeur de la droite israélienne sait pertinemment qu’à l’approche de ces « journées sombres », il doit être prudent, et faire si possible le dos rond face à ce qu’il est convenu d’appeler communément, le « festival Rabin ». Le supporter nationaliste sait que durant cette période, les médias encenseront Rabin en prenant garde d’omettre par exemple que celui-ci avait toujours refusé la création d’un Etat palestinien. Il a vite compris que les soi-disant « rassemblements annuels du souvenir » sur la place Rabin n’étaient rien d’autre que des meetings politiques destinés, avant tout, à dénoncer les agissements de Benyamin Netanyahou, du Likoud et du sionisme religieux. C’est pourquoi même s’il avait voulu rendre hommage au leader que fut Rabin, il s’est toujours abstenu d’y participer.
Tout cela est regrettable. Cela prouve que 26 ans après, les leçons de l’assassinat de Rabin n’ont toujours pas été tirées. Quant à ceux qui pensaient que le départ de Netanyahou dans l’opposition atténuerait les critiques acerbes des anciens partenaires de Rabin, ils en sont pour leur compte. La rancœur a la vie dure.
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