Ursula von der Leyen: « J’en ai assez d’être le bouc émissaire ». La présidente de la Commission européenne prévoit que 70% des adultes seront vaccinés dans l’UE à la fin de l’été. Et elle promet de continuer à mettre la pression sur AstraZeneca pour qu’il respecte ses engagements.
« J’en ai assez d’être le bouc émissaire. » Même des phrases comme celle-là, la présidente de la Commission Ursula von der Leyen les prononce avec un grand sourire. Elle nous reçoit, un groupe de femmes journalistes, dans « son » bâtiment, le Berlaymont. Sa combativité est palpable, même après une année difficile marquée par la crise du coronavirus.
« Nous avons sous-estimé à quel point il est difficile de produire de nouveaux vaccins en grandes quantités. »
Parmi les écueils rencontrés, le bras de fer avec l’entreprise pharmaceutique AstraZeneca. L’interdiction qu’elle a eu d’exporter un lot de vaccins vers l’Australie ne sera pas un cas isolé, estime Ursula von der Leyen. Selon elle, tant que la société pharmaceutique ne fournira pas à l’Europe les vaccins promis, AstraZeneca pourra faire une croix sur ses exportations.
La présidente de la Commission sent déjà venir l’orage sur le front de la vaccination. « Si nous ne disposons pas d’ici l’été d’un passeport de vaccination digital européen, l’Europe sera à nouveau divisée », craint-elle. « Notre stratégie de vaccination fonctionne. Sans notre politique d’achat européenne, les petits États membres n’auraient tout simplement pas accès aux vaccins. Et nous avons bien résisté à la crise économique. Nous devons aussi dire ce qui se passe bien en Europe », ajoute-t-elle.
Pourtant, la lenteur de la vaccination européenne, par comparaison aux États-Unis, au Royaume-Uni et Israël, est très critiquée…
Je n’ai reçu qu’en juin le mandat pour un achat commun au nom de l’Europe. Nous avons conclu des contrats avec six entreprises et cinq ont effectivement fourni des vaccins efficaces. De plus, nous avons été particulièrement rapides: notre contrat avec AstraZeneca a été signé un jour avant le contrat britannique.
« Nous aurons atteint à la fin de l’été notre objectif de vacciner 70% de la population adulte. »
Jusqu’à présent, l’Europe a reçu 56,8 millions de doses; 41,1 millions ont été administrées. Seuls 9,2 habitants sur 100 ont jusqu’ici reçu une injection. Aux États-Unis, ils en sont à 27 doses pour 100 habitants, et au Royaume-Uni, ils sont proches de 35.
Au cours des trois prochains mois, nous allons recevoir 300 millions de doses. Nous aurons atteint à la fin de l’été notre objectif de vacciner 70% de la population adulte. Mais nous avons sous-estimé à quel point il est difficile de produire de nouveaux vaccins en grandes quantités, et notamment la question des matières premières, parfois en pénurie, aisi que la nécessité de disposer d’une chaîne d’approvisionnement stable.
BioNTech-Pfizer en est l’exemple parfait: après un début chaotique, la société dispose aujourd’hui d’un processus de production fiable et la production augmente régulièrement. D’ici le milieu de l’année, l’usine de Marburg, qui a démarré en février, pourra produire 1 milliard de doses par an. AstraZeneca est une autre paire de manches. Ils n’ont fourni que 10% de ce qui était prévu dans le contrat pour la période de décembre à fin mars.
La semaine dernière, l’Italie a bloqué l’exportation vers l’Australie de 250.000 doses de vaccins d’AstraZeneca. Est-ce une forme de punition?
Dès le début, j’ai soutenu la décision du premier ministre italien Mario Draghi. C’est pourtant étrange: AstraZeneca ne donne aucune explication sur la raison pour laquelle elle ne peut pas livrer les vaccins promis à l’Europe, et tout d’un coup, elle peut fournir à l’Australie 250.000 vaccins produits dans une usine européenne?
« Nous voulons qu’AstraZeneca commence par livrer les vaccins destinés à l’Europe. »
N’est-ce pas une approche très protectionniste ? L’Europe, marché libre par excellence, bloque l’exportation et malmène ainsi des partenaires commerciaux comme l’Australie?
Nous ne voyons pas les choses du point de vue des pays, mais des entreprises. BioNTech-Pfizer est responsable de 95% des exportations hors Europe. Ses vaccins sont livrés dans 30 pays, et ce n’est pas un problème. Ils honorent leur contrat avec l’Europe, et c’est tout à fait normal.
Nous avons besoin de transparence à propos de ces exportations. Jusqu’ici, nous volons à l’aveuglette. Nous voulons qu’AstraZeneca commence par livrer les vaccins destinés à l’Europe.
Ce ne sera donc pas la dernière fois que cela arrive?
Non, ce n’est pas un « one shot ». La décision est aux mains d’AstraZeneca. L’entreprise doit respecter ses engagements. Tant qu’elle n’est pas en mesure d’honorer ses contrats européens, aucun vaccin ne quittera des usines européennes pour être envoyé à l’extérieur de l’Union.
« Les matières premières et les vaccins traversent souvent les océans. Nous voulons collaborer pour faciliter ce trafic entre les deux rives de l’Atlantique. »
Le contrat stipulait qu’AstraZeneca commencerait la production et constituerait des stocks bien avant l’obtention de l’approbation de l’AEM (Agence européenne des médicaments, NDLR). Ce ne fut pas le cas. Pour faire passer la pilule, l’entreprise promet aujourd’hui de nous fournir des vaccins produits en dehors de l’Europe.
Vous en auriez discuté avec le président américain Joe Biden.
Nous n’avons pas parlé d’entreprises. L’Europe n’est pas responsable de la logistique chez AstraZeneca. Ils produisent dans le monde entier. Les matières premières et les vaccins traversent souvent les océans. Nous voulons collaborer pour faciliter ce trafic entre les deux rives de l’Atlantique. Et nous voulons aussi pouvoir répondre aux variants du virus avec des vaccins adaptés. Cette semaine, la Commission devrait approuver ces vaccins via une procédure accélérée.
Travaillez-vous aussi à la mise au point d’un passeport vaccinal digital?
D’ici l’été, de nombreuses personnes auront été vaccinées. Nous aurons donc besoin d’un passeport vaccinal digital pour harmoniser la libre circulation en Europe sans mettre la santé publique en danger. Et si nous ne nous préparons pas aux niveaux technique et juridique, rien n’en sortira. Nous devons faire notre travail pour être prêts d’ici l’été.
Seules les personnes vaccinées pourraient voyager: n’est-ce pas discriminatoire?
Non, ce passeport doit être neutre au plan technologique. Il ne serait pas uniquement utilisé par ceux qui sont vaccinés. Ceux qui peuvent présenter un test négatif, qui ont eu la maladie et qui disposent d’anticorps, doivent aussi pouvoir l’utiliser. Les conditions liées à ce type de passeport doivent être discutées au niveau politique.
« Ce que nous pouvons certainement apprendre d’Israël, c’est que le système des soins de santé doit être digitalisé. »
Je veux surtout éviter que l’Europe se retrouve divisée et manque de coordination au moment où une partie importante de la population européenne aura déjà été vaccinée. J’entends déjà les critiques. C’est pourquoi nous devons dès maintenant commencer le travail technique.
Israël dispose d’un tel passeport vaccinal. Est-ce un exemple à suivre, vu le manque de confidentialité des données des personnes vaccinées?
Ce que nous pouvons certainement apprendre d’Israël, c’est que le système des soins de santé doit être digitalisé. Nous devons aussi faire cet exercice en Europe. C’est la tâche des États membres. Avec la directive RGDP, l’Europe dispose de règles strictes en matière de protection de la vie privée. Mais c’est le bon moment: 20% du budget du fonds de relance européen, NexGenerationEU, peuvent être utilisés pour la digitalisation.
Ceux qui ont reçu le vaccin russe Spoutnik ou le vaccin chinois pourront-ils circuler librement en Europe?
Ces entreprises pharmaceutiques doivent d’abord obtenir l’approbation de l’AEM ou de la FDA américaine, en d’autres termes, d’une autorité internationale reconnue. Il se peut que nous nous orientions vers un système comparable. Mais nous sommes encore en discussion avec les États membres. Je souhaite, par ailleurs, insister sur le fait que la grande majorité des États membres s’en tient aux vaccins achetés par l’Europe.
Pour être agréés, Spoutnik & Co doivent être prêts à ouvrir tout grands leurs livres, à fournir toutes les données et à autoriser des inspections sur leurs sites. Nous verrons donc si Spoutnik introduit une demande auprès de l’AEM et quels sites de production européens l’entreprise souhaite utiliser.