La guerre civile qui ravage la Syrie a des effets économiques imprévus. À cause d’elle, Israël est devenu ces derniers mois un véritable carrefour routier du Moyen-Orient. Chaque jour, des centaines de camions immatriculés en Jordanie ou en Turquie, escortés de voitures de police, circulent sur les routes du nord d’Israël. Ces véhicules ne font pas de halte. Ils se contentent d’allers-retours de 80 km entre Haïfa, le plus grand port israélien, et un terminal à la frontière jordanienne.
Leur mission : transporter des marchandises jordaniennes, mais aussi irakiennes ou de pays du Golfe, qui sont ensuite acheminées par bateau vers la Turquie, tout en assurant le trafic en sens inverse. Pour Israël, ces échanges constituent une aubaine économique mais aussi politique. Le rêve de l’État hébreu a toujours été de s’intégrer dans la région, en devenant une sorte de tête de pont entre la Méditerranée et le monde arabe. Ce mirage commence à prendre forme.
Les combats sanglants en Syrie, l’insécurité permanente dans ce pays déchiré, ont en effet contraint les exportateurs de la région à éviter tout transit par ce pays de crainte de vols de marchandises et d’attaques contre les chauffeurs. Résultat : les bateaux en provenance d’Europe ou de Turquie n’utilisent plus les ports syriens pour débarquer les conteneurs destinés à la Jordanie ou à l’Irak.
Pendant les premiers mois de la guerre civile en Syrie, les entreprises de la région ont envisagé une voie de contournement par l’Irak, mais cette alternative a été abandonnée en raison, là aussi, de l’insécurité générale régnant dans ce pays. De même, le passage par l’Égypte s’est révélé trop long et trop coûteux.
Les responsables jordaniens et turcs se sont alors discrètement adressés à Israël pour ouvrir un corridor. Après quelques hésitations, en raison de possibles trafics d’armes ou d’infiltrations de commandos islamistes, Silvan Shalom, le ministre du Développement économique régional, a donné son feu vert.
Par précaution, les véhicules sont donc soumis à des contrôles de sécurité très stricts, y compris des tests pour détecter la présence d’explosifs. Les poids lourds circulent ensuite en convois sous la surveillance de la police. « Ce système est désormais bien rodé. Si nous continuons au rythme actuel, nous pourrions arriver à 12 000 camions par an », estime un responsable des douanes israéliennes.
Selon lui, les véhicules en provenance de Jordanie transportent surtout des produits agricoles et textiles, tandis que les exportations en provenance de Turquie portent sur des matières premières et des produits industriels. « Nous souhaitons désormais développer le transport des conteneurs, mais les Jordaniens sont réticents, ils redoutent que ce système fasse concurrence à leur port d’Aqaba sur la mer Rouge », observe ce responsable des douanes.
« Israël peut être utile à ses voisins »…
En attendant, l’opération, même dans ses limites, est très rentable. Les revenus tirés des taxes portuaires, des assurances, de la vente de carburants, p ourrai e n t atteindre l’équivalent de 50 millions d’euros par an. Mais, pour les responsables israéliens, le principal bénéfice est avant tout politique. « Nos voisins de la région, y compris des pays qui n’entretiennent pas de relations diplomatiques avec nous, tels que l’Irak ou même l’Arabie saoudite, se rendent compte qu’Israël peut leur être utile. C’est un constat inappréciable », se félicite un diplomate israélien ».