Et non seulement développe-t-elle ses propres puces, mais aussi ses propres logiciels et ses propres services.
L’entreprise ne s’est pas faite en un jour et a développé son système brique par brique, du premier système de détection des piétons en 2010 pour Volvo au premier système de freinage automatique par caméra pour Audi en 2013, jusqu’au système Autopilot de Nissan en 2016.
De Tesla, qui a fini par se fâcher avec elle, jusqu’à BMW, Nissan ou Volkswagen, plus de 50 millions de voitures utilisent déjà des solutions d’assistance à la conduite basées sur les puces EyeQ de Mobileye.
Avec, à chaque fois, des technologies basées non pas sur de coûteux Lidars, radars et autres composants de pointe, mais sur de simples capteurs d’image CMOS tels qu’on les trouve dans les smartphones.Une « start-up » de plus de 20 ans
Rachetée en 2017 pour la bagatelle de 15 milliards de dollars — la deuxième plus grosse acquisition de l’histoire d’Intel et plus grosse jamais vue en Israël — Mobileye n’est pas la start-up classique de la Silicon Valley.
Loin de la petite boîte valorisée en 4-5 ans à des sommets, Mobileye est une « mamie » dans le milieu.
« Mobileye a été fondée il y a 21 ans et j’y suis depuis plus de 18 ans », nous explique Tal Babioff, vice-président et responsable de la cartographie, lors d’une table ronde à la presse.
« Mais vous pouvez appeler ça une start-up si vous voulez ! ». Bijou de la recherche made in Israël, Mobileye est le bébé d’Amnon Shashua, professeur d’informatique de l’Université hébraïque de Jérusalem.
Ce presque sexagénaire au regard austère donne ses conférences de presse comme un général ferait ses présentations de plan stratégique : point d’émotion, pas de bla-bla ou d’effet de scène, quand M. Shasua parle, c’est pour décrire le marché, expliquer la stratégie de son entreprise, annoncer les avancées technologiques, il le fait sur un ton froid, clinique.
Sa feuille de route au CES de Las Vegas, qui va au-delà de 2025, ne semble laisser aucune place au hasard. Un caractère exhaustif qui met en lumière l’intérêt d’avoir des gens qui sont dans le milieu depuis longtemps.
Et son implantation dans l’industrie le prouve : de Volkswagen à BMW en passant par Nissan (et incidemment, Renault), de Denso à STMicro jusqu’à Waymo, Mobileye travaille non seulement avec les constructeurs automobiles, mais aussi les équipementiers, les électroniciens ou encore les spécialistes de la fabrique de semi-conducteurs.
Car pour séduire, Mobileye maîtrise aussi bien le logiciel que le matériel.
Maîtrise logicielle et matérielle
L’entreprise a commencé à produire ses premiers algorithmes liés à l’assistance à la conduite dès sa création en 1999… pour concevoir sa première puce, l’EyeQ1, presque dix ans plus tard en 2008.
Tandis que les algorithmes et les programmes s’enrichissaient, les puces n’ont cessé de progresser : entre l’EyeQ1 de 2008 et l’EyeQ6, qui sera sur les routes en 2023, Mobileye aura multiplié leur puissance de presque trente-mille fois (x29.090 pour être exact).
Mais c’est moins cette puissance que l’approche globale — qu’on pourrait qualifier de « totale » — que Mobileye met en avant.
Parce que ce qui compte pour ce genre de technologie, c’est qu’elle profite au plus grand nombre.
Au contraire de nombreux acteurs de la tech comme de l’automobile semblent promettre des voitures 100 % autonomes pour demain, le discours de Mobileye semble d’une part plus prudent, mais aussi bien plus pragmatique.
« 5 000 dollars de surcoût pour un consommateur, c’est trop », a ainsi expliqué M. Shashua durant sa conférence annuelle au CES.
Approche pragmatique et draconienne
La question des problèmes de coûts est au cœur de la stratégie de Mobileye, qu’il s’agisse de choix technologiques ou encore de plans de commercialisation. Côté technologie, cela explique que Mobileye veuille réaliser le plus possible de calculs uniquement à partir de capteurs d’images CMOS classiques et non pas à base de radars, capteur ToF ou autres.
« Les solutions à multiples capteurs coûtent cher. Une plate-forme avec 12 capteurs CMOS ne coûte que 1000 dollars, ce qui rend la plateforme plus accessible ».
Si les solutions Mobileye équipent déjà des millions de véhicules particuliers, notamment les véhicules haut gamme de BMW, le premier marché de la voiture autonome visé par Mobileye, ce sont les « robotaxi », des VTC gérés comme des flottes.
Un marché dans lequel Mobileye pense réussir à faire baisser les prix aux consommateurs « jusqu’à 50 % ».
Des taxis… et des bus, puisque pas plus loin qu’à Paris, la RATP et Mobileye vont expérimenter des navettes 100 % autonomes dès l’automne 2020.
« Le développement de nos solutions est fait avec la pression de la sécurité dès le départ. On ne peut pas faire de faux pas, parce que notre première erreur pourrait aussi être notre dernière », décrit Tal Babioff. « Même si nous utilisons en interne des outils de simulation, nous avons toujours développé nos solutions pour le monde réel ».
Une approche confirmée dans la conception même de la gestion des algorithmes par le système de Mobileye : « Si un seul des capteurs détecte qu’il y a une porte ouverte sur le côté, alors tout le système se base sur ce scénario du pire. Cette redondance multiple, nous travaillons dessus depuis des années », explique Amnon Shashua.
Ce qui n’empêche pas le PDG de faire des promesses, mais qui ont moins l’air un mantra marketing que d’une réalité nécessaire à la progression de la technologie.
« Il n’est pas suffisant de montrer que l’on peut rendre la voiture autonome, il faut aussi que la conduite soit meilleure que celle des humains ».
Et c’est ce que l’entreprise a tenté de prouver avec sa vidéo de présentation de conduite 100 % autonome à Jérusalem, « l’une des pires villes au monde où circuler », s’est amusé (sans vraiment sourire) M. Shashua, lors de la conférence.
Si la solution de Mobileye fonctionne aussi bien, c’est que non seulement les puces et les algorithmes sont au niveau, mais aussi parce que ces deux composantes s’appuient sur un troisième élément clé : la cartographie.
Une révolution cartographique
Une des originalités de sa solution est le système de cartographie embarqué et actif.
Concrètement, chaque solution embarquée Mobileye intègre une cartographie « data ».
Pas un gros tas de cartes bitmaps en JPEG bien lourdes, mais un flot de données pures décrivant non seulement les routes, mais aussi la nature et la position des panneaux, l’état de la chaussée (données volumétriques), la qualité du marquage au sol, etc.
Des données qui sont collectées par tous les véhicules équipés de solutions Mobileye du monde entier, quel que soit le fabricant.
« Nos serveurs reçoivent l’équivalent de 6 millions de kilomètres de données par jour » détaille Tal Babioff. Des informations « anonymisées dès le départ » dont les frais de transferts de données sont minimes. « Si on conduit 20 000 kilomètres par an, cela ne représente que 200 Mo, soit moins de 1 $ par véhicule », continue-t-il.
Une dépense qui est soit à la charge du constructeur auto dans le cadre d’une solution intégrée, soit à la charge de Mobileye dans le cas où il s’agisse d’un kit du type Mobileye Connect 8.
Légère à charger — le Japon ne pèse que 400 Mo — la cartographie « data » ajoute de la sécurité au système. « S’il n’y a pas de carte, on ne peut pas faire confiance », martèle ainsi Amnon Shashua.
Et si un ou plusieurs capteurs d’images tombent en panne ou sont aveuglés par le mauvais temps, le flot de données GPS, de trajectoires, etc. permet au véhicule de continuer à circuler.
Au CES, Mobileye faisait ainsi la démonstration de la surimpression des données pures de cartographies sur un flux vidéo de circulation.
L’ajustement des informations était centimétrique, chaque véhicule participant à chaque fois qu’il circule à l’amélioration de la précision des données.
Mais outre ce supplément de sécurité pour les automobiles, cette cartographie temps réel et ultracomplète intéresse aussi les villes.
« Jérusalem dépense un million de dollars par an pour faire un inventaire unique de l’état de ses routes, New York trois millions de dollars avec le trafic en plus », raconte Tal Babioff.
Loin de vouloir casser les prix dans ces domaines, Mobileye veut proposer le même genre de contrat, mais avec des informations mises à jour en temps réel.
Son Mobileye Data Service peut ainsi dresser des inventaires de réparations à effectuer — détection des chaussées défoncées, des nids de poule, de l’effacement des marquages au sol, de la disparition des panneaux — mais aussi donner l’état et la nature des éléments circulant dans les artères. « Notre IA détecte tout ce qui bouge et peut caractériser les voitures ou les camions, mais aussi les vélos ou les piétons », continue-t-il.
De précieuses informations pour les villes qui veulent non seulement éviter les pénalités financières dans les pays où les accidents causés par une mauvaise chaussée leur sont imputés. Mais aussi qui veulent mieux planifier les évolutions d’infrastructures.
Sur les épaules du géant Intel
Loin de se cantonner à développer une énième plateforme ultrapuissante, Mobileye a une vision à 360° sur la conception de la voiture autonome, des algorithmes aux processeurs, jusqu’à tous les usages des données. Indépendante dans de nombreux choix comme la fabrication de ses puces — la production de l’EyeQ5 est assurée par le taïwanais TSMC et pilotée par le consortium franco-italien STMicroelectronics — l’entreprise peut désormais compter sur la puissance d’Intel que ce soit dans l’accompagnement de la production des puces, le traitement des données ou encore les investissements. De quoi sérieusement amplifier sa puissance de frappe, notamment pour la signature de gros contrats…
Et aider Intel à tourner la page de son échec dans le domaine des smartphones et continuer d’asseoir sa domination dans le monde des semi-conducteurs.
Source 01 Net