Depuis sa réélection, il ne cesse de s’amuser autour de l’idée d’un rapprochement entre le Canada et l’Amérique. Ce pourrait être une blague, cela ne l’est pas.
Il ne faudrait jamais prendre à la légère les propos de Trump, fussent-ils dits sur le ton de la plaisanterie. Pour un dictateur en puissance comme lui, l’humour n’est jamais une émanation de l’esprit mais bien plus un moyen comme un autre d’incarner une volonté de puissance. Si bien que lorsqu’il écrit sur son réseau social: «De nombreux Canadiens veulent que le Canada devienne le 51e État. Ils économiseraient massivement sur les impôts et la protection militaire. Je pense que c’est une excellente idée. 51e État !!!», le plus avisé serait de prêter attention à ce qui pourrait nous apparaître de prime abord comme une simple blague.
Il faut bien comprendre qu’avec la réélection de Trump, nous entrons dans une période où il nous faut changer de fond en comble notre manière d’appréhender le réel. Il ne s’agit pas de savoir si Trump est fou, sénile ou stupide mais de réaliser que son rapport à la vérité et à la raison est si altéré que, de ce chaos, il peut sortir tout et n’importe quoi. Surtout, il ne faut jamais sous-estimer la portée de ses outrances et autres saillies verbales, qui sont toujours l’expression d’un désir latent de passer outre l’ordre établi du monde.
Chez une personne aussi instable que peut l’être Donald Trump, la raison est remplacée par une exaltation du moi qui ne connaît pour ainsi dire aucune limite. Nous quittons le domaine de la provocation pour pénétrer dans les champs secrets de la folie, du désordre mental où rien ne résiste aux élans d’une pensée aussi frustre que brutale. Cette voix-là, il faut donc l’entendre et la prendre au mot.
À partir du moment où plus rien n’appartient au domaine du sacré, de l’intouchable, de l’ordre immémorial des choses, évoquer l’hypothèse d’un rapprochement plus ou moins contraint entre les États-Unis et le Canada perd de sa loufoquerie pour apparaître comme une possibilité bien réelle. Après tout, si on s’affranchit de toute morale, il faudrait être bien sot pour ne pas l’envisager.
Voilà un pays, le deuxième le plus vaste au monde, qui longe toute votre frontière au nord, une contrée prospère relativement peu peuplée, dotée de richesses naturelles considérables où se succèdent à perte de vue champs pétrolifères et surfaces agricoles. Au nom de quoi, de quels principes, faudrait-il s’en détourner alors qu’il suffirait de presque rien pour mettre la main dessus et en tirer de substantiels bénéfices?
On dira les conventions internationales, l’entente cordiale entre deux pays amis, la marche du monde qui ne permet pas de coloniser ce qui ne vous appartient pas, mais quand une civilisation s’écroule, lorsqu’un pays prend le chemin de la déliquescence, à l’heure où un empire s’effondre, il emporte avec lui ce qui naguère semblait relever de l’évidence: le respect d’autrui et sa légitimité à exister.
Il pourrait s’agir d’une annexion, d’une invasion en bonne et due forme, d’une proposition de partenariat si pleine de menaces que le Canada n’aurait d’autre choix que de s’y plier. Concrètement, si jamais un jour pareille entreprise était lancée, que pourrait opposer le Canada si ce n’est des paroles, des protestations, des appels à la raison voués à rester lettre morte? Il se soumettra par nécessité, dans son désir d’épargner à sa population des morts inutiles.
Cela semble être fou, cela ne l’est pas si on conçoit Trump comme le symptôme d’un monde de plus en plus gangrené par la violence, le complotisme, le populisme et sa souveraine bêtise. Par réflexe, par paresse, par habitude, on est enclin à penser que le monde qui a surgi des entrailles de la Seconde Guerre mondiale a vocation à demeurer en l’état jusqu’à la fin des temps. Ce faisant, on oublie que les leçons apprises dans les livres d’histoire ne sont ni des allégories ni des récits fictifs mais des faits avérés où, de conquêtes en conquêtes, de morts en morts, les hommes ont épousé le plus vil de leurs penchants.
Faire main basse sur le Canada est une option parmi d’autres et rien ne dit qu’elle se réalisera un jour. Il n’empêche, refuser même d’y penser serait une funeste erreur. Il faut s’attendre à tout avec Trump.
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