EDITORIAL. La nuance, la réflexion et la pondération ont disparu de tout horizon sociétal en Israël. Comme si l’on se trouvait au concours national de l’outrance
La météo n’ayant rien de très palpitant à nous raconter en ce début d’été israélien, voilà l’occasion de parler très sérieusement d’un autre climat, celui qui règne actuellement en Israël. Pour beaucoup d’Israéliens, l’atmosphère est devenue, ces derniers temps, de plus en plus malsaine et nauséabonde.
Tout est dramatisé, démesuré. Tout est décrit en termes de confrontation, d’agression, de conflit, de guerre, d’armes: désormais, pour les opposants à la réforme judiciaire, même une simple réduction de la « clause de raisonnabilité », et c’est l’antichambre de la Dictature! Pour la ministre (sioniste-religieuse) Orit Struk, les patrons de Tsahal et du Shin Bet sont la « force Wagner », pas moins ! Pour le député orthodoxe Itzhak Pindrus, les LGBT sont plus dangereux que le Hamas et le Hezbollah réunis ! Deux femmes ministres du Likoud se traitent en pleine réunion du gouvernement, de débiles et de dégénérées !! Pour une journaliste-people, les orthodoxes sont des sangsues. Pour d’autres, ce sont des parasites. Pour une universitaire, ces orthodoxes ne sont même pas juifs ! Pour Ehud Barak, l’heure est à la rébellion civile ! Pour Yaïr Golan, ex-n°2 de Tsahal, on peut violer la loi pour protester contre la réforme. Pour Smotrich, il faut raser Hawara…
Dans cette culture de l’exagération qui nous envahit, on falsifie allègrement les données de la protestation Boulevard Kaplan, ou même celles du nombre de véhicules et de maisons incendiés par les jeunes vandales des collines.
Dans cette atmosphère presque asphyxiante, tout est binaire: blanc ou noir, bien ou mal. La nuance, la réflexion et la pondération ont disparu de tout horizon sociétal en Israël. Comme si l’on se trouvait au concours national de l’outrance, voire même au championnat du monde de la démesure (où la France pourrait, d’ailleurs, faire bonne figure!): c’est à celui ou celle qui ira le plus loin dans la provocation, dans l’humiliation, dans le cinglant.
Les médias attisent le phénomène, l’amplifient, et parfois même l’encouragent délibérément : chaque flash d’information doit s’ouvrir sur un nouveau scandale, chaque quotidien y va de sa manchette « dramatique ». Fini les débats d’idées, la réflexion posée, la pensée apaisée. Impossible de dialoguer sur un projet commun… Désormais, place à l’insulte, à l’invective, aux slogans les plus méprisants mais aussi les plus galvaudés. Et ce mal israélien touche tous les secteurs, y compris la communauté arabe israélienne qui saigne comme jamais, ou encore les Druzes du Golan qui manifestent violemment contre l’installation d’éoliennes.
Dans quelques jours, cela fera six mois que la réforme judiciaire a été présentée par Yariv Levin : 6 mois de tempête politique et de secousses telluriques idéologiques. 6 mois de protestation légitime, mais qui ont déchiré le fragile tissu du vivre ensemble en Israël.
Alors peut-être que le moment est venu de stopper cette course effrénée vers le chaos, de mettre un frein à la folie actuelle et de revenir justement à plus de raisonnabilité ! Peut-être que l’heure est venue de neutraliser les pyromanes professionnels, de tous les camps, avant qu’il ne soit trop tard. Il est grand temps de cesser ces abus, de baisser le ton, et d’appeler au calme et à l’apaisement. Et enfin, il ne faut surtout pas oublier un paramètre capital : ces divisions, ces clivages, ces affrontements verbaux ou physiques font le jeu des ennemis les plus déterminés d’Israël: le Hamas applaudit à chaque manifestation devant le domicile de Levin, le Hezbollah est persuadé que nous sommes en train d’actionner notre processus d’autodestruction et il se frotte les mains. Quant à l’Iran, il perçoit parfaitement la fragilité de la situation actuelle et la faiblesse du gouvernement Netanyahou. Et comme cela a été révélé, ces derniers jours, il utilise ses capacités technologiques pour semer plus encore, sur les réseaux sociaux, la zizanie interne en Israël!
Il est grand temps de comprendre qu’Israël n’évolue pas en vase clos. Et d’assimiler que, divisé de l’intérieur, Israël est plus vulnérable à l’extérieur que jamais!
Daniel Haïk (i24News).