Un projet de loi portant sur la restitution de 15 œuvres d’art, dont un tableau de Gustav Klimt et un autre de Marc Chagall, aux ayants droit de familles juives spoliées par les nazis sera examiné par l’Assemblée nationale aujourd’hui.
Entrées légalement dans les collections publiques nationales françaises par acquisition, elles relèvent du domaine public mobilier protégé par le principe de l’imprescriptibilité et d’inaliénabilité. Leur restitution nécessite donc une loi, à la différence des œuvres confiés à la garde des musées nationaux («MNR»), qui sont restituées par simple décret.
Parmi les 15 œuvres se trouve «Rosiers sous les arbres» de Gustav Klimt, conservé au musée d’Orsay, et seule œuvre du peintre autrichien appartenant aux collections nationales françaises. Il a été acquis en 1980 par l’État chez un marchand. Des recherches approfondies ont permis d’établir qu’il appartenait à l’Autrichienne Éléonore Stiasny qui l’a cédé lors d’une vente forcée à Vienne en 1938, lors de l’Anschluss, avant d’être déportée et assassinée.
Onze dessins et une cire conservés au Musée du Louvre, au Musée d’Orsay et au Musée du Château de Compiègne ainsi qu’un tableau d’Utrillo conservé au Musée Utrillo-Valadon («Carrefour à Sannois») font également partie des restitutions envisagées. Un amendement du 13 janvier a ajouté à cette liste un tableau de Chagall, intitulé «Le Père», conservé au Centre Pompidou et entré dans les collections nationales en 1988. L’artiste l’a sans doute peint en 1911 ou 1912, s’en serait dessaisi avant la Seconde Guerre mondiale puis le tableau aurait circulé jusqu’en Pologne lors du transfert des juifs vers le ghetto de Lodz en 1940. Il a été reconnu propriété de David Cender, musicien et luthier polonais juif, immigré en France en 1958.
Les ayants droit ont été identifiés par la Commission pour l’indemnisation des victimes de spoliations (CIVS), créée en 1999. Le projet de loi a été adopté à l’unanimité en commission des affaires culturelles. S’il est adopté par le Parlement, «il s’agira d’une première étape importante qui amène à réfléchir aux futures restitutions et à l’éventualité d’une loi-cadre», précise Fabienne Colboc, sa rapporteure.
Comme pour la restitution des œuvres d’art en provenance d’Afrique, une future loi-cadre est difficile à établir en raison de la multiplicité des critères de spoliation comme leur champ géographique et la période concernée (entre 1933 et 1945). «Beaucoup de familles juives, victimes de mesures antisémites ont été forcées de vendre leurs biens dès la fin de 1933, en Allemagne. En France, quand la vente a été organisée par le régime de Vichy, beaucoup d’archives demeurent mais quand il s’agissait de ventes privées, il n’y a pas de traces, les œuvres se sont retrouvées sur le marché de l’art», a souligné David Zivie, responsable de la mission de recherche et de restitution des biens culturels spoliés du ministère de la Culture, lors d’une audition par les sénateurs.
Cette mission a été créée en 2019 afin d’accélérer les recherches et d’identifier la provenance des œuvres spoliées pour faciliter leur restitution. Depuis 1990, les recherches de ces oeuvres se sont beaucoup développées, notamment après le discours de Jacques Chirac en 1995, lors de la commémoration de la rafle du Vél’ d’Hiv, qui reconnaissait la participation de la France dans l’extermination des juifs par les nazis, puis l’accord de Washington en 1998 lorsque 44 pays se sont engagés sur les réparations et la restitution des biens aux familles juives spoliées.
Quelque 100.000 œuvres d’art auraient été saisies en France durant la Seconde Guerre mondiale, selon le ministère de la Culture. 60.000 biens – comprenant des œuvres spoliées mais aussi vendues en France pendant la guerre par des personnes qui n’étaient pas persécutées – ont été retrouvés en Allemagne à la Libération et renvoyées en France. Parmi eux, 45.000 ont été restitués à leurs propriétaires entre 1945 et 1950.
Environ 2.200 ont été sélectionnés et confiés à la garde des musées nationaux (œuvres «MNR») et le reste (environ 13.000 objets) a été vendu par l’administration des Domaines au début des années 1950. Les recherches concernant les œuvres spoliées qui appartiendraient aux collections nationales sont en cours.
Source : Le Figaro