Après de plus de quatorze mois de guerre, l’économie israélienne se militarise afin de réduire la dépendance de Tsahal envers les Etats-Unis et faire face à d’éventuels boycotts internationaux sur les exportations d’armes.

Etre autosuffisant en armes pour ne pas être la proie de pressions politiques de la part de fournisseurs étrangers : c’est l’objectif ambitieux que s’est fixé Benyamin Netanyahou, le Premier ministre israélien, conformément, à vrai dire, à une ligne de longue date du pays. L’économie de son pays a, en effet, de plus en plus tendance depuis le début de la guerre dans le bande de Gaza à jouer la carte de la militarisation.

Un exemple : le ministère israélien de la Défense vient de donner son feu vert au développement par le groupe Elbit Systems de bombes à fragmentation de 900 kg de type MK 84, similaires à celles importées jusqu’à présent auprès de la société américaine General Dynamics. Cette arme est considérée comme une des plus dévastatrices utilisées dans les pays occidentaux. Ces engins devraient commencer à sortir des chaînes de production en Israël d’ici à trois ans. Ce choix ne doit rien au hasard.

Offensive dévastatrice

En mai, l’administration de Joe Biden avait suspendu pendant plusieurs mois l’approvisionnement de 1.800 bombes de ce type pour tenter de dissuader Benyamin Netanyahou de lancer une offensive dévastatrice à Rafah dans le sud de la bande de Gaza, près de la frontière avec l’Egypte. Cette sanction dénoncée avec véhémence par le Premier ministre a servi de signal d’alarme, et ce, d’autant plus que les Etats-Unis assurent 69 % des importations d’armes de l’Etat hébreu.

Le ministère de la Défense s’apprête ainsi à débloquer des budgets de plusieurs milliards de dollars pour financer les infrastructures nécessaires au développement des industries d’armement, à l’extension des lignes de production et à l’accroissement des stocks stratégiques. Dans le secteur clé de la high-tech également, le nombre de start-up spécialisées dans la cybersécurité et l’intelligence artificielle pouvant être utilisées à des fins militaires connaît un véritable engouement.

Pour financer toutes ces opérations et faire face à un budget de la défense record, qui va augmenter de 30 % en 2025 à 30 milliards de dollars, tout en stimulant l’innovation, Israël mise en grande partie sur les revenus tirés des exportations de matériel militaire. Sur ce front, l’année 2024 aura été un millésime exceptionnel. Quelques exemples : Elbit Systems, le plus important groupe privé du secteur, dispose d’un carnet de commandes record de 22 milliards de dollars, en hausse d’un tiers ; de même, Israel Aerospace Industries, une entreprise publique, a connu, une progression de 50 % de ses commandes cette année à 24,8 milliards de dollars.

Histoire de stimuler ces ventes à l’étranger, le ministère de la Défense a réduit ces derniers mois les restrictions imposées à l’exportation d’armes et de munitions, tout en restant très discret sur ce dossier. Plusieurs entreprises israéliennes ont également ouvert des filiales aux Etats-Unis. Il y a urgence. Les Etats-Unis se sont engagés en 2019 à accorder 3,2 milliards d’aide militaire par an à Israël pour l’achat de matériel américain. Sur ce total, 725 millions de dollars peuvent être utilisés pour des achats auprès d’entreprises israéliennes. Mais cette part va diminuer et sera égale à zéro d’ici à 2028, d’où l’intérêt de s’implanter outre-Atlantique.

Un vieux traumatisme

Parmi les autres raisons qui poussent Israël a tout faire pour ne plus être dépendant, figure également les menaces de boycott qui se sont profilées depuis le début de la guerre dans la bande de Gaza déclenchée le 7 octobre à la suite de massacres commis par les islamistes du Hamas dans le sud d’Israël. L’Etat hébreu est la cible d’une campagne de groupes pro palestiniens et d’ONG de défense des droits de l’Homme qui prônent un boycott en particuliers sur les exportations d’armes.

Dans ce cas aussi, la tentative de la France d’interdire l’accès des groupes israéliens à deux expositions internationales d’armement à Eurosatory en juin et Euronaval en octobre a ravivé le traumatisme provoqué par le boycott imposé à Israël par le général de Gaulle trois jours avant la guerre des Six-Jours de juin 1967. « Cette sanction aussi scandaleuse soit-elle a finalement eu un effet bénéfique dans la mesure où elle a contraint Israël à développer sa propre industrie d’armement. De la même façon, les menaces de boycott doivent nous pousser à aller de l’avant », souligne un responsable du ministère de la Défense.

Pascal Brunel

COPYRIGHTS. https://www.lesechos.fr/monde/afrique-moyen-orient/leconomie-israelienne-a-lheure-de-la-militarisation-2140125

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