SPECIAL ISRAELVALLEY. Une opération rarissime! En faisant l’acquisition de son concurrent israélien Beach Rum, pour 200 millions d’euros, le poids lourd français du jeu vidéo Voodoo avait créé une bien belle surprise.
L’éditeur français de jeux vidéo Voodoo avait annoncé l’acquisition de Beach Bum, développeur israélien de jeux pour appareils mobiles, afin de renforcer sa position sur le marché et de diversifier ses revenus. La société israélienne, développeur d’adaptations de jeux de société et de cartes en jeux vidéo , avait un chiffre d’affaires annuel de $70 millions au moment de l’acquisition.
Voodoo, qui a rejoint les rangs des « licornes » françaises, soit les start-up valorisées plus d’un milliard de dollars, après des investissements de Goldman Sachs et Tencent, n’avait pas précisé lors du rachat de Beach Bum le montant exact de la transaction. Il serait compris entre 250 et 300 millions de dollars (215,65 et 258,78 millions d’euros), rapporte le journal financier israélien Globes.
Voodoo est un développeur et éditeur français d’applications et de jeux mobiles basé à Paris . La société a été fondée en 2013 par Alexandre Yazdi et Laurent Ritter. Les jeux de Voodoo ont commencé principalement comme des « jeux hyper-casual » gratuits , qu’ils ont contribué à populariser. Depuis lors, la société s’est tournée vers le développement et la publication de jeux et d’applications occasionnels. Les jeux et applications de Voodoo ont dépassé les 7 milliards de téléchargements en 2024.
FRANCE-ISRAEL. Voodoo a acheté BidShake en juin 2021, une société de Tel-Aviv développant une plateforme d’automatisation du marketing offrant des solutions publicitaires multicanaux pour les jeux et applications mobiles. Basée en Israël, Bidshake propose des solutions publicitaires multicanaux pour les jeux et applications mobiles. La société continuera à fonctionner de manière indépendante dans le cadre de cette acquisition.
Les termes de l’accord n’ont pas été divulgués. « Nous avons eu la chance de travailler avec Voodoo en tant que partenaire de conception et premier client, portant notre plateforme d’automatisation du marketing au niveau supérieur », ont déclaré Stéphane Pitoun et Alexandra Palacci, co-fondateurs de Bidshake. « Depuis le début, notre objectif a été d’aider les développeurs mobiles à naviguer dans un environnement de plus en plus compétitif et axé sur les données, et rejoindre Voodoo est la prochaine étape parfaite dans ce voyage. »
LE PLUS. GAMINGCAMPUS. Parfaitement inconnu du commun des joueurs et des joueuses, l’éditeur français Voodoo est pourtant l’un des fleurons tricolores de l’industrie du jeu vidéo. Spécialiste des jeux mobiles addictifs dont on ne retient pas forcément les noms, la société parisienne s’est surtout taillée une solide réputation chez les fonds d’investissements et les acteurs majeurs du milieu. De petite startup agile dédiée au jeu vidéo hypercasual à licorne tentaculaire prête à dépenser un demi milliard pour un réseau social dédié à la génération Z : retour sur le parcours et les perspectives de Voodoo, le géant français qui ne manque pas de ressources.
Quand Alexandre Yazdi et Laurent Ritter fondent Voodoo en 2013, ils ne sont pas tout à fait neufs dans le secteur du jeu vidéo sur mobile. Les deux copains de lycée – l’un a fait l’école d’ingénieur Polytech à Nancy, l’autre une école de commerce à Rennes (ville qui compte d’ailleurs plusieurs écoles de jeux vidéo) – sont déjà derrière Studio Cadet, l’éditeur du jeu casual Quiz Run qui fait son trou en 2012. Leurs premières levées de fonds permettent au duo d’entrepreneurs de se faire la main sur plusieurs projets qui, s’ils ne connaissent pas de grand succès populaire ou commercial, vont les aider à se forger une conviction : le développement d’un jeu vidéo n’a pas nécessairement à être long et coûteux pour générer du profit.
Le choix est donc fait d’adopter la méthodologie lean start up et le développement par la clientèle. Peut-être aussi inspiré par le studio finlandais Rovio, qui a finalement trouvé le succès avec son 52ème jeu édité en moins de cinq ans – un certain Angry Birds – Voodoo opte en 2015 pour des cycles de développement extrêmement courts : en étudiant les données utilisateurs collectées et en multipliant les projets, l’éditeur estime se donner plus de chances de trouver la perle rare qui conduira à sa croissance. Il se dit même que chaque programmeur devait produire un prototype de jeu par semaine : l’enjeu est de faire émerger rapidement une mécanique de jeu particulièrement accrocheuse, à laquelle on apportera une couche graphique et du contenu plus travaillé si elle survit aux premières sessions de test.
C’est cette philosophie qui conduira à la création du sous-genre hypercasual, qui s’est depuis largement imposé dans l’industrie du jeu vidéo sur mobile. Si le casual gaming a conquis des millions de joueurs et joueuses dits « occasionnels » à partir de 2007, entre la sortie de la Wii et l’avènement du smartphone et des réseaux sociaux, c’est grâce à des mécaniques simples. Des concepts limpides que tout le monde peut comprendre en quelques secondes, servis par des commandes accessibles pour que la manipulation ne soit jamais un frein à l’expérience de jeu. L’hypercasual s’inscrit évidemment toujours dans cette logique, mais pousse encore davantage le concept pour offrir des propositions dépouillées et accrocheuses pour des sessions de jeu très courtes, peu exigeantes en termes de contrôles mais particulièrement satisfaisantes.
« Les jeux hypercasual se concentrent habituellement sur le cœur du gameplay. Dans les jeux casual, vous pouvez avoir du meta game. Avec l’hypercasual, l’essence du jeu est intense et intéressante. Pour moi, c’est la vraie différence. L’hypercasual est très pur, dans le sens où il n’y a pas de mécanique de monétisation qui se met en travers du gameplay pur. Pour être honnête, au départ, nous n’avions pas conscience de faire des jeux hypercasual. Nous pensions simplement à l’excellent contenu que nous voulions produire. » déclarera Alexandre Yazdi par la suite.
Un succès qui en appelle d’autres
C’est en suivant ce précepte que Voodoo connaît son premier succès en tant que développeur : Paper.io est un jeu simple de conquête de territoire, sorte de snake faussement multijoueur (les adversaires sont des bots) dont la popularité conforte le studio dans son approche. Voodoo attire l’attention, autant par le succès de ses quelques titres à voir le jour que pour sa méthodologie radicale, à laquelle l’industrie du jeu vidéo est assez peu habituée, particulièrement en France. Contacté par d’autres studios en quête de conseils, le développeur se meut naturellement en éditeur.
Voodoo se distingue des acteurs traditionnels en travaillant sur un projet très en amont de sa sortie : l’entreprise française met en place une plateforme qui lui permet d’évaluer les prototypes des développeurs et de faire ses retours, mais également d’évaluer et d’optimiser les besoins en termes d’acquisition du public (en achetant de la publicité) et de monétisation (en vendant de la publicité). Le cercle s’avère particulièrement vertueux : plus Voodoo et ses partenaires connaissent le succès, plus les studios se pressent à sa porte pour profiter des techniques et conseils de cet acteur émergent qui fait de plus en plus de bruit, et pas uniquement en France. Dès le départ, Voodoo se veut international, qu’il s’agisse de la diffusion de ses jeux ou des développeurs avec lesquels l’entreprise collabore.
L’ascension est fulgurante : de 1,1 million d’euros de chiffre d’affaires en 2016, Voodoo grimpe à 71 millions en 2017 avant d’atteindre 325 millions en 2018. Par peur que la bulle explose, les investisseurs locaux restent frileux face à cette embellie significative. La banque américaine Goldman Sachs ne réfléchit pas à deux fois avant d’injecter 200 millions d’euros dans la future licorne française, en mai 2018. L’objectif est multiple : doubler ses effectifs, alors limités à 75 personnes, et internationaliser la structure pour toucher un public encore plus large tout en se rapprochant de Google et Apple, qui font la pluie et le beau temps sur mobile.
La concurrence s’aiguise et Apple change les règles.
Parmi les plus gros succès de l’éditeur se trouvent Helix Jump (800 000 millions de téléchargements) et Crowd City (237 millions). Le premier est l’un des « sept prototypes créés en seulement huit semaines » par le studio ukrainien H8 Games. Une méthode apprise chez Voodoo qui porte largement ses fruits, principalement grâce à un ciblage publicitaire extrêmement agressif et précis. Une réussite parmi d’autres qui permet à Voodoo de revendiquer aujourd’hui plus de 7 milliards de téléchargements en quelque 200 titres produits, pour 150 millions d’utilisateurs actifs.
Pourtant, la croissance plafonne en 2019, alors même que Voodoo ouvre des bureaux à Istanbul, Berlin ou encore Montréal. L’éditeur mastodonte, qui revendiquait en juin 2018 pas moins d’un quart de tous les téléchargements des jeux gratuits aux États-Unis, garde le cap mais ne parvient plus à progresser. Le revers de la médaille de cette stratégie industrielle « quick & dirty », c’est qu’elle n’est pas si compliquée à répliquer. La concurrence se fait logiquement (et rapidement) plus rude sur le segment de l’hypercasual : si le français a ouvert la voie, des acteurs du monde entier réclament désormais leur part du gâteau, qui n’a pas suffisamment grossi pour permettre à Voodoo de continuer sur sa lancée irréelle de croissance.
Dans le même temps, Apple change les règles du ciblage publicitaire sur les applications publiées sur son store : l’ATT sonne le glas de la captation automatique des données utilisateurs, ceux-ci ayant la possibilité de refuser de partager leurs informations. Sans ciblage précis, les publicités ont nécessairement moins d’impact et ce manque d’efficacité se répercute directement sur les revenus des acteurs. Un drame pour les entreprises qui, comme Voodoo, basent l’essentiel de leur chiffre d’affaires sur l’affichage de réclames.
Un pas dans le Web3…
En 2020, le géant chinois Tencent injecte à son tour de l’argent dans l’entreprise, qui accède immédiatement au rang de licorne avec une valorisation évaluée à 1,4 milliards de dollars. C’est ensuite au groupe GBL (Pernod Ricard, Adidas) auquel il cède, en 2021, 16 % de son capital contre 266 millions d’euros. Des liquidités fraîches qui vont lui servir, en plus d’inaugurer de nouveaux locaux en plein Paris, à attaquer un nouveau segment. Les jeux Web3, basés sur la blockchain, émergent à partir de 2017 malgré la réticence d’une partie du public. Mais c’est véritablement à partir de 2021 que ce modèle hybride attire au-delà des techbros adeptes de cryptomonnaies et de NFT : le concept de play to earn, qui ajoute une part de spéculation à la dimension ludique, est aussi aguicheur que clivant.
« Nous sommes à l’aune de ce nouveau segment, c’est là que les leaders vont se créer, donc nous tentons d’y aller. Cela peut devenir le nouveau mode d’utilisation des jeux, c’est un peu un nouveau business model qui remplace le free-to-play actuel » déclare Alexandre Yazdi à Maddyness en mai 2022. Pourtant, quelques mois plus tard à peine, l’expansion de ce nouveau secteur semble marquer un gros coup d’arrêt : les acteurs historiques du jeu vidéo s’en désintéressent peu à peu et quelques scandales éclatent sur les pure players du P2E. Dès le mois de décembre 2022 et malgré 200 millions de dollars investis, Voodoo anticipe un repli du segment et cherche à se diversifier.
C’est paradoxalement vers le segment du casual gaming que se tournent Alexandre Yazdi et Laurent Ritter, genre qu’ils ont pourtant transcendé par le passé pour parvenir à trouver le succès. La transition s’annonce compliquée, tant les règles de conception et les usages diffèrent de leurs habitudes : l’hypercasual serait joué environ 2 minutes et 30 secondes par jour, contre une vingtaine de minutes pour le casual. La monétisation est différente, moins orientée vers la publicité que les microtransactions : l’entreprise française et ses studios partenaires doivent repenser tout un pan de leur méthodologie pour ajouter cette nouvelle corde à leur arc.
Un nouveau défi épineux.
Il ne suffit plus de faire confiance à un concept de gameplay pour écouler les inventaires publicitaires ; il s’agit désormais de maximiser la rétention des joueurs et des joueuses, tout en aiguisant suffisamment leur intérêt pour les inciter à payer régulièrement quelques euros. Un secteur particulièrement concurrentiel et exigeant, mais qui peut rapporter gros. Face à des acteurs majeurs dont les titres ont parfois plus de dix ans, l’éditeur français cherche à imposer sa patte, qui repose toujours sur une lecture fine et extensive des données utilisateurs.
Quitte à jouer avec les règles : fin 2022, Voodoo est condamné par la CNIL à 3 millions d’euros d’amende à cause de ses traceurs, qui continuent de suivre les activités des utilisateurs iOS même lorsque ceux-ci en ont expressément fait la demande du contraire. Ce n’est pas la première fois que l’éditeur français se retrouve devant les tribunaux. Plusieurs fois taxé de plagiat pour la ressemblance parfois appuyée de ses titres avec certains titres de la concurrence, Voodoo sait également défendre ses plates-bandes. Comme en 2020 contre Rollic, studio turc possédé par le géant Zynga, contraint de retirer un jeu des différents stores et de payer 125 000 euros à Voodoo en guise de réparation du préjudice. De l’argent qu’il redonnera mi-2021 à Homa Games, développeur parisien qui réussit à prouver son « parasitisme commercial » pour récupérer 200 000 euros de dommages et intérêts. Le développement est un panier de crabe où il convient de défendre ses intérêts, coûte que coûte.
Conclusion.
1,7 milliard de valorisation, 800 employés, des bureaux et des studios aux quatre coins du monde pour un immense défi à relever : Voodoo doit retrouver le chemin de la croissance pour exister dans une industrie hautement versatile et concurrentielle. Le segment hypercasual définitivement derrière lui, l’éditeur français semble avoir un nouveau tour dans son sac. Avec le rachat mi-2024 de l’application BeReal pour 500 millions d’euros, l’entreprise se dote d’un vivier de 40 millions d’utilisateurs actifs supplémentaires pour profiter de synergies potentielles cohérentes. Toujours prêts à relever de nouveaux défis, Alexandre Yazdi et Laurent Ritter disposent des ressources nécessaires pour bousculer le secteur une fois de plus.
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