Malgré le ralentissement de l’activité économique en Israël pour cause de guerre, le shekel tient tête au billet vert ; le phénomène est peut-être étonnant mais pas forcément inattendu.

Les chiffres confirmés par l’Institut israélien de la Statistique sont sans appel : l’économie israélienne se contracte. Elle a enregistré une baisse de son PIB de 20% lors du quatrième trimestre 2023. Sur toute l’année passée, le PIB israélien a progressé de 2%, ce qui signifie une baisse de 0.1% par habitant.

Alors que l’économie israélienne tourne au ralenti, sa monnaie se renforce face au dollar américain.

Trop de dollars

La cause principale du renforcement du shekel est simple : il y a beaucoup de dollars en circulation en Israël, peut-être même beaucoup trop. Résultat : la valeur du billet vert baisse et, mécaniquement, le shekel monte.

Cet afflux de billets verts s’explique d’abord par la politique de la Banque centrale d’Israël ; dès le début de la guerre, elle annonçait un vaste plan visant à vendre jusqu’à 30 milliards de dollars pour protéger la valeur du shekel et elle s’est aussi engagée à injecter sur le marché des devises jusqu’à 15 milliards de dollars pour favoriser les flux de trésorerie.

Cette politique monétaire laxiste de la Banque centrale est favorisée par l’ampleur des réserves en devises qu’elle détient à Jérusalem : 206 milliards de dollars, record de tous les temps.

Sans compter les taux d’intérêt qui restent élevés en Israël ; le taux directeur de la banque centrale est toujours à 4,5%, ce qui incite les investisseurs à placer leur argent en shekels plutôt qu’en dollars. Autrement dit, il y a aujourd’hui en Israël davantage d’acheteurs de shekels que de vendeurs, tendance qui renforce la monnaie nationale.

Bourses en hausse

Certes, la baisse du dollar n’est pas un phénomène uniquement israélien : c’est aussi, et surtout, une tendance internationale.

Les difficultés de l’économie américaine, qui souffre d’endettements et déficits aigus, incitent les investisseurs américains à se débarrasser de leurs dollars : ils préfèrent investir leurs liquidités en actions et obligations au rendement plus sûr.

Les spéculateurs étrangers investissent donc à Wall Street, mais pas seulement ; la bourse de Tel Aviv aussi est devenue attractive et elle attire des dollars qui vont se convertir en shekels pour se transformer en actions israéliennes. D’où la tendance à la hausse de la bourse de Tel Aviv qui accompagne la baisse du dollar.

Prix de la guerre

La tendance à l’afflux de dollars en Israël ne va pas s’interrompre. Dans le courant de 2024, le ministère des Finances prévoit de lever à l’étranger des fonds nécessaires pour financer le déficit budgétaire fixé à 6,6% du PIB soit 128 milliards de shekels ; c’est l’équivalent de 35 milliards de dollars qui vont être injectés dans l’économie israélienne.

La hausse du shekel est une bonne nouvelle pour le consommateur israélien : converti en shekels, le prix des produits importés de l’étranger devrait baisser et ralentir inflation qui est déjà tombée en-dessous du rythme annuel de 3%.

En revanche, un shekel fort ne fait pas que des heureux : il renchérit les exportations et risque donc de porter atteinte aux débouchés des industries israéliennes qui vendent leurs produits à l’étranger.

C’est le prix à payer pour sortir de la guerre en limitant les dégâts sur l’économie israélienne.

à propos de l’auteur
Jacques Bendelac est économiste et chercheur en sciences sociales à Jérusalem où il est installé depuis 1983. Il possède un doctorat en sciences économiques de l’Université de Paris. Il a enseigné l’économie à l’Institut supérieur de Technologie de Jérusalem de 1994 à 1998, à l’Université Hébraïque de Jérusalem de 2002 à 2005 et au Collège universitaire de Netanya de 2012 à 2020. Il est l’auteur de nombreux ouvrages et articles consacrés à Israël et aux relations israélo-palestiniennes. Il est notamment l’auteur de « Les Arabes d’Israël » (Autrement, 2008), « Israël-Palestine : demain, deux Etats partenaires ? » (Armand Colin, 2012), « Les Israéliens, hypercréatifs ! » (avec Mati Ben-Avraham, Ateliers Henry Dougier, 2015) et « Israël, mode d’emploi » (Editions Plein Jour, 2018). Dernier ouvrage paru : « Les Années Netanyahou, le grand virage d’Israël » (L’Harmattan, 2022). Régulièrement, il commente l’actualité économique au Proche-Orient dans les médias français et israéliens.
T.O.I.
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