Libérer les otages français détenus par le Hamas, « c’est la priorité depuis le début », a déclaré à franceinfo Sébastien Lecornu avant son séjour ce vendredi en Israël.

Le ministre des Armées est en mission diplomatique au Proche-Orient, parti à la demande du président de la République. Il a échangé jeudi 16 novembre avec les autorités qataries, à Doha, le Qatar étant un médiateur dans les discussions pour libérer les otages détenus par le Hamas.

franceinfo : Vous venez d’échanger avec les autorités qataries ici à Doha, le Qatar étant médiateur pour œuvrer à la libération des otages détenus par le Hamas. En ce qui concerne les otages français, est-ce qu’on a des raisons d’être optimiste ?

Sébastien Lecornu : C’est la priorité depuis le début. La position de la France là-dessus évidemment, comme sur les autres sujets, n’a pas changé. Nous sommes ici au Qatar, nous étions précédemment aux Emirats arabes unis, en Arabie saoudite, en Egypte, mais c’est vrai que cette halte au Qatar a un rôle particulier, puisqu’elle permet de faire le point. Je ne m’étendrai pas publiquement sur le sujet, mais sur les différentes discussions qui sont en cours que le président de la République a supervisées lui-même, nous avons huit disparus, j’emploie le mot « disparus » à dessein, et tout est fait évidemment pour obtenir leur libération au plus vite.

Le président américain Joe Biden parle d’optimisme, concernant les otages américains. Les États-Unis disent qu’ils croient à un accord sur les otages, est-ce que la France y croit aussi ?

On fait tout pour y croire et c’est l’espérance aussi que l’on va adresser aux familles. J’aurais d’ailleurs l’occasion de les rencontrer demain [vendredi] en Israël. Elles sont bouleversées. Il faut se mettre à leur place : elles vivent un drame absolument épouvantable depuis maintenant plusieurs semaines, elles vivent dans l’incertitude. Ces personnes disparues, en plus parfois, sont très jeunes. Donc là aussi, je crois qu’il faut parler de ces choses avec beaucoup de gravité.

« Oui, on a de l’espérance. Mais l’espérance aussi nécessite de la concentration jusqu’à la dernière minute pour que tout un chacun tienne sa parole. »

Quel message allez-vous passer demain aux familles ?

Je ferai un point avec eux, je suis à leur disposition évidemment pour répondre à leurs questions, en étant peut-être un peu plus bavards que je ne le serai à votre micro, mais vous pouvez évidemment le comprendre. Mais je leur expliquerai aussi à quel point tout un chacun dans l’appareil d’État français, en lien avec différents partenaires dont le Qatar, que je remercie évidemment publiquement une fois de plus comme l’a fait le président de la République, sont mobilisés pour la libération de ces personnes disparues.

Est-ce que l’offensive actuelle telle qu’elle est menée à Gaza ne risque pas de questionner et peut-être de mettre en danger le sort de ces otages ?

Beaucoup se sont étonnés – et c’est étonnant qu’ils soient étonnés – que le président de la République réclame des trêves humanitaires. Si on le fait, c’est évidemment parce qu’Israël a le droit de se défendre. Il faut le redire et c’est important, parce que c’est Israël qui a connu cette attaque terroriste menée par le Hamas ; qu’évidemment Israël doit respecter le droit humanitaire et que les trêves humanitaires participent à l’application de ce droit.

Mais de manière sous-jacente, il y a deux enjeux de sécurité majeurs que nous essayons de traiter : la sécurité régionale, la lutte contre l’escalade, parce que c’est un sujet évidemment important. Et puis, l’autre question, bien sûr, c’est la sécurité des otages et d’obtenir leur libération. Donc oui, quand on parle de trêve humanitaire, depuis le début, et depuis la déclaration du 12 octobre du président de la République jusqu’à aujourd’hui, il y a un fil conducteur sous-jacent. C’est évidemment la sécurité des personnes qui sont disparues, ou otages. En tout cas, je préfère dire « disparues », avec les incertitudes que nous connaissons.

Vous évoquiez les mots du président de la République de mercredi soir : « Se protéger, ce n’est pas la guerre totale sans règles. » Il y a le sentiment que certaines règles ne sont plus respectées ?

Je crois que les images sont difficiles. Une fois de plus, Israël a le droit de se défendre. Israël est une démocratie, un État de droit, qui doit respecter le droit international humanitaire et le droit de la guerre. Et je vais vous dire, c’est l’intérêt d’Israël que de le respecter, puisque la situation dans la région est pour le moins tendue. Il y a des risques d’escalade au Liban avec le Hezbollah, avec des milices chiites en Irak, avec les Houthis au Yémen.

Donc ce qu’on cherche à faire avec le chef de l’Etat, sous son autorité, avec Catherine Colonna et d’autres depuis le début, étant donné que la France aussi a une voix particulière avec un certain nombre de pays de la région et je pense aussi très fort à la situation au Liban, on a une légitimité, une place particulière pour traiter de ce pays avec les difficultés que l’on y connaît : il est clair qu’il nous faut maîtriser cette escalade. Et ça demande une responsabilité. Et Israël doit faire preuve de responsabilité en la matière tout en se défendant. Cet équilibre-là nous semble atteignable.

Vous évoquiez justement le risque d’escalade, comment évaluez-vous ce risque ?

C’est vraiment un combat de chaque jour. Vous savez, on a 700 militaires français dans le détachement de la FINUL [Force intérimaire des Nations unies au Liban], qui est le dernier mandat important des Casques bleus. Et ces 700 militaires français, dans un ensemble beaucoup plus conséquent, est une force au final, non pas d’interposition, comme on a pu le connaître dans le passé dans d’autres régions, mais une force d’observation et de déconfliction à la frontière entre le Liban et Israël. Ces soldats voient tous les jours passer au-dessus de leurs têtes des tirs de roquettes, parfois même des drones ou des missiles. Donc chaque jour qui passe est une journée à très forte tension et dont malheureusement tous les dérapages sont possibles.

Il y a ce qui se passe à Gaza, qui évidemment nourrit l’ensemble des émotions, elles sont bien légitimes. Il y a ce qui s’est passé le 7 octobre, il ne faut pas l’oublier, c’est ce qui nourrit aussi la légitime défense d’Israël, et aussi beaucoup d’émotion. On vient de parler de nos personnes disparues ; il y a aussi 40 morts français ou franco-israéliens. Donc il ne faut pas avoir la mémoire courte dans cette affaire.

« Mais il est clair que devant nous, il y a un autre enjeu, il est important et c’est l’obsession du président de la République et de la diplomatie française : c’est de maîtriser toute forme d’escalade. La situation peut être encore pire qu’elle ne l’est aujourd’hui. »

Je ne veux pas être alarmiste, mais c’est votre devoir justement que de maîtriser cette escalade. Et la manière dont Israël s’occupe, prend en compte les populations civiles et la question des trêves humanitaires, la question du fret humanitaire, de l’accompagnement sanitaire des populations civiles de Gaza, participe à coup sûr à une forme de déconstruction et de désescalade, si c’est bien mené. Et c’est donc l’appel que je porterai aussi demain en Israël auprès des autorités compétentes.

La situation humanitaire à Gaza est toujours très compliquée. L’Union européenne a évoqué la possibilité d’un pont maritime depuis Chypre. Est-ce que c’est faisable ?

La réalité, c’est que les Européens cherchent à être efficaces ensemble. Parce que déjà, quand on fait de l’aide humanitaire ensemble, on est plus forts. Et derrière, il y a des enjeux logistiques. Nous avons déjà mis en œuvre des ponts aériens, avec notamment des avions militaires français, qu’on a mis à disposition des équipes de Catherine Colonna pour permettre justement d’apporter ce fret. Et là, on le voit bien, il faut qu’on arrive à mutualiser la logistique d’un côté – avions, bateaux – et le fret de l’autre.

Le Quai d’Orsay est à la manœuvre pour cette affaire. Si les armées peuvent être concourantes, le président de la République nous a permis de le faire. Mais il est clair qu’on a un devoir d’endurance dans cette aide, puisqu’il y a plus de 2 millions de personnes qui sont présentes dans la bande de Gaza, une très grande majorité de civils, de femmes, d’enfants. Et donc le besoin en aide est assez massif.

Vous aviez évoqué la possibilité de déployer des moyens d’aide sanitaire, de médecins, mais aujourd’hui, on a l’impression que c’est bloqué. Comment expliquez-vous cela ?

La discussion continue. J’ai démarré mon périple par l’Egypte, le pays mitoyen avec ce fameux poste de Rafah que tout le monde connaît bien. Là aussi, en matière de diplomatie, il faut aussi se mettre à la place des partenaires. L’Egypte a connu des grandes périodes de déstabilisation, de lutte contre le terrorisme. D’ailleurs, la question de la guerre en Ukraine n’a pas été sans impact pour ce pays, notamment pour les matières premières agricoles. Bref, chaque pays aussi a un risque de déstabilisation qui peut être domestique. Et les autorités égyptiennes, évidemment, font très attention à ne pas créer un déséquilibre dans le pays. On ne peut pas leur en vouloir.

Les discussions continuent, pour nous permettre d’être efficaces. Vous avez raison, la France met déjà beaucoup de moyens sur la table du fret. Mais il y a la question des soins, qui est un enjeu majeur. Le président de la République avait parlé de cadre sanitaire ; en clair, comment on agrège des moyens de part et d’autre pour être en situation de soigner. Le navire « Le Tonnerre » était un plot logistique, notre porte-hélicoptère amphibie qui est en Méditerranée orientale, est un plot logistique avancé.

« On a le ‘Dixmude’ qui est en alerte à 24 heures à Toulon, qui peut appareiller avec un ensemble plus conséquent de moyens sanitaires. La France est prête, et la France veut en faire plus en matière de soins et d’accompagnement des personnes blessées, particulièrement toutes ces femmes et tous ces enfants. C’est absolument bouleversant, personne ne peut le nier. »

Donc ça fera partie des discussions que j’aurai aussi demain en Israël, ou tout à l’heure, parce qu’il est clair que cela se fait à plusieurs avec beaucoup d’ordre. Mais j’ai eu ces conversations aussi aux Emirats arabes unis ou en Arabie saoudite, parce qu’un certain nombre de pays arabes de la zone cherchent aussi à s’organiser.

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