Meir Ben-Shabbat, ex-conseiller à la Sécurité nationale d’Israël, est l’une des chevilles ouvrières de l’accord qui a scellé la reprise des relations entre le Maroc et l’État hébreu. Dans cet entretien avec Le360, il partage ses réflexions sur la genèse de cet accord, sur les relations entre les deux pays et les perspectives d’avenir. Il aborde également les moments marquants de cet événement, évoquant notamment sa rencontre avec le roi Mohammed VI, le 22 décembre 2020.
Meir Ben-Shabbat, né en 1966, est l’ex-conseiller à la Sécurité nationale d’Israël. Originaire de Dimona (ville située dans le désert du Néguev, dans le sud d’Israël) et douzième d’une fratrie de 14 enfants de parents immigrés du Maroc, il a servi dans la Brigade Givati de l’IDF et a été distingué par la Médaille présidentielle d’excellence. Diplômé en science politique de l’Université Bar-Ilan, il est considéré comme l’un des architectes des fameux «Accords d’Abraham».
Au Maroc, on se souviendra toujours de lui lorsque, le 22 décembre 2020, il a prononcé en darija et avec une émotion sincère le fameux «Allah Ybarek Faâmar Sidi» devant le roi Mohammed VI. Ses paroles, traduisant son profond respect pour le Souverain et l’affection qu’il porte au pays qui a vu naître ses parents, ont touché le cœur des Marocains. Dans cet entretien, il revient sur les coulisses de l’Accord tripartite entre le Maroc, les États-Unis et Israël, et sur le développement des relations entre Tel-Aviv et Rabat.
Le360: Le 22 décembre 2020, le Maroc et Israël ont pris la décision de rétablir leurs liens diplomatiques. Pourriez-vous nous donner des détails concernant les premières négociations qui ont conduit à cette résolution?
Meir Ben-Shabbat: Tout d’abord, je voudrais saisir cette occasion pour souhaiter une joyeuse fête de la Jeunesse au Souverain et au peuple marocains. J’aimerais ensuite signaler que les liens entre Tel-Aviv et Rabat existent depuis longtemps, à différents niveaux et via différents canaux. Bien qu’ils aient été officieux, ils ont toujours été chaleureux. Cependant, ils étaient effectivement très limités en portée et ne pouvaient pas aboutir à des résultats encore plus importants.
L’impulsion principale à ces liens a été donnée suite à la décision d’accélérer les contacts bilatéraux, afin de parvenir à une série d’accords qui ont été plus tard baptisés «Accords d’Abraham». Ces contacts se sont intensifiés après l’appel téléphonique tripartite qui a eu lieu entre l’ancien Président américain Trump, le Premier ministre Netanyahu et Sa Majesté le roi Mohammed VI.
Y a-t-il eu un moment précis où vous avez réalisé que le rétablissement des relations entre les deux pays était non seulement possible, mais imminent?
Il y a eu de nombreux moments. Bien avant la signature des Accords d’Abraham, j’avais le sentiment, qui ne reposait pas seulement sur l’optimisme, que la reprise des relations diplomatiques entre Israël et le Maroc aurait lieu pendant mon mandat à la tête du Conseil de sécurité nationale.
Quels souvenirs personnels gardez-vous de vos visites au Maroc, notamment lorsque vous étiez à la tête de la délégation israélienne en décembre 2020?
L’un des moments les plus mémorables et émouvants pour moi s’est produit bien longtemps avant la signature de l’Accord tripartite. À l’époque, mes hôtes m’avaient surpris en m’emmenant visiter la synagogue de Casablanca où mon défunt père avait l’habitude de prier. Je suis né en Israël et je n’ai entendu parler de cette synagogue que par mes parents, mes proches et mes voisins qui avaient également émigré du Maroc. Quand j’ai passé la porte de la synagogue, ces histoires ont pris vie et j’ai eu l’occasion de prier à cet endroit même. J’ai pu ressentir l’atmosphère et comprendre combien ce lieu était important pour la communauté juive locale.
Je me rappelle encore du 21 décembre 2020. Je me suis réveillé très tôt ce matin-là, tout excité. Un soleil d’hiver envoyait ses rayons vers «Kiryat Malachi», le Boeing 737 d’El Al qui avait été habillé spécialement pour cette occasion historique. Les drapeaux d’Israël, des États-Unis et du Maroc ornaient la partie avant de l’avion, ainsi que le mot «Paix» en hébreu, en anglais et en arabe, et le célèbre symbole de la «Khamsa». C’était l’avion qui avait été désigné pour le vol historique vers Rabat, avec à bord les délégations israélienne et américaine pour la cérémonie de signature.
La pandémie de la Covid-19 et nos autres préoccupations ont été mises de côté pour un moment, au nom de la paix. L’événement le plus important de la journée du 22 décembre 2020 a été naturellement la rencontre avec Sa Majesté le Roi. Bien que je sois venu en tant que représentant d’un autre pays, je ne me suis pas senti comme un étranger. Au contraire, ma rencontre avec le Souverain a été chaleureuse et amicale. J’ai parlé en darija et le Roi a exprimé son plein engagement en faveur de la paix et l’a considérée comme une décision stratégique.
De plus, Sa Majesté a souligné qu’il aimerait construire nos relations de manière méthodique. Après la cérémonie de signature au Palais royal, des discours ont été prononcés. Et dans mon allocution, j’ai dit que les relations entre Israël et le Maroc ont une signification particulière, bien au-delà de leurs aspects diplomatiques, sécuritaires et économiques. Elles sont inscrites dans l’histoire de nos ancêtres ici, au Royaume.
J’ai également évoqué la relation spéciale de Sa Majesté avec la communauté juive marocaine, qui a créé un sentiment particulier pour les Juifs marocains envers la terre où ils sont nés. J’ai également dit que de nombreux Israéliens, d’origine marocaine, attendaient ce moment avec impatience. J’ai raconté l’histoire des deuxième et troisième générations de Juifs marocains qui ont continué à préserver leurs traditions et coutumes. J’ai dit: «La communauté juive marocaine a eu un impact profond sur la société israélienne. Ses membres sont influents à tous les égards possibles».
Quels ont été les secteurs qui ont été, depuis, les objets d’une coopération accrue?
Les relations entre les deux pays et les deux peuples se sont rapidement développées et englobent de nombreux aspects. Il semblait que tout le monde attendait juste ce moment pour mettre en œuvre des idées, des plans et des souhaits qui attendaient d’être réalisés depuis longtemps.
Nous avons maintenant une vaste coopération dans les domaines de l’aviation, du tourisme, du commerce, des investissements, de la technologie, de l’énergie, de l’eau, de l’agriculture, de la culture, de l’éducation, de la science, de la recherche, de la sécurité et des relations étrangères. Les relations entre nos peuples sont la base de la paix. Je salue à cet égard l’intégration de l’histoire juive marocaine dans le programme officiel au Maroc. J’applaudis également les efforts du Maroc pour éduquer les jeunes contre l’antisémitisme.
Cette coopération conduira à la prospérité et apportera plusieurs bénéfices aux deux parties dans les secteurs de la technologie, de l’agriculture, de l’eau, des soins de santé ainsi que d’autres domaines. Comme c’est le cas avec toute relation, celle-ci peut également rencontrer des obstacles et des difficultés. Par conséquent, nous devons établir un climat de confiance et des canaux de communication afin qu’ils servent de pont face aux défis qui pourraient survenir.
Comment percevez-vous l’influence de la diaspora juive marocaine dans le renforcement des liens entre les deux pays?
Je n’ai aucun doute que la diaspora juive marocaine a grandement contribué au renforcement des liens entre nos deux pays et nos deux peuples. Tout d’abord, nous avons vu l’accueil chaleureux réservé aux touristes israéliens lorsqu’ils sont venus au Maroc. Les Juifs marocains sont le pont tendu entre Israël et le Maroc. Ils ont préservé l’appréciation mutuelle entre les deux pays, même lorsqu’il n’y avait pas de relations diplomatiques entre nous. Je l’ai dit dans mon discours au Palais Royal. J’ai ressenti une grande fierté d’être membre de ce groupe.
Comment les relations entre Israël et le Maroc ont-elles influencé la dynamique de la paix au Moyen-Orient ces dernières années?
Tout d’abord, publiquement, tout le monde peut voir ces relations florissantes. On comprend que la paix est une meilleure manière de vivre et qu’elle est l’avenir et le chemin sur lequel tout le monde devrait marcher. C’est la seule conclusion à laquelle on pourrait parvenir en observant l’évolution de la paix entre Israël et le Maroc. Cela pourrait encourager d’autres pays, qui pourraient être hésitants, à faire de même. De plus, il y a des choses qui se passent loin de la sphère publique. La paix crée également une position commune contre ceux qui souhaitent déstabiliser la région.
Quelles sont, selon vous, les prochaines étapes que les deux pays devraient entreprendre pour aller encore plus loin dans leur coopération?
Les trois années qui se sont écoulées depuis la signature de nos accords constituent une base solide pour l’optimisme en ce qui concerne les relations israélo-marocaines. La prochaine étape que tout le monde attend est une rencontre entre Sa Majesté et le Premier ministre Netanyahu. Cela donnera un nouvel élan à nos relations. Je crois vraiment qu’il n’est pas exagéré de penser que nous verrons Sa Majesté visiter Israël.
Les relations entre les deux pays peuvent être un modèle pour la paix et la normalisation. Nous ne devrions pas avoir peur de placer la barre haut et d’avoir de grandes attentes. La plupart des prérequis pour cela sont déjà là. Je suis très optimiste quant à la possibilité d’atteindre tous nos objectifs communs.
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