Steve Nadjar. « Nous nous retrouvions toujours le même jour, jamais à la même heure, et ce n’était pas lui qui était en retard sur le programme. Il m’accueillait toujours d’un “Bonjour Steve, content de te retrouver. Je t’attendais, je suis prêt !”. Et il était prêt, dès que le générique de notre émission démarrait, à partager son savoir et ses espérances.

Alexandre Adler est mort à l’âge de 72 ans et au moment de lui rendre hommage, c’est un maître en géopolitique devenu par les chemins insondables du destin, un partenaire – je n’ose dire un ami – que j’aimerais honorer.

La confiance de la direction de Radio J m’a permis de vivre pendant trois ans une expérience formidable : parler du monde avec un homme qui semblait en connaître toutes les aspérités et les nuances. Depuis 2020, j’anime avec Alexandre Adler “Mondovision” – dont on doit le titre à Alexis Lacroix, premier intermédiaire amical de cette relation. Une émission hebdomadaire consacrée à l’actualité géopolitique et géostratégique, devenue la saison dernière “Géopolitique le mag”.

J’y reçois chaque jeudi des spécialistes des relations internationales, experts d’un domaine ou d’une aire géographique, souvent du Moyen-Orient, mais pas exclusivement. Le rôle d’Alexandre était différent : exposer la big picture, poser le microscope au profit des jumelles. Alexandre Adler était un impressionniste et je m’imposais – sans toujours y arriver il est vrai – de ne pas l’interrompre tant que sa démonstration n’était pas arrivée à son terme. Hypermnésique à l’érudition exceptionnelle, Alexandre déployait sa pensée en arborescence, où l’analyse des Accords d’Abraham nous faisait voyager de Washington à la Mésopotamie biblique, d’Abraham à Donald Trump en passant par Maïmonide. Écouter Alexandre, c’était accepter de penser différemment. Faire une place à une pensée singulière parce que sans limite ni frontière.

Je le lui avais confié un jour: je le connaissais depuis longtemps. La réciproque n’était pas vrai, pas encore du moins. On appelle cela, paraît-il, une relation parasociale.

J’étais étudiant en classe préparatoire et mon professeur de culture générale avait fait figurer son nom dans la liste des personnalités à écouter pour mieux comprendre les enjeux internationaux. J’avais donc rendez-vous avec Alexandre Adler tous les jours à 8H15 dans la matinale de France Culture, animée par Nicolas Demorand puis par Ali Baddou. J’étais généralement branché sur le direct, sauf quand d’autres obligations me retenaient ailleurs; je demandais alors à ma mère de ne surtout pas oublier d’enregistrer sur ma chaine hifi de l’époque – c’était le début des années 2000 – mon programme favori. Impensable de rater le “Adler” du jour; on ne badine pas avec l’amour intellectuel. C’est aussi à ces matins que je repense aujourd’hui alors qu’est venu le temps de te dire un dernier au revoir.

Depuis ses réveils en commun si j’ose dire, j’ai lu tout ou presque de ce qu’Alexandre commettait: les éditos dans Courrier international, dans Le Figaro du week-end qu’il me fallait tenter de retrouver après le shabbat, L’Express puis L’Arche et Actualité juive.

Les livres aussi, depuis l’éblouissant “J’ai vu finir le monde ancien” (2002), essai majeur sur le monde à naitre des décombres du 11 septembre, jusqu’au “Temps des apocalypses” (2018), en passant  par “Rendez-vous avec l’islam” (2005) et “Le califat du sang” (2014). La realpolitik rencontrait la culture des idées, l’histoire éclairait le présent, parfois aussi l’avenir. Il m’est arrivé, à quelques occasions, de comparer les grands desseins théoriques couchés sur papier avec la réalité du monde telle qu’il était devenu. L’histoire a certes toujours plus d’imagination que les hommes, mais je constatais souvent qu’Alexandre avait compris, avant d’autres, mieux que d’autres, non pas l’avenir mais certaines dynamiques profondes encore en gestation. Sa vision ancienne d’un rapprochement à portée de main entre Israël et le monde arabe en atteste, en attendant un accord Jérusalem-Riyad dans lequel il voyait la réconciliation ultime et, osons le qualificatif, messianique entre Isaac et Ismaël.

Cher Alexandre, m’asseoir près de toi pendant trois ans a été une chance et un immense bonheur. Au nom de toute la direction et de la rédaction de Radio J, merci de ta générosité.

Repose en paix. Que ta mémoire soit source de bénédiction ».

Steve Nadjar.

RADIO J.

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