Apple, Amazon, Lyft… Aux États-Unis, des salariés se rebellent contre leur employeur au sujet du télétravail, un acquis sur lequel de nombreuses entreprises reviennent depuis un an.  En Israël, qui copie souvent les Etats-Unis, un mixte télétravail et présence au bureau semble convenir à tous.

SELON (1) : « Le télétravail nuirait à l’esprit d’équipe, la performance, la créativité, et l’implication des salariés. C’est la petite musique que l’on peut entendre chez les dirigeants (et sur LinkedIn) depuis maintenant un an.

Pour Sam Altman, PDG d’OpenAI (ChatGPT), entériner le télétravail après la pandémie serait même la pire erreur que l’industrie tech ait commise. Disney et Salesforce – qui assuraient deux ans auparavant que la journée de bureau de 9h à 17h, c’était fini – ont fait volte-face en obligeant les salariés à revenir sur place. Ces prises de position créent d’importantes tensions internes. La dernière en date nous vient de Farmers Group, un assureur américain. Une pluie de 2 000 commentaires négatifs s’est abattue sur la messagerie interne du groupe basé à Los Angeles, après l’annonce du nouveau PDG, Raul Vargas. Ce dernier a exigé 3 jours de présence obligatoires alors que l’an dernier, la majorité des salariés étaient passés au télétravail complet, rapporte le Wall Street Journal. La mesure concerne 60 % des 22 000 employés de l’entreprise.

« J’ai vendu ma maison »

La nouvelle est vécue comme une trahison. Certains avaient déménagé, réorganisé leur vie, vendu leur voiture après l’autorisation du travail à distance. « J’ai vendu ma maison et déménagé près de mes petits-enfants. Très triste d’apprendre que j’ai pris cette décision en me basant sur un mensonge », peut-on par exemple lire dans les commentaires. Pour faire entendre leurs voix, les salariés menacent de quitter l’entreprise, d’autres veulent s’organiser en syndicat.

Avant eux, ce sont les employés de Lyft, d’Apple ou encore d’Amazon qui se sont rebellés contre les mesures restreignant le télétravail. Chez Amazon, ils étaient des centaines à manifester devant le siège de l’entreprise à Seattle pour cette raison, entre autres.

La perte de créativité : façade ou vrai motif ?

Le PDG de Farmers Group invoque, comme souvent, le besoin de « collaboration », d’ « innovation » et de « créativité » comme raisons de ce retour au bercail. Des arguments peu recevables pour les salariés à qui l’on avait dit, quelques mois plus tôt, que la productivité pendant la pandémie où le télétravail était généralisé, avait excédé celle de l’avant Covid.

À plus grande échelle, il est difficile de trancher sur les bienfaits et méfaits de ces nouveaux modes d’organisation. Les études et sondages sur les effets du travail à distance disent un peu tout et son contraire. Un quart des télétravailleurs français se sentiraient seuls, selon un sondage, mais selon un autre, le lieu n’influencerait pas vraiment le moral des salariés. La créativité est décrite comme la grande perdante du home office dans les gros titres des journaux, mais en y regardant de plus près, les sondages sur lequel ces titres s’appuient ne sont pas si tranchés (30 % des directeurs marketing estiment qu’il est plus difficile de créer des relations pros en télétravail, indispensables à la créativité). Des incertitudes qui devraient nous pousser à continuer l’exploration, estime Jules Zimmermann, formateur et enseignant, conférencier en créativité, dans une tribune pour Usbek et Rica.

Emploi du temps extrêmement « hardcore » chez Twitter

Et puis cette recherche de l’innovation et du bel esprit d’équipe est-elle vraiment la raison qui pousse les dirigeants à faire revenir leurs équipes ? Dans un article au vitriol, Business Insiders estime que ce discours n’est qu’une façade, relayant l’analyse de chercheurs spécialistes du travail. Derrière, se cache une vision des choses très archaïque et sexiste, nous explique le média. « Le bureau est pour le travail, et la maison est pour — eh bien, pour toutes ces tâches non rémunérées que les femmes accomplissent pendant que leurs hommes sont au travail. Dans l’esprit de nombreux patrons, le télétravail est un oxymore », peut-on lire. C’est notamment la toile de fond du discours d’Elon Musk qui souhaite la fin du télétravail, et le retour à un emploi du temps « hardcore » pour les salariés de Twitter.

En tout cas, le PDG de Farmers Group lui, a tranché. Il a bien lu les commentaires de ses salariés, mais réaffirme dans un mail interne que sa décision est maintenue : l’entreprise doit aller de l’avant. Ou en arrière ?

Marine Protais

À la rubrique « Tech à suivre » de L’ADN depuis 2019. J’écris sur notre rapport ambigu au numérique, les bizarreries produites par les intelligences artificielles et les biotechnologies.
(1) https://www.ladn.eu/tech-a-suivre/quand-les-salaries-se-rebiffent-contre-la-fin-du-teletravail/
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