LE 14 MAI ELECTIONS EN TURQUIE. Israël et la Turquie ont annoncé, l’été dernier, la reprise totale de leurs relations diplomatiques après plus de dix ans de brouille.
Coopération énergétique, difficultés économiques en Turquie, dynamique de normalisation des relations entre l’État hébreu et ses voisins…
Ce réchauffement revêt plusieurs enjeux, notamment pour Ankara qui cherche désormais un positionnement géopolitique « moins conflictuel ». Les élections en Turquie devraient modifier la donne. Pas obligatoirement pour le meilleur des deux pays. Recep Erdogan pourrait perdre.
SELON lopinion.fr
« Au pouvoir depuis vingt ans, Recep Tayyip Erdogan pourrait, cette fois, voir l’élection lui échapper. Pourquoi ?
« Il y a plusieurs éléments qui se conjuguent pour expliquer une possible défaite de Recep Tayyip Erdogan. Vous avez tout d’abord une question conjoncturelle de moyen terme, c’est-à-dire la crise économique. Elle frappe le pays depuis l’été 2018, c’est-à-dire un peu après sa dernière grande victoire électorale ; il avait alors remporté les législatives et la présidentielle. Depuis, vous avez une crise qui s’aggrave, une forte inflation, une hausse des prix, un appauvrissement général de la population ce qui, bien sûr, a fragilisé son pouvoir et a suscité des mécontentements.
Sur le plus long terme, il y a aussi l’usure du pouvoir. Erdogan est en place depuis deux décennies et vous avez l’émergence d’une jeune génération, beaucoup plus laïcisée, beaucoup plus sécularisée, qui n’est plus en phase avec le discours sociétal, social, porté par Erdogan.
Enfin, le dernier élément à noter, c’est que pour la première fois ou presque, l’opposition arrive à réaliser une union presque complète. Pour ces élections de 2023, nous avons une coalition électorale unie qui représente pratiquement toute l’opposition avec six partis de différentes obédiences, qui ont fait alliance pour les législatives, qui soutiennent un candidat commun. Et ce candidat, Kemal Kiliçdaroglu, est en plus soutenu par le parti pro-kurdes et libertaire qui n’est pas membre de la coalition mais qui n’a pas présenté de rival contre lui.
Finalement, ce qui se combine, c’est à la fois un mécontentement croissant envers Erdogan en raison du contexte économique et, dans le même temps, la capacité de l’opposition à présenter une alternative parce qu’elle a enfin réussi à s’unifier. »
Existe-t-il un risque que Erdogan refuse de reconnaître une possible défaite ?
« Tout dépend déjà de ce qu’on appelle une défaite. Vous pouvez très bien avoir une semi-défaite ; soit Erdogan est battu à l’élection présidentielle mais il manoeuvre avec différents partis et il garde une majorité à l’Assemblée nationale, soit, au contraire, il gagne l’élection présidentielle mais il échoue à obtenir une majorité à l’Assemblée et dans ce cas c’est également compliqué pour lui de gouverner.
Mais prenons l’hypothèse d’une défaite complète, c’est-à-dire qu’il perde à la fois l’Assemblée et l’élection présidentielle et que l’opposition s’empare de l’exécutif et du législatif. A priori, dans ce cas-là, on ne devrait pas avoir de contestation. En Turquie, il y a tout de même une vieille tradition qui est presque bureaucratique, c’est un pays de fonctionnaires, très attaché à des institutions comme la justice et l’armée. Même du côté des forces loyalistes, on n’aime pas vraiment les dérogations aux règles établies.
On l’a d’ailleurs vu en 2019 d’ailleurs lors des élections municipales. L’opposition avait gagné la mairie d’Istanbul, Erdogan a manipulé la justice pour faire annuler l’élection. Résultat, les Turcs n’ont pas apprécié et ont encore plus massivement, lors du nouveau scrutin, voté pour l’opposition, ils ont encore renforcé le score de l’opposition. Donc, à partir du moment où Erdogan est clairement donné battu par les chiffres, il est probable qu’il s’incline, qu’il se retire.
Ceci dit, on a quand même deux éléments qu’il faut surveiller de près. Le premier, c’est une possibilité de fraude durant le scrutin, de la part de la majorité mais aussi de l’opposition dans certains coins. Ce qui veut dire que si on arrive, par exemple, avec un résultat de 50,2% contre 49,8%, la situation pourrait devenir beaucoup plus compliquée. On risque de se heurter à des recomptages en permanence, des contestations, avec deux candidats qui proclameront en même temps leur victoire.
Le deuxième élément, c’est qu’à plus long terme Erdogan peut très bien faire une stratégie qui est un peu celle de Benyamin Netanyahou en Israël, c’est-à-dire de se retirer provisoirement et considérer que la coalition est trop divisée. Il pourrait ensuite attendre la première crise dans cette coalition pour revenir avec un discours du type : ‘Vous voyez, ils n’ont pas réussi à s’entendre, ils n’incarnent pas la stabilité, revenons avec moi à la stabilité’. »
Vous rentrez tout juste de Turquie. Quel est le sentiment dominant dans la population vis-à-vis de cette élection ?
« L’ambiance est plutôt sinistre, en Turquie il y a une ambiance à la fois de fin de règne et d’inquiétudes. Il y a quelque chose qui est vrai quand on parle aussi bien aux gens qui soutiennent Erdogan qu’à ses adversaires, à savoir un très grand pessimisme, une très grande crainte, avec l’idée que si le camp d’en face gagne, ce sera l’apocalypse.
Du côté du président Erdogan et de ses soutiens, vous avez l’idée que si l’opposition l’emporte, on va avoir vingt années de perdues, l’opposition va détricoter tout ce qui a été fait. Ce sera une victoire des ennemis de la Turquie.
Du côté de l’opposition, vous avez un discours selon lequel si Erdogan est élu, c’en est fini de la démocratie, la situation deviendra invivable. Evidemment, c’est compliqué pour nous de nous mettre à leur place, le peuple turc est très politisé et vit directement ces élections.
Ce qui est certain, c’est qu’il y a de très fortes tensions, de très fortes inquiétudes et, en plus, une sorte de biais psychologique par lequel on a finalement du mal à imaginer qu’Erdogan s’en aille. Qu’on le soutienne ou qu’on le combatte, beaucoup de jeunes, par exemple, n’ont jamais connu que ce Président et ce système. Donc il y a une forme de curiosité, d’excitation, mais aussi parfois d’appréhension, même dans l’opposition, quant à savoir ce qu’il pourrait advenir une fois le régime renversé ou plutôt une fois le Président parti. »