Caroline Haïat est journaliste pour le site français d’i24NEWS (Copyrights).

Lorsque vous passez la porte d’Aderet rue Bograshov à Tel-Aviv, vous basculez dans l’univers de la mode « seconde main », un petit paradis pour les adeptes du style: vêtements d’occasion, sacs, bijoux, lunettes de soleil ou encore vêtements de sport et de soirée, tout a été recyclé mais semble comme neuf. Tel-Aviv compte une trentaine de boutiques du genre, situées essentiellement dans le sud de la ville. Une tendance dans l’air du temps, qui se développe à une vitesse folle et touche un public de plus en plus large. Préoccupation vis-à-vis de l’environnement, souci d’économie ou simple envie de dénicher des articles originaux, nombreuses sont les raisons qui poussent les Israéliens à se tourner vers ce phénomène en plein essor. Reportage.

Une volonté de se démarquer

Après avoir travaillé dans une grande chaîne de vêtements en Israël puis aux Etats-Unis, Ophira Oberweger ouvre sa première boutique de seconde main à Tel-Aviv en 2004: c’est la naissance d’Aderet. Une petite révolution dans ce secteur, que peu d’Israéliens connaissent alors.

« La mode est quelque chose qui coule dans mes veines depuis que je suis toute petite » raconte Ophira. »J’ai toujours aimé la mode, et particulièrement les vêtements de seconde main. Je voulais être différente, c’était difficile pour moi de m’habiller comme tout le monde, et l’habit est un moyen d’expression de soi. Dans les années 80-90 en Israël, le seconde main, c’était quelque chose qui n’était ni répandu ni bien vu, surtout là où je vivais à Krayot près de Haïfa. Les gens ne comprenaient pas mon choix. Et puis les bas prix qui sont proposés m’attiraient, le seconde main c’était vraiment peu cher par rapport au neuf et donc très pratique pour une jeune fille qui n’avait pas encore beaucoup d’argent. »

Ophira Oberweger
Ophira OberwegerOphira Oberweger

Chaque année, 20 millions de tonnes d’articles de mode sont jetés dans le monde et 30% des vêtements qu’Ophira reçoit n’ont jamais été portés et arrivent même avec l’étiquette. L’industrie de la mode est la deuxième industrie la plus polluante au monde après l’industrie pétrolière. À titre de comparaison – pour produire des vêtements synthétiques chaque année – l’industrie textile utilise un matériau équivalent à 3 000 milliards de bouteilles en plastique. Plus de la moitié des vêtements que nous portons sont en polyester, un type de plastique dérivé du pétrole. 260 litres d’eau sont nécessaires pour produire une chemise en coton et les cultures de coton nécessitent plus de pesticides que toute autre culture dans le monde.

« Avec les années, les notions d’écologie et de durabilité sont rentrées en jeu, c’est quelque chose auquel j’ai toujours fait attention sans même en avoir conscience le fait de recycler, puis je l’ai appliqué également à la mode », a déclaré Ophira.

Caroline Haïat/i24NEWS

Caroline Haïat/i24NEWSBoutique Aderet, Tel-Aviv

Des articles originaux de qualité

Il y a trois ans, Ophira a ouvert une seconde boutique adjacente à Aderet, Argaman, un magasin d’occasion avec des articles de grands designers et des marques haut de gamme telles que Gucci, Isabel Marant, YSL ou encore Chanel. Les vêtements sont là-aussi minutieusement sélectionnés selon divers critères. Outre la qualité et l’état de l’article, Ophira choisit des produits dont elle est sûre qu’ils seront vendus très rapidement et ne prend pas de marques israéliennes telles Castro, Renuar ou encore les basiques de chez H&M, Zara et Aliexpress, que les gens retrouvent partout, afin de préserver le caractère authentique et éclectique de son enseigne.

En effet, la plupart des Israéliens qui se tournent vers le seconde main sont en quête d’une garde-robe à petit prix, dont ils ont la certitude qu’elle ne sera copiée nulle part. Un défi pour lequel Ophira travaille d’arrache-pied au quotidien, faisant de sa boutique une véritable caverne d’ali-baba des fashionistas.

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Caroline Haïat/i24NEWSBoutique Aderet, Tel-Aviv

« Pour remplir mes rayons, je choisis les vêtements par rapport à la saison et aux goûts de ma clientèle. Avec l’expérience, je sais ce qui va faire fureur, quelle tendance ils viennent spécifiquement rechercher ici. Je vends mes habits deux à trois fois moins chers que s’ils étaient neufs donc c’est très intéressant. La moitié de mes clients environ ont envie de sortir du lot, et dénichent dans mes boutiques des perles rares qu’elles ne trouveront jamais ailleurs : j’ai des pièces très anciennes comme très neuves, de la dernière mode, des accessoires, des habits élégants, pour les jeunes, mais aussi du vintage, tout le monde peut y trouver son bonheur ! », explique Ophira.

Une évolution de la clientèle au fil des ans

Il y a 18 ans, seuls les jeunes d’une vingtaine d’années de Tel-Aviv, très branchés, se pressaient dans la boutique d’Ophira; puis au fil des ans, sa clientèle s’est élargie et diversifiée, par vague. Dans les années 2000, les personnes qui suivaient la mode et avaient observé ce concept à l’étranger ont souhaité retrouver cela en Israël, faisant ainsi tourner les boutiques de seconde main. Les jeunes hipsterim notamment se sont intéressés au seconde main, et depuis une dizaine d’années, de très jeunes ados viennent avec leurs parents car ils ont découvert cette mode sur les réseaux sociaux.

« Avec le corona la tendance a explosé, car les gens étaient à la maison et ont compris qu’il y avait des alternatives, ils avaient le temps de faire du rangement et de vendre leurs habits, nous avons d’ailleurs reçu un volume important d’affaires pendant cette période. On voit désormais des personnes qui ne seraient jamais venues auparavant, comme des dames d’un certain âge, qui n’achetaient que dans les centres commerciaux et qui comprennent tout à coup que c’est un nouvel univers de style qui s’ouvre à elles », raconte Ophira.

Yanita, habitante de Tel-Aviv, a justement pris conscience du côté attractif du seconde main pendant la pandémie de coronavirus. « A cette époque je vivais dans un moshav dans le sud et le vendredi il y avait un petit marché seconde main avec des gens qui vendaient leurs vêtements un shekel pièce. C’est à ce moment-là que je suis tombée amoureuse de cette idée. Peu à peu, je me suis penchée sur le phénomène et j’ai découvert des boutiques à Dizengoff mais aussi l’Abraham hostel qui organisait ce genre d’événement. C’est une très bonne solution, ainsi plus aucun vêtement ne reste dans le placard sans être porté », a-t-elle déclaré à i24NEWS.

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Caroline Haïat/i24NEWSBoutique Aderet, Tel-Aviv

Une tendance d’avenir

Ayant toujours plus ou moins existé sur la scène de la mode en Israël, dans les années 70 à 90, le seconde main avait principalement une place de choix au Shuk Hapishpishim ou encore au Shuk de Haïfa. Il a peu à peu conquis le cœur des grandes villes et n’est plus désormais uniquement associé à une question financière.

« J’ai toujours su que ce phénomène allait se généraliser, aujourd’hui c’est quelque chose de très courant, il y en a même dans les centres commerciaux. Chaque personne qui aime le style et la mode comprend aujourd’hui que le seconde main fait partie d’une nouvelle manière d’aborder l’habillement. Le recyclage mais aussi les locations d’habits pour des occasions, c’est une mouvance qui se développe rapidement et finira par s’imposer complètement », assure Ophira.

L’organisation internationale des femmes sionistes (Wizo), créée en 1920 par des visionnaires, joue elle aussi un rôle prépondérant dans le domaine du vêtement seconde main en Israël. Avec pas moins de 4 boutiques à Jérusalem, 2 à Tel-Aviv et une à Netanya, la Wizo permet aux Israéliens de se vêtir pour quatre fois moins cher que dans des enseignes classiques, avec des vêtements de qualité.

Wizo

WizoBoutique Wizo à Jérusalem

« A Jérusalem, nous avons une énorme cuve où les gens déposent des affaires qui sont ensuite triées quotidiennement par quatre à cinq bénévoles, les plus belles choses sont vendues dans nos boutiques et le reste à une société au poids. Auparavant, les gens étaient un peu réticents à acheter du seconde main, mais depuis le covid, on constate une réelle augmentation de la fréquentation dans les magasins Wizo. Les prix sont attrayants et c’est une opportunité pour la population d’économiser tout en achetant de très belles pièces », explique Peggy Cohen, présidente de la Wizo francophone à Jérusalem.

En proposant un immense choix et des prix très compétitifs, le seconde main pourrait bel et bien devenir un incontournable d’ici quelques années. Selon les analystes de mode, les ventes de seconde main dans le monde en magasin comme en ligne devraient notamment, d’ici 10 ans, dépasser les ventes du neuf.

Caroline Haïat est journaliste pour le site français d’i24NEWS

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