« L’Interrogatoire ». Ce roman de Suzanne Azmayesh, partant des longs interrogatoires infligés à une jeune Française, d’origine iranienne, pour être autorisée à séjourner en Israël, va bien au-delà de la mise en cause des précautions sécuritaires d’un pays qui se vit en guerre permanente.

Ava, une jeune Française d’origine iranienne, se faisait une joie de suivre Simon, son compagnon, un juif ashkénaze, au mariage de sa cousine, en Israël. Après tout, leurs racines, certes bien différentes, n’avaient jamais fait obstacle à leur relation, à leur curiosité pour l’autre. C’était probablement négliger à quel point Israël se considère comme un pays en guerre. Avant même d’avoir récupéré leurs bagages, juste après l’atterrissage à l’aéroport de Tel Aviv, voilà nos deux tourtereaux soumis à des interrogatoires aussi pressants et inclusifs que fastidieux. Un sort particulier étant réservé à Ava. Certes, tout se passe sans brutalité physique mais, derrière chaque question, elle perçoit un lourd soupçon. Qui est-elle vraiment et quels sont ses liens comme ceux de sa famille avec l’Iran des Mollahs ? Cet Iran qu’ils ont justement choisi de fuir, quitte à renoncer à des situations jusqu’alors confortables et prospères. Pourquoi Ava et Simon ont-ils fait, un an plut tôt, un voyage au Liban ? Et d’ailleurs, pourquoi vivent-ils ensemble, alors qu’ils sont manifestement si différents ?

Ava ne se révolte jamais contre de tels interrogatoires. Elle s’y attendait, plus ou moins. Avec toutes ces questions lui reviennent cependant, comme en boomerang, bien des souvenirs sur sa vie, sur les siens, sur les liens qu’elle a pu nouer avec tel ou tel, sur son propre attachement à ce passé familial qui lui paraît pourtant si éloigné. C’est aussi cela qui émaille le récit de Suzanne Azmayesh. On n’a guère de doute sur le fait qu’elle s’est inspirée d’une expérience vécue et qu’elle nous projette là des réflexions voisines des siennes. Par exemple, sur la manière dont une jeune femme, française depuis sa plus tendre enfance, n’étant jamais retournée sur les traces de ses parents et grands-parents, ne serait-ce que parce qu’elle rejette profondément le régime politique qui sévit là-bas, bref comment cette jeune femme cultivée et installée dans la société, peut ressentir parfois des doutes, tout au moins des inquiétudes, sur la réalité de son appartenance à ce pays qui pourtant est bien le sien.

Riche d’enseignements

Suzanne Azmayesh sait ainsi, avec une grand justesse, c’est-à-dire sans pathos mais avec gravité, nous faire partager les doutes d’Ava, naturalisée française sans qu’il soit possible d’en douter et pourtant encore un peu apatride, au fond d’elle-même. Ava et Simon peuvent finalement aller au mariage. Lui n’aura jamais pris ombrage de l’épreuve imposée avant d’être accepté sur la terre d’Israël. Elle, si elle en fut parfois indignée, tout au moins inquiétée, n’a ressenti ni colère, ni rancune. Elle a accepté d’emblée l’idée que la situation du pays impose de tels interrogatoires – en cela le roman évite tout manichéisme. Elle n’en aura pas moins vécu ces heures à répondre à tant de questions maintes fois répétées et souvent trop intimes, comme une épreuve, dont elle a fait aussi une occasion d’introspection, d’où ont pu surgir certains doutes existentiels qu’il lui faudra maintenant surmonter. Ou comment un roman qui, a priori, n’affiche guère de prétention particulière, ni formelle ni idéologique, peut s’avérer riche d’enseignements. Ce qui le rend d’autant plus intéressant.

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« L’Interrogatoire » de Suzanne Azmayesh. Éditions Léo Scheer. 18 €.

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