La visite à Paris de Yair Lapid à Emmanuel Macron va-t-elle atténuer le mur de réticences de la France envers Israël ? Les Israéliens ont appris que les phrases aimables n’ont jamais empêché les positions hostiles. Bien que l’amitié entre les deux dirigeants se soit déployée de façon spectaculaire, il y a encore loin de la coupe aux lèvres.

Il y a entre Emmanuel Macron et Yair Lapid de réelles affinités, outre le fait qu’ils ont tous deux été, à peu près à la même époque, Ministres des Finances dans un gouvernement dominé par leurs futurs adversaires politiques, Likoud pour l’un et Parti socialiste pour l’autre. Ils ont tous deux labouré le Centre et le « en même temps » n’est pas étranger à leur rhétorique.

Le parti de Emmanuel Macron s’est construit sur la confiance en un homme ; il a eu dans le passé la majorité au Parlement, alors que celui de Lapid, qui a dû et devra toujours passer des compromis, provient d’une assez longue histoire politique. Quant aux défis auxquels doit faire face Israël, il n’est pas besoin de rappeler qu’ils touchent des domaines existentiels que leurs correspondants français ont souvent du mal à prendre en compte.

L’Israël de la première génération de l’indépendance était dominé par le Mapai, le parti travailliste qui imposait un système économique très interventionniste et une mystique socialiste dont le kibboutz était le symbole ; à droite, dans l’opposition, un parti nationaliste, le Herout de Menachem Begin, opposé au collectivisme et attaché à un Grand Israël. La mise en cause du système d’économie dirigée par des électeurs plutôt travaillistes des classes moyennes et supérieures des grandes villes israéliennes, le même vivier électoral que la République en Marche en France, aboutit à la création d’un parti libéral sous l’acronyme de Dash , qui en 1977 devint le troisième parti du pays avant de disparaître, puis renaitre sous le nom de Shinoui, dirigé par Tommy Lapid.

Le Shinoui disparait aussi à cause de scissions internes, puis de la concurrence du nouveau parti centriste Kadima de Sharon. Il ressuscite en 2012 sous la direction de Yair Lapid, fils de Tommy, avec le nouveau nom de Yesh Atid. L’échiquier politique du centre est en Israël particulièrement encombré et mobile. Cette fragmentation, qui est facilitée par le système électoral de proportionnelle intégrale, paradis des petits partis, a entrainé un impressionnant affaiblissement du parti travailliste, mais n’a pas abouti, comme en France, à la création d’un parti puissant à la gauche de la gauche, ce qui relativise le poids des plus virulents opposants à la politique sécuritaire israélienne, plus présents dans les medias que dans les bureaux de vote.

L’émergence des partis religieux comme acteurs essentiels des coalitions politiques provient aussi de l’érosion des partis dominants, entamée par le parti libéral, alors que l’hostilité de Tommy Lapid et de son fils au pouvoir religieux sont légendaires.

S’il y a une connivence intellectuelle entre Emmanuel Macron et Yair Lapid, la comparaison de ce dernier avec Elisabeth Borne, devenue Premier Ministre à peu près en même temps que lui, est moins évidente.

Quoi de commun entre un cancre sans baccalauréat, fils d’une famille puissante de l’intelligentsia israélienne et une représentante emblématique de la méritocratie républicaine française, parvenue à force de travail aux premières places de l’école Polytechnique ?

Quoi de commun entre un magicien du verbe, journaliste vedette et auteur à succès et un ingénieur plus à l’aise dans les dossiers techniques que dans les paillettes médiatiques ?

Quoi de commun entre le père du premier, journaliste insatiable, patron de presse, dirigeant de parti, ministre de la justice, président du conseil de Yad Vashem et celui de la seconde, un taiseux qui s’est suicidé quand sa fille avait 11 ans ?

Ce qui relie le destin de Joseph Bornstein, dit Borne, d’origine juive polonaise et Tomislav Lampel dit Tommy Lapid, né en Voivodine, c’est la Shoah. Chacun y a perdu la plus grande partie de sa famille, mais si le tout jeune Tommy, sauvé grâce à Raoul Wallenberg, a opté pour l’Alyah, Joseph, accueilli à son retour d’Auschwitz par une famille normande, est resté en France.

Sans doute a-t-il souvent pensé à ses compagnons de l’Armée juive, dirigée par Abraham Polonski, Monsieur Pol, un homme que j’ai eu l’honneur de connaitre au soir de sa vie. L’Armée juive, ou organisation juive de combat, était une organisation profondément sioniste. Joseph Borne fut en France un héros de la résistance juive.

Ce n’est pas rien…

/www.desinfos.com


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