L’adieu à Uri Zohar.
Rarement la disparition d’une personnalité aura réuni toute la société israélienne dans la même tristesse. C’est qu’Uri Zohar avait une place à part.
Artiste aux talents multiples devenu une figure rabbinique du monde orthodoxe, il est à lui seul tous les visages d’Israël et tous ses paradoxes. Il est d’abord le visage du jeune Israélien sûr de lui, libre et jouisseur des années de la bohème et de la joie de vivre qui atteindra son sommet durant la période post-guerre des Six Jours.
Il est la culture israélienne qui s’exprime dans la musique, dans le cinéma, dans la télévision qui fait ses débuts. Uri Zohar est un acteur, mais aussi un cinéaste qui sera une des figures de la Nouvelle Vague israélienne, avec deux films présentés au Festival de Cannes à la fin des années 60, mais aussi celle du cinéma populaire, désinhibé comme dans son film devenu culte des « Metzitzim », les Voyeurs.
Ses sketches télévisés de son émission « Loul », le poulailler ont fait hurler de rire des générations d’Israéliens, dont il décrivait affectueusement les travers et les défauts, ceux d’un pays qui se découvre, cherche à se créer sa propre identité, l’identité israélienne, des olim, des religieux vus par les laïcs, qui ont du mal à se comprendre.
Sa parodie du concours biblique reste un morceau d’anthologie, tout comme le sketch des nouveaux immigrants, dont chaque vague regarde avec mépris celle qui la suit. Des situations qui parlaient à tous les Israéliens de l’époque et qui font encore rire ceux d’aujourd’hui. Surtout qu’Uri Zohar avait trouvé son alter ego, son complice avec le chanteur et comédien Arik Einstein, qui partageait avec lui le même sens de la dérision et la même liberté, qui avait soudé entre eux une véritable fraternité.
Jusqu’à ce qu’Uri Zohar, le ludion qui se moquait de tout, se tourne vers la religion. Il amorce le virage au milieu des années 70, commence à respecter le Shabbat, se met à étudier et s’éloigne peu à peu du milieu artistique, qui ne comprend pas sa métamorphose. Et c’est pour son ami Arik Einstein, que la rupture est la plus douloureuse. Il écrit « Hou H’azar Bi’Tchouva », il est revenu à la religion, une chanson où la petite mélodie lancinante raconte le chagrin de ne plus comprendre celui qui est encore son frère, mais qu’il ne peut plus suivre sur son nouveau chemin. Et cela aussi parle aux Israéliens et des Israéliens, dont la société jusque-là majoritairement laïque, commence à renouer avec la composante religieuse et spirituelle de son identité.
Car Uri Zohar a brûlé les ponts derrière lui. Il a renoncé à son monde d’avant pour avancer vers celui de la Torah, et s’est engagé dans l’étude, jusqu’à être ordonné rabbin. Et le Rav Uri Zohar devient une figure du monde orthodoxe. Ses boucles et son torse nu qui ont fait place aux costumes et au chapeau noir et sa barbe, blanchie par les années, sont pourtant la continuité du même homme, celui dont on reconnait le sourire qui ne l’a jamais quitté.
Pas plus qu’il n’a quitté son ami de toujours, puisque les deux filles d’Arik Einstein ont fini par épouser les deux fils ainés d’Uri Zohar. Et les deux frères ennemis et d’élection sont devenus les patriarches d’une seule et même tribu, unis par leurs petits-enfants. Et cela aussi, c’est une histoire israélienne, celle que connaissent de nombreuses familles où se mêlent orthodoxes et non religieux, qui apprennent à se connaitre et à coexister. Ce 2 juin, la tristesse et les larmes étaient les mêmes, dans le monde du spectacle et dans celui de la Torah, pour le chanteur Aviv Gefen, comme pour le leader du Shas Arié Derhy, quand ils ont rendu hommage à Uri Zohar.
Pascale Zonszain
Radio J