Au Théâtre Edouard-VII, à Paris, le chanteur et comédien Amir Haddad joue « Sélectionné » avec une conviction chaleureuse

Il avait un sourire éclatant, de larges épaules. C’était un nageur, un grand champion, qui riait comme Henri Salvador et marchait comme Charlie Chaplin. Il s’appelait Alfred Nakache, et il a donné son nom à plusieurs piscines en France. Né à Constantine, en Algérie, en 1915, il est mort sur l’autre rive de la Méditerranée, à Cerbère, dans les Pyrénées-Orientales, en 1983. Il y a trois ans, il est entré au panthéon de sa discipline, l’International Swimming Hall of Fame de Fort Lauderdale, en Floride, aux Etats-Unis, où il a rejoint des célébrités telles que Johnny Weissmuller. En ce moment, il est au Théâtre Edouard-VII, à Paris, dans Sélectionné , une pièce qui retrace sa vie, hors du commun.

A Constantine, la ville des ponts suspendus, il y a des gorges et des rivières, où le jeune Alfred Nakache, deuxième des onze enfants d’une famille juive, s’est découvert, à 10 ans, une passion pour la natation qui ne l’a plus lâché, et qui allait le sauver. En 1933, il rejoint le Racing Club de France, à Paris. En 1936, il est sélectionné pour les Jeux olympiques de Berlin. Cette année-là, il se marie avec Paule, son amour de jeunesse, sportive comme lui tous les deux sont professeurs de gymnastique. Il enchaîne les médailles (cinq lors des championnats de France, en 1938), bat le record du monde du 200 mètres brasse, en 1941. Un an plus tard, il est banni des bassins, en raison des lois antijuives.

Le 20 décembre 1943, Alfred Nakache, sa femme Paule et leur toute petite fille, Annie, sont arrêtés sur dénonciation à Toulouse, où ils vivent. Un convoi les mène à Auschwitz. Dès leur arrivée, ils sont séparés par un « Rechts » (« à droite ») pour sa femme et sa fille, et un « Links » (« à gauche »), pour lui, en qui un officier a reconnu le grand champion. Affecté à l’infirmerie, Alfred Nakache aide les détenus comme il peut, et, dès qu’il parvient à échapper à la surveillance des SS et des kapos, nage dans l’eau du bassin à incendie.

Il a 30 ans quand, en avril 1945, il revient à Toulouse, affreusement amaigri et seul. Il découvre, ému, une piscine que la municipalité, le croyant disparu, a baptisée de son nom. Il attend le retour de sa femme et de sa fille, mais, en 1946, il apprend qu’elles ont été gazées peu après leur arrivée à Auschwitz. Peu à peu, Alfred Nakache retrouve les bassins. Il renoue avec les records et avec la vie, rencontre une Sétoise, Marie, qu’il épouse. Après les Jeux olympiques de Londres, en 1948, il arrête la compétition et redevient professeur d’éducation physique. Pendant les « trente glorieuses », il entraîne des générations de nageurs. Quand il prend sa retraite, à Cerbère, il nage tous les jours un kilomètre. Sur les photos, on le voit le plus souvent avec son grand sourire.

Au Théâtre Edouard-VII, Amir Haddad a lui aussi un sourire éclatant. Le chanteur, auteur, compositeur (représentant de la France à l’Eurovision en 2016) et comédien franco-israélien de 37 ans porte beau. Pieds nus, vêtu de clair, il est seul en scène et parle à la première personne, avec une conviction chaleureuse. Ainsi le veut le texte de Marc Elya, qui retrace la vie d’Alfred Nakache d’une manière honnête et didactique. Il se garde de jouer sur le pathos, et insiste sur ce que certains aujour d’hui appelleraient la résilience. « On n’oublie rien, mais on avance (…), on répare. » A la fin, le public, conquis, se lève comme un seul homme.

Source : Le Monde

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