A quelques jours de l’élection….
Richard Prasquier
jeudi 21 avril 2022
L’élection de Marine Le Pen serait un cataclysme pour la quasi totalité des économistes, tel le Prix Nobel français Jean Tirole, ainsi que des responsables de pays démocratiques . Une France irrémédiablement affaiblie, aux basques de la Russie, dans une Europe en miettes, sans compter les troubles civils et la fuite en avant vers la recherche de boucs émissaires qui risqueraient de survenir, malgré les promesses de « concorde retrouvée ».
Aujourd’hui ce risque est faible. Les sondages montrent l’érosion du socle électoral de la Présidente du Rassemblement National et ce n’est pas le débat télévisé d’hier qui va changer la donne. De 52/48 au soir du premier tour, l’écart s’est accru à 56/44 le 19 avril.
Pour mémoire, le résultat de 2017 était de 66/34. Marine Le Pen aurait progressé de 10 points : insuffisant mais hautement significatif : au premier tour 55% des électeurs qui ont voté l’ont fait pour des candidats anti-système. Parmi ceux qui n’ont pas voté, leur ressentiment est plus fréquent encore.
Le doute s’est installé pour ceux qui ont compris que raser gratuit n’est pas un programme économique viable. Il s’agit presque d’une découverte, tant les analyses d’avant premier tour se concentraient sur la « nouvelle Marine », calme au milieu des trahisons, proche des derniers de cordée, et mentionnaient à peine que son programme était irréalisable.
La divulgation de ses liens avec Poutine qu’elle avait su esquiver jusque-là a joué aussi, et ceux qui restent ses électeurs sont parmi les plus perméables à la propagande russe. Je ne suis pas sûr, malheureusement, que les alertes sur l’antisémitisme de son père et de son entourage aient eu beaucoup d’effets..
L’inconnue de cette élection, c’est l’abstention. Un dimanche ensoleillé passé à la campagne, des enfants à conduire ou à ramener de vacances de Pâques, le souhait que Marine Le Pen soit battue, mais que Macron n’obtienne pas un score trop brillant à la Chirac …Et puis l’exaspération de ces électeurs de Mélenchon qui plutôt que d’aller à la pêche comme leur leader le conseille, voteront Le Pen « pour qu’un électro-choc survienne »…D’après les algorithmes, une augmentation même modérée de l’abstention chez des électeurs de Macron convaincus que l’élection est « pliée » aurait des effets majeurs sur le résultat.
Avec cette campagne, il semble que nous soyons entrés dans une nouvelle période où, comme le dit la philosophe Monique Canto Sperber, les partis traditionnels sont à la peine devant des « mouvements ». Les partis reposent sur une doctrine, les mouvements ciblent des victimes.
La France Insoumise et le Rassemblement National, leurs noms l’indiquent, sont des mouvements plus que des partis. Dans une France fragmentée, ils cherchent à séduire des catégories de votants très différentes de leur électorat historique. Avec ce marketing politique, LFI est devenu le parti des précaires, des musulmans, des islamistes et des wokistes, le RN celui des colères accumulées dans les territoires oubliés de la République.
Lorsque la doctrine est secondaire, il faut un chef pour enclancher les variations de cap. Il s’appuiera sur des mots totems, la Gauche pour Mélenchon, la Nation pour Marine Le Pen, mais la gauche de Mélenchon n’est pas celle de Jaurès et la Nation des amis de Marine Le Pen n’est pas la nation inclusive de la tradition française, une communauté d’idées et d’espérances.
Le succès d’un mouvement conduit à la phagocytose des partis proches, ce processus physiologique où la cellule avale un corps étranger pour le transformer en partie d’elle-même. LFI espère phagocyter la social démocratie, l’écologie et l’extrême gauche révolutionnaire et Mélenchon se rêve déjà en Premier Ministre imposé par les législatives….
A droite la lutte sur les recompositions commencera après le deuxième tour.
La République en Marche, qui n’est pas un parti mais un mouvement construit sur l’idée-totem de progrès et sur le soutien à un chef charismatique, parait sur le point de phagocyter la gauche socio-libérale et la droite libéralo-sociale. C’est la première fois dans l’histoire de la République qu’un mouvement centriste aspire des partis de droite et de gauche. Le MRP, les gaullistes de gauche, Lecanuet et Bayrou en avaient rêvé ; Giscard avait théorisé le consensus des deux Français sur Trois. Tous ont échoué, alors qu’Emmanuel Macron a réussi.
Mais il lui reste à pacifier une France où le ressentiment est massif, tout en renforçant « en même temps » les moyens régaliens d’une République laïque sans complaisance pour ceux qui veulent la détruire.
Il aura beaucoup à faire.