La visite en Turquie du président israélien Itzhak Herzog ouvre de nouveaux horizons à deux pays qui, malgré une diplomatie tendue, veulent exploiter leurs liens économiques croissants au profit d’un pragmatisme politique.

Les relations étaient pratiquement en sommeil depuis 2008 et les ambassadeurs n’étaient plus en poste. Herzog est le premier dirigeant israélien à se rendre en Turquie. Les observateurs imputent cette ouverture au départ de Benjamin Netanyahou et à l’arrivée d’un nouveau gouvernement plus enclin à négocier. La Turquie sait qu’elle sera à terme la gagnante d’une reprise diplomatique.

Malgré des relations diplomatiques gelées, les Israéliens n’ont jamais rompu les liens commerciaux qui, au contraire, ont progressé de manière permanente. Les hommes d’affaires des deux bords ont ignoré le conflit. Le commerce bilatéral, qui s’est élevé en 2021 à un record de 8,4 milliards de dollars a progressé de 34%, chacune des parties trouvant son compte. L’objectif final des deux pays est de construire un pipeline pour acheminer le gaz israélien vers l’Europe en traversant la Turquie.

Parce que les deux armées étaient en totale collaboration, les services de renseignements ont toujours maintenu des contacts qui ont permis aux diplomates de discuter. Le Mossad n’a pas cessé de faire pression sur son gouvernement pour le convaincre que la Turquie avait changé et qu’elle agissait avant tout selon ses intérêts militaires et économiques plutôt que selon ses intérêts idéologiques. Pour preuve l’affirmation d’un haut fonctionnaire turc : «Je pense que les Israéliens voient maintenant que la Turquie est un État sérieux avec des moyens et une stratégie rationnelle dans la région qui n’a pas pour but de saper qui que ce soit, mais protège uniquement ses intérêts».

De son côté, Israël a acté la volonté des États-Unis de se désengager de la région en envisageant de signer un accord nucléaire avec l’Iran. Israël a donc intérêt à neutraliser tout lien entre la Turquie et l’Iran, même s’il faut se méfier des changements répétés d’humeur des Turcs qui trouvent toujours une excuse pour rompre les avancées politiques. En 2018, ils avaient pris pour prétexte des troubles à la mosquée Al-Aqsa pour mettre fin aux pourparlers. Mais pour contenir l’Iran, il est indispensable de s’allier avec un pays dont les capacités militaires sont considérables. Les évènements du Haut-Karabakh en 2020 et d’Afghanistan en 2021 a convaincu les deux pays à mettre fin à leur brouille d’autant plus que l’Azerbaïdjan est leur allié commun en tant que fournisseur de matériel militaire pour repousser les forces arméniennes.

À la suite des accords d’Abraham, le rapprochement avec la Turquie est rassurant pour Israël. Après le départ des Américains, il est important que l’ordre régional soit assuré par les deux plus grandes armées de la région. Mais les Turcs restent prudents en annonçant que les nouveaux liens avec Israël ne représentent pas une alliance contre l’Iran, mais ils s’opposeront à toute tentative de l’Iran de mener des actions secrètes dans leur pays.

Hamas et Fatah en Turquie

La question sensible à régler reste évidemment le Hamas. Les Israéliens s’opposent à la présence en Turquie de dirigeants islamistes actifs, hébergés, financés et soutenus à Istanbul. Pour les dirigeants turcs : «Il n’y a eu aucun changement dans la politique de la Turquie vis-à-vis du Hamas. Comme avant, la Turquie ne permettra pas au Hamas de mener des attaques en Israël. Et c’est le cas depuis de nombreuses années».

Mais la pierre dans la chaussure d’Erdogan reste son rôle avec la Hamas qui sape la confiance avec l’Occident. D’ailleurs, les États-Unis avaient condamné le président turc pour avoir rencontré à Istanbul des dirigeants du Hamas en grandes pompes. Erdogan avait reçu une délégation du Hamas dirigée par le chef de son bureau politique, Ismail Haniyeh, et comprenant le chef adjoint Saleh Al-Arouri, recherché aux États-Unis en tant que terroriste. Selon le Département d’État, Al-Arouri, qui a aidé à mettre en place la branche armée du Hamas, a été lié à plusieurs «attaques terroristes, détournements et enlèvements». Les Américains ont offert une récompense de 5 millions de dollars pour toute information menant à sa capture. Ils sont de plus en plus préoccupés par les relations croissantes de la Turquie avec le Hamas. Le Parti de la justice et du développement (AKP) d’Erdogan et le Hamas sont tous deux liés aux Frères musulmans. Ces relations avec le Hamas seront certainement au centre des discussions entre Herzog et Erdogan.

Gaz israélien

Cependant le gaz est une nouvelle donnée, surtout en cette période de tension avec la Russie. Les réserves de gaz naturel d’Israël sont estimées à 800 milliards de mètres cubes. Les Turcs et les Israéliens voient une perspective politique nouvelle dans la construction d’un pipeline dans l’est de la Méditerranée pour alimenter l’Europe. Un projet israélien de construction d’un gazoduc depuis son champ gazier Léviathan vers Chypre puis vers la Grèce s’est effectivement effondré après que les États-Unis aient retiré leur soutien au projet car ils risquaient une rupture avec Chypre et la Grèce. Les Turcs voient loin car ils lorgnent sur un éventuel gaz libanais qui pourrait utiliser le même pipeline. Mais le Liban et Israël sont toujours brouillés et la conclusion d’un accord entre eux n’est pas pour demain. Certes le gaz israélien n’a pas vocation à remplacer celui de la Russie, mais en ces temps perturbés, il permet de diversifier les ressources européennes.

Les relations entre Israël et la Turquie sont caractérisées par un manque de confiance mutuelle et il sera difficile de restaurer le sentiment positif à l’égard de la Turquie qui existait dans les années 1990. Erdogan est perçu comme un ennemi d’Israël en raison de son soutien indéfectible à la cause palestinienne, voire au Hamas et au terrorisme. Mais Herzog veut restaurer la confiance pour atteindre les objectifs politiques.

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Jacques BENILLOUCHE

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