IsraelValley ne s’étonne pas vraiment lorsque nous apprenons que des startups israéliennes s’installent presque exclusivement à Paris. Un excellent article en donne les raisons…
Selon (1) : Utilisée au XXe siècle, la formule « Paris et le désert français » pourrait-elle revenir à la mode ? Cette fois pour décrire l’écosystème des start-up en France. La question reste osée et provocatrice. Mais traverse l’esprit de qui jette un œil aux indicateurs de la filière. Un chiffre captive surtout l’attention : l’Île-de-France concentre à elle seule 81 % des levées de fonds réalisées par les start-up hexagonales. Plus précisément des montants récoltés par ces entreprises innovantes. C’est ce que révèle le dernier baromètre du capital-risque en France (pour le premier semestre 2021), édité par le cabinet EY. Les autres régions sur le podium se trouvent reléguées à des années-lumière de la capitale : Auvergne-Rhône-Alpes attire seulement 5 % des financements, l’Occitanie 2 %, les Pays de la Loire 1 %.
1,2 milliard d’euros levé à Paris en 24 heures.
Et la rentrée 2021 a encore davantage braqué les projecteurs sur Paris. Fin septembre, les franciliens Vestiaire Collective, Sorare et Mirakl ont levé la bagatelle de 1,23 milliard d’euros… en l’espace de 24 heures. Certes, le baromètre EY précise que la région parisienne ne concentre « que » 60 % des deals, si l’on raisonne en nombre d’opérations réalisées. Mais cela reste toujours beaucoup plus que son poids économique et démographique en France.
Seules 7 pépites du Next 40 en province.
Autre indicateur illustrant l’hégémonie parisienne : le label French Tech 120. Il s’agit d’une sélection de jeunes pousses prometteuses – ayant le potentiel pour devenir des leaders de rang mondial – et à qui l’État français offre un programme d’accompagnement (aide au financement, présence dans des délégations à l’étranger…). Parmi elles, 70 % ont un siège en Île-de-France. Dans cette liste, la crème de la crème possède le label Next 40, sorte de CAC 40 des start-up et licornes tricolores (la cotation en Bourse en moins). Dont Mano Mano, Deezer et Blablacar. Et là aussi la capitale domine de la tête et des épaules : 82,5 % ont établi leur siège en région parisienne. Avec seulement sept représentants de la province : les lillois OVH et Exotec, le nantais Akénéo, le rennais Klaxoon, le lyonnais Lumapps mais aussi Kineis (basé à Toulouse) et Skeepers (Marseille).
Pourquoi une telle concentration en France ? « Historiquement, les premiers incubateurs et accélérateurs ont plutôt émergé à Paris. La plupart des fonds de capital-risque y sont aussi installés. Sans parler du vivier d’étudiants et de grandes écoles présent sur le territoire », explique Franck Sebag, associé au sein du cabinet EY et auteur du baromètre du capital-risque.
1 000 start-up séduites par Station F
Vitrine glamour de l’écosystème français, la Station F, un espace de 34 000 m² créé en 2017 par Xavier Niel à Paris, dans le 13e arrondissement, illustre parfaitement cet alignement de planètes favorable aux jeunes pousses. Pas moins de 1 000 start-up gravitent au sein de ce véritable campus… Puisqu’il est même possible de loger à proximité dans l’un des 100 appartements en colocation (600 chambres) mis à disposition. La stratégie : tout concentrer au même endroit.
Dans cette ancienne gare, proche d’Austerlitz, les entrepreneurs accèdent à près de 30 programmes, souvent parrainés par des grands groupes : ici un accélérateur de L’Oréal pour start-up de la beauté, à quelques pas un autre axé cybersécurité avec Thales… « Station F ouvre aussi l’accès à une communauté de plus de 200 investisseurs, français, anglais, ou américains comme Accel Partners, très présent dans la Silicon Valley », indique Marwan Elfitesse, responsable des programmes start-up à la Station F. S’y croisent aussi des célébrités, telles que le fondateur d’Airbnb Brian Chesky, la numéro deux de Facebook Sheryl Sandberg… Des start-up connues comme Luko Yuka ou Mimesys y sont passées. Un vrai bouillonnement qui attire les porteurs de projets. « Pour les entrepreneurs, c’est aussi l’occasion de se benchmarker en comparant leurs expériences respectives, pour se donner une pression positive », précise Marwan Elfitesse. « L’objectif est qu’une année ici leur apporte autant que dix ans à l’extérieur », résume-t-il.
Levées de fonds régionales en hausse.
Paris attire. Mais son succès empêche-t-il de réussir ailleurs ? Évidemment, la réponse est non et les régions regorgent de belles aventures entrepreneuriales. Outre les exemples de pépites écloses ici et là, les levées de fonds en régions progressent en valeur absolue depuis trois ans. En gardant comme référence le baromètre du capital-risque d’EY, celles-ci ont bondi de 970 millions en 2018 à 1,5 milliard en 2019. Après un tassement en 2020, elles sont remontées en flèche au premier semestre 2021 (près de 1 milliard d’euros en juste six mois !). Un début d’année où la FrenchTech a battu un record : les start-up de l’Hexagone ont levé au total plus de 5 milliards d’euros. Ainsi, ces dernières semaines, le producteur d’hydrogène nantais Lhyfe a levé 50 millions d’euros, le chimiste auvergnat Afyren 65 millions, la biotech toulousaine Agronutris 100 millions et l’éditeur montpelliérain de cartes de gestion des avantages salariaux Swile 175 millions.
Paris, un porte-drapeau à l’international.
Ce déséquilibre entre Paris et les régions doit aussi être relativisé. Car contrairement à ce qu’on pourrait penser, cette polarisation n’a rien de franco-française. « La plupart des grands pays possèdent un grand pôle qui concentre la majeure partie de l’écosystème. Aux États-Unis, la Silicon Valley pèse cinq fois plus que New York d’après certains indicateurs. Londres écrase le Royaume-Uni, Stockholm la Suède… À l’exception de l’Allemagne qui abrite des écosystèmes forts à Berlin et Munich », contextualise Franck Sebag. « Aux États-Unis, la Silicon Valley représente 50 % des investissements dans les start-up américaines. L’essentiel des sociétés de capital-risque se trouvent dans une même rue, la Sand Hill Road, à Palo Alto », ajoute Olivier Ezratty, consultant en innovation et auteur du Guide des startups.
Utiliser la capitale comme tremplin.
Paradoxalement, de nombreux experts voient plutôt cette concentration comme un atout. « Avoir une ville porte-drapeau de son pays offre une visibilité à l’international, cela aide notamment à attirer des investisseurs étrangers en France », constate Franck Sebag. En témoigne l’arrivée des fonds américains KKR et General Atlantic, du chinois Tencent ou du japonais SoftBank, nouveau venu qui a d’ailleurs investi dans Sorare et Vestiaire Collective. « Depuis deux ans, ces fonds renforcent encore le poids de Paris, où l’on passe d’un tissu de start-up à un écosystème de scale-up aujourd’hui », observe Franck Sebag.
Les start-up françaises découvrent aussi un joli terrain de jeu dans la capitale. « Profitons de Paris comme d’un tremplin pour décoller », invite Olivier Ezratty. Parce qu’on y trouve un gros marché (pour vendre), un écosystème, mais aussi une passerelle pour s’ouvrir au monde et à l’export… »Une start-up ambitieuse, qui souhaite devenir une ETI ou une licorne doit viser un marché mondial, ne serait-ce que pour des économies d’échelle. Il faut donc attaquer les grands marchés, en passant par Paris ou en allant directement à l’étranger. Sachant que, dans le numérique, les États-Unis concentrent 33 % du business mondial. C’est aussi là que se définissent les grands standards internationaux. »
L’option start-up multisites.
La solution pour les créateurs en province ? Une présence « multisites » dont Paris, voire une organisation en 100% télétravail avec des salariés éparpillés tous azimuts. Franck Sebag et Olivier Ezratty convergent sur ce point. « La localisation d’une société ne doit pas constituer un frein à sa croissance. Il faut se rendre là où se trouvent les écosystèmes… Ce qui n’empêche pas de maintenir l’emploi sur son siège d’origine », affirme le premier. « Mieux vaut ne pas rester uniquement chez soi. La plupart des boîtes qui réussissent ont un pied dans trois villes à la fois », constate le second.
Une stratégie partagée par beaucoup. C’est le cas du toulonnais Égérie, expert en gestion des risques cyber. Si la jeune pousse (60 salariés, 4 M€ de CA) conserve son siège et sa R & D dans le Var, elle a ouvert des bureaux parisiens à ses équipes commerciales et marketing. Ses fondateurs couvrent chacun l’une des deux villes, distantes de 4 heures de train. « Égérie travaille pour des grands comptes. Et les décisions en matière de cybersécurité se traitent au niveau des gouvernances, donc souvent en région parisienne », explique son cofondateur Jean Larroumets. Une passerelle aussi pour attaquer l’international. Car Égérie cible entre autres les marchés britanniques et allemands. « Ça reste plus facile de voyager au départ de Paris/Charles de Gaulle que de Marseille. Il y a plus des destinations, moins d’escales », ajoute le chef d’entreprise.
Difficile de recruter en dehors de Paris ?
Autre nerf de la guerre : le recrutement. « Il est plus facile de recruter des personnes ayant des compétences dans le numérique à Paris que dans le reste de la France », soutient Frédéric Mazzella, le fondateur et président de la plateforme de covoiturage Blablacar. Ce Vendéen assure qu’il n’aurait pas réussi à recruter dans sa région d’origine tous les profils nécessaires au bon développement de Blablacar, qui s’est opéré depuis Paris, avec notamment une levée de fonds de près de 100 millions d’euros au printemps 2021.
En Lorraine, William Boiché a fait le même constat. Basé à Nancy, le cabinet comptable digital et automatisé Compta Clémentine a été « un peu contraint d’ouvrir des bureaux sur Paris » car « certaines compétences sont quasi-impossibles à trouver sur le bassin Lorrain », confie le président de cette start-up de 200 salariés également basée à Épinal et Marseille. Et qui mise donc aussi bien sur Paris que sur les régions. « À l’inverse, il y a aussi des métiers plus faciles à recruter en région : des profils de commerciaux, dans la relation client, etc., avec des salaires moins élevés qu’à Paris », ajoute l’entrepreneur.
Dans la capitale, sa start-up a aussi démultiplié les opportunités de partenariats. Compta Clémentine et la néobanque Qonto ont ainsi lancé une offre couplée : compte bancaire + logiciel comptable. Via un système d’affiliation. « Ici, on rencontre une foule de start-up de son domaine d’activité dans son quartier ou sa rue à la Station F… ça fourmille de partout, note encore William Boiché. On mange ensemble le midi avant de se retrouver le soir dans des réseaux professionnels. À Nancy, je rencontre peu de start-up qui nous ressemblent. » Pas question toutefois de quitter la Lorraine. « Pour se développer rapidement, il est obligatoire d’avoir un tremplin. Mais une grande start-up ne doit pas se contenter de la capitale non plus, affirme William Boiché. Paris et les régions doivent fonctionner ensemble. »
Miser sur des écosystèmes spécialisés.
Quid des autres options, en dehors d’une présence à Paris et/ou à l’étranger ? Comment densifier les écosystèmes régionaux ? Certains misent sur le recrutement en télétravail, très répandu dans le numérique. Une autre piste consiste à se rapprocher de l’enseignement supérieur et de la recherche, selon Olivier Ezratty. « Cette proximité stimule généralement le dynamisme des écosystèmes. C’est ce qui explique entre autres que Lyon, Grenoble, Montpellier ou Lille se portent bien, explique le consultant en innovation et technologies quantiques. Il y a un potentiel. En France, la recherche scientifique n’est pas assez valorisée encore. Les laboratoires abritent des trésors qui ne demandent qu’à être exploités ». Une solution, au passage, « pour relever le niveau scientifique des start-up, relativement bas pour l’instant ». Et aller vers les deeptech, qui proposent des innovations de rupture.
Pour constituer un terreau favorable en régions, « une autre solution consiste à bâtir des pôles d’excellence spécialisés », ajoute Franck Sebag. C’est une des stratégies mises en place à Lille autour du retail ou à Laval autour de la réalité virtuelle. À la tête de l’accélérateur P. Factory à Marseille, Patrick Siri abonde dans ce sens : « Pour garder de bonnes start-up en région, il faut créer ou faire renaître des filières, c’est l’avenir ». Le Marseillais cite notamment l’exemple du médical, secteur très développé dans sa région. « À Paris, un porteur de projet axé sur la santé se retrouvera vite noyé dans la foule. Alors qu’à Marseille, il accède à tout un environnement : avec l’Université, le pôle de compétitivité Eurobiomed qui pilote un accélérateur, des sociétés comme Sartorius Stedim Biotech, Provepharm qui vient de lever 100 millions d’euros, des start-up comme la plateforme de télémédecine Rofim, etc., argumente Patrick Siri. Il trouvera ici un réseau, des talents, l’accès à des fonds et une visibilité. En gros, tout ce que recherche une start-up. » La province n’a donc pas dit son dernier mot.
(1) lejournaldesentreprises.com