En mai dernier, le restaurant et l’hôtel de charme de la vieille ville arabe d’Akko d’Uri Jeremias ont été brûlés par des émeutiers arabes. Son personnel a échappé de peu aux flammes et un résident de l’hôtel Efendi, pris au piège, a succombé. Les cendres avaient à peine refroidi que le chef retroussait ses manches pour reconstruire.  « On ne va pas partir. Cela donnerait l’impression aux extrémistes qu’ils ont gagné. On ne va pas se laisser submerger. La vie continue, notre langage est la cuisine et notre expression est sociale », lançait-il, face à la mer, devant les ruines calcinées de son établissement quelques jours après la mise à sac. Il a tenu parole. Son Palais Efendi, joyau d’architecture, a rouvert cet été. Et son restaurant provisoirement délocalisé à l’entrée de la zone industrielle sud de la ville en attendant sa remise en état fait salle comble.

Il est l’un des pères fondateurs d’une gastronomie israélienne contemporaine portée par les vagues de la cuisine fusion et du «manger sain». Né d’une mère polonaise et d’un père allemand, il fuit les bancs de l’école de Nahariya, une petite ville côtière proche de la frontière libanaise. Son univers est marin. Il pêche, plonge, ramasse des coquillages. Il est encore mineur quand il part pour l’Europe au début des années 1960 et sillonne ce continent en auto-stop de la Grèce à l’Allemagne. De retour au bercail, il suit une formation militaire de mécanicien dans l’aéronautique. Il reprend le large après la guerre du Kippour de 1967. C’est l’époque hippie. Uri Jeremias prend la route des Indes à bord d’un minibus Volkswagen depuis l’Allemagne. Ses pérégrinations le conduisent à Katmandou.

À Goa, où il séjourne longuement, le voyage initiatique en Orient vire à la mystique culinaire. Il découvre des saveurs nouvelles et assaisonne les crevettes et les requins indiens à sa sauce. Une passion est née, mais sa vocation entrepreneuriale est tardive. Convaincu par les amis qu’il régale, il ouvre un restaurant de produits de la mer en 1988 à une époque où, dans l’esprit des Israéliens, le poisson doit être frit. Dix ans plus tard, il déménage l’établissement de Nahariya à Akko, «parce que la ville est mixte et a de beaux poissons» . Il reçoit les clés un vendredi, le dimanche ses vitres volent en éclats. L’intrus rend visite aux nouveaux voisins, promet de ne pas fermer tard et de ne pas passer de la musique à fond comme les précédents tenanciers. La greffe prend. Les petits commerçants et les artisans du cru, qu’il salue en déambulant par les ruelles, sont devenus amicaux.

À 77 ans, Uri Jeremias a passé les fourneaux à Ali Mar’i, un musulman de sa région, flanqué d’Ahmed Chadra. « Je les ai formés, comme tout le personnel qui travaille i ci. Ils me remplacent ; moi, je parle», plaisante-t-il. «On apprend le métier aux apprentis et on les garde s’ils sont bons. Ils viennent de tous les horizons, sans distinctions de race, de religion ou d’orientation sexuelle» , commente le patron. Dans les cuisines règne un silence de monastère. Pas de sonneries, pas de paroles, ni d’ordres claironnés, chacun est à sa tâche pour « jouer avec un nombre limité d’ingrédients une symphonie». «Si les plats sont trop compliqués, on bascule dans la cacophonie» , explique-t-il. Durant la longue fermeture due au Covid, le restaurateur s’est reconverti en traiteur gratuit pour personnes âgées de toutes confessions. Son équipe concoctait les mets qu’il aime dans un local prêté par la mairie. Les repas étaient servis à domicile par des livreurs qui s’attardaient pour bavarder et rompre la solitude des confinés.

Sa réserve de 2000 bouteilles israéliennes et étrangères a résisté à la chaleur du sinistre. « Les experts ont conclu que le vin n’a pas été endommagé. Cela ne tient pas du miracle mais de la nature des pierres des murs de la cave. Les plus anciennes remontent à l’époque où ce lieu était une église des Croisés, les couches supérieures datent de la période mamelouke, puis ottomane », explique-t-il. Les vins stockés ailleurs ont dû passer à la trappe, mais peu lui importe. « J’ai été attaqué car j’aide à la coexistence entre communautés. C’est le combat de ma vie. Ils ont voulu détruire la colombe de la paix, ils ont rencontré le phénix» , dit le chef.

Source : Le Figaro

Partager :