CULTURE WEEK-END. Aux yeux de tous, Jérusalem n’est que le terrain d’une guerre vieille comme le monde. Mais derrière la politique et la religion se cache une Jérusalem underground où un groupe de skatteuses se bat pour faire entendre sa voix.
Dans l’imaginaire collectif, la cité trois fois sainte est perçue comme une ville musée, peuplée de lieux cultes envahis par des hordes de touristes et de pèlerins, comme une ville dangereuse, régulièrement meurtrie par les violences du conflit israélo-palestinien, comme une ville sectaire, dominée par une majorité de juifs ultra-orthodoxes qui imposent aux habitants leur mode de vie austère. Mais Jérusalem est aussi une ville qui fourmille de culture et de modernité.
Toucher les gens, c’est le credo des Jerusalem Skater Girls, un collectif de skatteuses qui vivent à Jérusalem. Ces 10 filles ont créé le premier groupe de skate féminin. Féministes et sportives, elles veulent changer les mentalités en ridant sur leur planche et que, enfin, les femmes trouvent leur place.
Maayan et Paola. Photo Dror Elnav
Avant que les Israéliennes Maayan Levi, d’origine marocaine, et Paola Ruiloba, d’origine panaméenne, ne créent le groupe Jerusalem Skater Girls, aucune femme ne fréquentait le skate park de Jérusalem. « Quand j’ai décidé de monter un collectif, il y a huit ans, j’étais la seule meuf qui skatait à Jérusalem« , raconte Maayan, étudiante hiérosolémitaine de 24 ans.
Rejetées par les hommes, les deux adolescentes décident à 16 ans de créer un groupe féminin de skate, supposant que d’autres filles aiment ce sport mais n’osent l’avouer. Une aventure sans aide extérieure: les skaters estimaient qu’elles n’avaient pas leur place dans ce milieu uniquement masculin.
Photo Asaf Etzion
Petit à petit, ces dernières sont sorties de l’ombre, et ont osé bousculer les stéréotypes en pratiquant leur passion au grand jour. Aujourd’hui, les JSG sont une petite dizaine et elles n’abandonnent pas. Même si les obstacles sont nombreux.
Se battre pour exister
À Jérusalem, JSG est ainsi le seul groupe de skate qui n’a pas de sponsors. Pour Mayaan, l’explication est simple: dans une ville où chaque opinion a une portée politique, être une femme sur une planche est « trop bizarre » et encore inacceptable. Elles ne sont pas non plus invitées aux compétitions officielles.
« Beaucoup de gens considèrent encore que le skate est un truc de mecs et ils ne nous prennent tout simplement pas au sérieux ».
Ces détracteurs motivent les JSG à agir pour les femmes aussi bien dans le sport qu’en tant que personne. Elles ne sont peut-être « personne à l’échelle mondiale » mais sont certaines de pouvoir faire changer les mentalités à Jérusalem. « On peut encore changer cette ville, la forcer à nous considérer« . Ce sont les raisons pour lesquelles les filles de Jerusalem Skate Girls ont organisé la première compétition de skate pour les femmes, en Israël, l’année dernière, sans un sou. Elles ont rencontré un succès inattendu.
Photo Asaf Etzion
Le skate comme “acte de paix”
Aujourd’hui, les mentalités évoluent doucement et le groupe accueille même des jeunes filles ultra-orthodoxes. Contrairement aux autres qui s’entraînent en short en jean et en débardeur, elles respectent les lois de la pudeur comme décrites dans la Torah – bras et jambes couverts – et ne skattent pas pendant Shabbat. « Ça calme un peu l’inquiétude de leurs parents« , rigole Paola, « on ne fait rien de mal, on ne les entraîne pas vers une chute immorale« . A Jérusalem, le skate park est un lieu préservé. À l’image de la ville, il a mille et une facettes.
« Le park est le miroir du brassage religieux de cette ville sainte. On y retrouve des juifs, des musulmans, des chrétiens, des traditionnalistes et des ultra-orthodoxes. Nous faisons tous partie de la même famille », décrypte Maayan.
« Jérusalem est une ville tendue et le skate park est notre ‘safe place’, l’endroit où les barrières tombent et qu’on peut se réunir autour de notre passion ». Arabes et Juifs y partagent la même passion mais « une fois sortis du park, la guerre reprend« . « Le skate, c’est notre acte de paix« , conclut Maayan.