Une quasi-décennie après la pose de la première pierre, la mosquée nationale du Ghana a été inaugurée en grande pompe, le 16 juillet, dans la capitale Accra. La « deuxième plus grande mosquée d’Afrique de l’Ouest » n’est autre qu’une réplique de la Mosquée bleue d’Istanbul, avec ses dômes et ses quatre minarets vertigineux.
C’est l’administration turque des Affaires religieuses, la Diyanet, qui a pris en charge cette construction, après avoir fait de même au Mali, au Soudan ou encore à Djibouti. Là, une immense mosquée Abdulhamid Khan II a ouvert en 2019. La première d’Afrique à porter le nom d’un sultan ottoman.
La construction de tels lieux de prière est la manifestation la plus visible du déploiement culturel et religieux de la Turquie sur le sol africain. Il s’inscrit dans une stratégie d’influence plus large, du commerce à la défense, qui vise à renforcer le prestige turc à l’international. C’est au milieu des années 2000, après que les portes de l’Union européenne se sont refermées, qu’Ankara a réorienté sa diplomatie vers les Balkans, le Moyen-Orient et l’Afrique.
La Turquie n’a pas, c’est indéniable, la force de frappe économique de la Chine. Mais elle dispose avec l’islam d’un atout de taille, alors que l’Afrique compte environ 400 millions de musulmans. « Les principales réalisations de l’Agence turque de coopération et de développement (TIKA) et de la Diyanet en Afrique se concentrent dans les pays à majorité musulmane », observe Olivier Mbabia, auteur de La Nouvelle Turcosphère. La Turquie en Afrique. Ce n’est toutefois pas le cas du Ghana, aux deux tiers chrétien.
Sur une bande sahélienne courant de la Mauritanie à la Somalie, la Turquie finance mosquées, écoles coraniques et lieux de formation d’imams. Des bourses sont proposées aux étudiants pour se former en théologie en Turquie.
La Turquie semble en tout cas être parvenue à se forger une image positive en Afrique. Son discours aux accents anti-impérialistes insiste sur la coopération sud-sud et la dimension solidaire et humanitaire de son action.
Ankara cherche, bien sûr, des débouchés économiques, mais aussi géostratégiques. La presqu’île soudanaise de Suakin en est un. Fin 2017, Khartoum avait concédé à la Turquie un emplacement dans la rade de ce port, qui fut une possession ottomane sur la mer Rouge… et qui fait face à La Mecque. Une manière pour la Turquie de marquer son opposition à la domination du wahhabisme saoudien sur les principaux lieux saints de l’islam, et de sécuriser son tourisme religieux vers la péninsule arabique.
« Depuis, les Turcs ont dû quitter Suakin à la demande du Soudan », explique Marc Lavergne. « Mais il est clair que la compétition entre la Turquie et l’Arabie saoudite pour la suprématie sur le monde sunnite s’écrit aussi sur le sol africain. » L’un des nœuds du contentieux : les Frères musulmans, dont la Turquie et son allié qatari sont proches, mais que l’Arabie saoudite et l’Égypte qualifient de « terroristes ».
Source : La Croix