POLITIQUE. Le gouvernement israélien étant le plus divers, il est aussi le plus fragile. Cet assemblage baroque allant du parti d’extrême-gauche Meretz à celui d’extrême-droite Yamina l’expose à une grande instabilité. Que peut bien avoir en commun Mansour Abbas, islamiste conservateur, anti féministe et anti gay, avec Nitzan Horowitz, fervent défenseur des droits LGBT ? L’icône ultranationaliste Ayelet Shaked, qui se parfumait avec la fragrance « Fascisme » dans un spot de campagne et rêve d’étouffer la Cour suprême, avec la chef de file travailliste Merav Michaeli, soucieuse de restaurer l’Etat de droit ? Ou encore Naftali Bennett et Gideon Saar, fervents annexionnistes, avec Benny Gantz et Yaïr Lapid, partisans de la solution à deux Etats ? Le choix même de Bennett pour prendre le premier la tête de la coalition trahit sa vulnérabilité. Avec seulement six députés à la Knesset, il est le Premier ministre le moins populaire de l’Histoire.

« Nous allons nous asseoir ensemble et nous avancerons sur ce qui nous rassemble – il y a beaucoup de choses sur lesquelles nous sommes d’accord – et ce qui nous sépare, nous le laisserons de côté », a promis Bennett dans son discours d’investiture. Un éloge du compromis en somme, qui est l’essence même de la démocratie parlementaire. Autant dire que l’exécutif devra faire preuve de hauteur de vue et les parlementaires d’une discipline de fer pour éviter de tomber dans les pièges tendus par l’opposition. Netanyahou se tient en embuscade et annonce son retour « plus tôt qu’on ne le pense » ce qui, loin de déstabiliser ses anciens hommes liges qui ont osé le défier, va perpétuer leur alliance.

Réparer l’Etat, réconcilier ses citoyens

Le défaut d’une telle coalition est d’abandonner à un statu quo mortifère des sujets essentiels pour l’avenir d’Israël comme le conflit palestinien. Cependant, l’urgence est au redémarrage de la machine de l’Etat, paralysée par deux ans de crise politique et une pandémie. Il faut voter un budget (absent depuis 2018), assainir les finances, restaurer la confiance dans les institutions ; bref, rétablir la mamlakhtiout (le sens de l’Etat). L’autre enjeu est d’apaiser les citoyens épuisés par des combats électoraux sans fin, où Netanyahou n’a cessé de jouer sur les divisions identitaires, et encore sous le choc des émeutes judéo-arabes. Il revient à Bennett d’assumer cette lourde tâche. Religieux sans zèle, celui qui a choisi de reporter la kippa après l’assassinat de Rabin « quand c’était impopulaire » devra renouer les liens entre les quatre « tribus » d’Israël : laïques, religieux, ultra-orthodoxes et arabes. Ses deux premières décisions donnent le ton : la nomination de 36 ambassadeurs et consuls, jusqu’alors en suspens, pour renforcer la place d’Israël et la création d’une commission d’enquête indépendante sur la catastrophe du Mont Méron, vraie mesure de justice sociale en faveur des 45 victimes ultra-orthodoxes. Absents du gouvernement, ces derniers se retrouvent dans l’opposition avec les suprémacistes juifs, autres alliés du Likoud. Mais sans doute ne souffriront-ils pas longtemps d’être laissés sans poste ni budget et voudront rejoindre la coalition. Aujourd’hui, seule une minorité d’Israéliens estime que le gouvernement tiendra la durée de son mandat, voire jusqu’au 27 août 2023 date à laquelle Lapid doit succéder à Bennett. La plupart estime qu’il tombera avant du fait de sa trop grande disparité. S’il parvient déjà à réparer l’Etat et réconcilier ses citoyens, il aura accompli sa mission.

Frédérique Schillo, twitter@FredSchillo
Publié dans Regards N°1076

 

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