La Mer Morte est-elle en train de mourir ?
C’est une merveille de la nature qui pourrait bientôt disparaitre. Menacée par la hausse des températures et le pompage du fleuve Jourdain qui l’alimente, selon certains observateurs, la mer Morte pourrait devenir dans un futur proche, c’est à dire moins d’un siècle, inaccessible et mortelle.
Par Ilana Ferhadian (Copyrights)
Les origines de la mer morte
La mer morte fait son apparition déjà dans la Bible, dans le chapitre de la Genèse. Toutefois , la désignation « mer Morte » n’apparaît jamais sous ce nom dans la Torah, qui utilise une autre terminologie, Yam Hamelah, en hébreu qui signifie mer de sel. La « mer de la Arabah » et la « mer de l’Est » apparaissent également une dizaine de fois dans les textes sacrés. La mer morte est aussi connue dans l’Antiquité et les textes grecs, puisque Flavius Josephe l’identifie au lac Asphaltite dans son livre, la Guerre des Juifs. Enfin, les arabes la surnomment aussi « la mer de Loth ».
Les particularités de Yam Hamelah
Un trésor de l’humanité unique au monde. Entouré de montagnes arides, ce lac salé est partagé entre Israël et la Jordanie. Sa surface est évaluée à 810 km carrés, soit, pour vous donner une petite idée, 8 fois la ville de Paris. Elle s’étend sur 51 km de long et 18 km de large. Sa spécificité est bien sûr sa salinité, très élevée. A titre indicatif, alors que la salinité moyenne de l’eau de mer oscille entre 2 et 4 %, celle de la mer Morte est d’approximativement de 34,2 %. En comparaison, le taux de la mer méditerrannée est à 3,5%, soit huit fois moins. Il s’agit du quatrième territoire d’eau le plus salé au monde, derrière l’étang Don Juan en Antarctique et les lacs Vanda et Assal à Djibouti.
En Israël, une des raisons de cette forte teneur en sel réside dans le fait que la mer Morte ne possède pas d’affluent et que l’eau y stagne. De plus, le climat désertique aride (43 degrés à l’ombre) provoque une évaporation naturelle qui augmente la salinité. Enfin, autre particularité : la masse volumique de l’eau de la mer Morte. Elle est si imposante (1 240 kg par mètre cube) qu’un être humain peut y flotter très facilement, ce qui amuse d’ailleurs beaucoup les touristes.
Enfin, par conséquent de cette salinité élevée, aucun poisson ni aucune algue n’y vit, ne pouvant subsister dans des conditions si extrêmes. Cependant, si aucun poisson ne peut y vivre, on sait que des organismes microscopiques s’y prolifèrent, par exemple des planctons, des champignons, et certaines bactéries. Par ailleurs, il y a dix ans, des sources d’eau douce avaient été découvertes au fond de la mer Morte, eaux qui permettent donc bien elles, enfouies au fond du lac salé, le développement d’autres micro-organismes.
L’eau de la mer morte est bénéfique à plus d’un titre, renfermant pas moins de 26 minéraux bénéfiques et l’air environnant contient une quantité minime de poussières et d’allergènes en comparaison à d’autres villes d’Israël. L’eau salée est aussi efficace pour les cicatrisations bien sûr, mais aussi pour soigner, entre autres, le psoriasis et les rhumatismes. Une destination touristique donc prisée pour ses valeurs médicinales, la raison pour laquelle des centres de thalassothérapie y ont émergé ces dernières années.
Un niveau qui baisse continuellement
La mer Morte est le point émergé le plus bas de la surface du globe avec une altitude de -429 mètres sous le niveau de la mer (chiffres de 2015). Son niveau baisse continuellement ; en effet la mer Morte a perdu le tiers de sa superficie depuis les années 1970.
Le niveau de l’eau dans la mer Morte descend précisément de 1,45 mètre par an en moyenne. Ces 50 dernières années, elle a ainsi perdu 28 % de sa profondeur et le tiers de sa superficie.
Un équilibre rompu par des infrastructures de développement
Pendant des millénaires, la mer Morte se remplissait d’eau douce par le fleuve Jourdain via le lac Tibériade. Mais en 1960, cet équilibre a été rompu à cause du développement très important d’Israel, notamment lorsque l’Etat Juif a créé une toute nouvelle voie d’eau dans le but de cultiver le désert. Pour y parvenir, l’écoulement naturel vers le Jourdain a été empêché par un barrage.
Mais en réalité, c’est surtout du côté jordanien qu’on pompe le plus aujourd’hui. Dès les années 1960, tout comme Israël, Amman a en effet construit un canal pour puiser l’eau d’un bassin du Jourdain afin d’exploiter les fameux sels de la mer Morte. Une infrastructure qui a eu pour résultat d’accélérer l’évaporation de l’eau, entraînant depuis, chaque année, une baisse drastique du niveau de la mer.
C’est simple à comprendre : en se retirant, la mer laisse derrière elle des poches de sel (autrefois couvertes par de l’eau). La place se libérant, de l’eau douce, et notamment de la pluie, s’infiltre dans ces espaces laissés vacants qui sont ensuite naturellement dissous, et qui s’agrandissent.
Concrètement, le sol asséché s’effondre et des cratères gigantesques apparaissent, des dolines susceptibles en l’espace de quelques semaines de tout détruire sur leur passage… Aujourd’hui, on dénombre plus de 6000 dolines en Israel et en Jordanie, dont les côtes entourent cette gigantesque étendue d’eau salée qu’est la mer Morte.
La mer morte, bientôt un désert de sel ?
La mer Morte pourrait donc à moyen terme devenir un désert de sel. Causes de ce déclin inexorable : la surexploitation, donc, des ressources minières et du Jourdain, au profit des agriculteurs et des populations de la région, de plus en plus nombreuses. Selon les organisations environnementales, 95 % des eaux du Jourdain sont exploitées. Avant tout pour l’irrigation, certes, mais aussi pour des cultures qui consomment probablement beaucoup trop d’eau pour cette région semi-désertique. Par exemple, dans les champs de culture autour de la mer morte, on retrouve des bananiers, ces arbres tropicaux qui nécessitent beaucoup trop d’eau en cet endroit. Un non sens en terme de développement durable selon les écologistes…
C’est un cercle vicieux, puisque si la mer morte a besoin du Jourdain pour s’alimenter, le Jourdain a lui besoin du lac de Tibériade, une source qui a aussi baissé dramatiquement au cours des dernières années. Face à la situation, plusieurs solutions ont été étudiées.
Puiser de la mer rouge, un projet au point mort
Fin 2006, la Banque mondiale et l’Agence Française de développement s’étaient associées pour assister Israël et la Jordanie dans la réalisation d’un projet fou : la construction d’une énorme canalisation sous-terraine de 180 km pour renflouer la mer Morte avec l’eau… de la mer Rouge ! Il s’agissait de verser, chaque année, l’équivalent de cent mille piscines olympiques dans la mer morte. Le 9 décembre 2013, un accord sera d’ailleurs signé entre les pays concernés. Un accord dans lequel était compris la construction d’une canalisation depuis la mer Rouge ainsi qu’une usine de dessalement afin de perfuser l’étendue d’eau en partie asséchée. Un chantier couteux, estimé à près de 10 milliards de dollars, qui n’a finalement jamais trouvé de financement.
Un projet arrêté car aussi controversé… Certains ont en effet estimé qu’il pouvait se révéler dangereux pour la mer Morte, qui aurait pu alors voir sa précieuse composition minérale bouleversée par le déversement de saumure, et voir, par exemple, sa belle couleur modifiée.
D’autres solutions ?
En Jordanie notamment, certains considèrent qu’il faudrait interdire à la construction ces zones qui sont un véritable cache-misère. De leur côté, les autorités israéliennes envisageraient de taxer les industries minières pour l’eau qu’elle pompent, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui.
En tout cas, l’urgence est là car si rien n’est fait rapidement, la mer morte pourrait donc disparaître d’ici bien un siècle et devenir très nauséabonde… Sauver ce lieu mythique reste donc vain pour l’instant. En attendant, certains experts en environnement conseillent de faire un geste utile : arrêter d’acheter les produits cosmétiques provenant de la mer morte, et qui participeraient à sa disparition progressive. Bye-Bye Ahava ?
Ilana Ferhadian (Copyrights).
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