Contrairement à ce qui est dit, l’Afrique va payer sur le plan économique un prix très lourd avec la pandémie de coronavirus. En Israël, de nombreux économistes qui travaillent sur ce continent le savent bien. L’Afrique aura bien besoin d’experts israéliens. Surtout dans les secteurs de l’irrigation et hightech (santé…). Mais l’Afrique c’est aussi les africains qui vivent en Israël. Et là, la situation est bien sombre. Selon Times of Israel : « Depuis longtemps dans le flou et devant affronter la peur constante de l’expulsion, un grand nombre d’entre eux ont perdu leurs emplois dans le secteur alimentaire et touristique dès l’apparition de la pandémie en Israël, le mois dernier. Au chômage, enfermés chez eux, des dizaines de milliers de migrants africains risquent dorénavant de perdre leur logement et de finir à la rue ».
Selon des données de l’Autorité de la population et de l’immigration transmises environ 36 000 demandeurs d’asile africains vivent actuellement au sein de l’Etat juif. La première vague d’immigration depuis l’Afrique vers le territoire israélien avait commencé en 2009. La vaste majorité des migrants – originaires d’Erythrée et du Soudan – n’ont jamais obtenu le statut de réfugié même si un grand nombre d’entre eux avaient été dans l’obligation de fuir leur pays d’origine pour échapper à la guerre et d’autres crises humanitaires. Ils vivent actuellement en Israël avec des visas temporaires qui sont renouvelés périodiquement.
AFRIQUE. Un article de Blaise Gnimassoun, maître de conférences en sciences économiques à l’université de Lorraine.
Dans Le Point (Copyrights) : »Première pandémie planétaire depuis un siècle, la propagation du Covid-19 révèle les limites des sociétés et des économies à travers le monde. L’économie mondiale a été littéralement mise à l’arrêt. L’Afrique subsaharienne n’est pas en reste.
Une crise sanitaire sans précédent dans le monde… mais pas en Afrique
Bien qu’il existe encore beaucoup d’incertitudes sur l’impact sanitaire du Covid-19 en Afrique subsaharienne, un faisceau de données indique d’ores et déjà que la propagation du virus semble contenue, en partie grâce à la précocité des mesures de confinement et à la jeunesse de la population.
Si le Covid-19 se révèle d’une violence inédite partout dans le monde, les crises sanitaires aux conséquences ravageuses sont légion en Afrique subsaharienne. La région n’est guère étrangère aux épidémies dramatiques comme Ebola ou aux pathologies extrêmement létales et récurrentes telles que le paludisme qui aurait provoqué, selon l’Organisation mondiale de la santé, environ 380 000 décès en Afrique subsaharienne en 2018.
La pandémie actuelle a surtout mis à nu la fragilité, voire la faillite des systèmes de santé dans cette région plus qu’ailleurs. Les projecteurs braqués sur les systèmes de santé révèlent ainsi le sous-équipement criant des pays en lits de réanimation, en respirateurs et autres équipements médicaux. De même, pour l’essentiel, les équipements disponibles sont concentrés dans les grands centres urbains, plongeant une bonne partie des populations dans un désert sanitaire absolu.
Vers une crise économique et sociale sévère…
La pandémie plongera l’Afrique subsaharienne dans sa première récession en vingt-cinq ans selon la Banque mondiale. La forte croissance économique enregistrée depuis plusieurs années et largement applaudie semble être un éléphant aux pieds d’argile.
L’impact économique du Covid-19 en Afrique subsaharienne est double. Au niveau interne, les mesures de confinement ralentiront l’activité économique. Au niveau externe, les pays souffriront de l’effondrement des cours des matières premières, de l’incertitude autour de l’aide publique au développement et des transferts de fonds de la diaspora en raison de la récession annoncée dans les pays développés. Les États dépendants du tourisme mondial connaîtront une baisse drastique de la production de services et des recettes publiques. Sur le plan financier, l’incertitude sur les marchés aura pour impact de rendre davantage difficile l’accès aux capitaux mondiaux.
Sur le plan social, l’insuffisance des systèmes de protection et des transferts publics ainsi que la fragilité économique des populations, aggravée par le confinement, pourraient annihiler les gains de plusieurs décennies de lutte contre la pauvreté. Une bonne partie de la population vivant de l’activité informelle et en l’absence de transferts publics conséquents, le maintien dans la durée des mesures de confinement semble intenable. Il pourrait même s’avérer contre-productif si la précarité sociale qu’il induit se traduit par des mouvements d’indignation et de révolte populaire.
Les finances publiques pâtiront également de cette crise. La chute des échanges commerciaux et le ralentissement de l’activité économique généreront des pertes de recettes significatives. De même, les mesures de riposte sanitaire, économique et sociale grèveront les budgets déjà exsangues. En conséquence, les déficits budgétaires en sortiront plombés et la soutenabilité des dettes souveraines mise à mal.
… mais pas exceptionnelle
En Afrique subsaharienne, la crise aura des conséquences désastreuses, mais elle ne revêt pas un caractère exceptionnel. L’examen des données de la Banque mondiale montre qu’au cours des soixante dernières années, le continent a connu pas moins de 8 récessions si l’on s’en tient au niveau de richesse globale. Pis encore, 26 des 60 années ont été marquées par un repli du niveau de richesse créée par habitant. En réalité, la région vivait déjà une récession depuis 2016 où sa croissance économique a marqué le pas sur son accroissement démographique.
Le Covid-19 ne fait donc qu’accentuer une situation économique déjà mal en point. Plus que cela : il met à nu l’échec des modèles de développement actuels. L’inadaptation du capital humain, la défaillance des institutions, la dépendance débridée à l’aide et aux matières premières, l’insuffisance d’infrastructures continuent de faire de la croissance en Afrique une tragédie.
Le drame africain, c’est son modèle économique, resté presque invariant depuis les indépendances, dans lequel les matières premières sont conçues comme des produits finis au moment où elles sont utilisées comme intrants dans le reste du monde. En clair, pendant plus de 60 ans, la plupart des pays se sont organisés autour d’un modèle de rente, favorable à la mal-gouvernance et sans capacité de création de valeur ajoutée.
Le niveau de vie moyen n’a progressé que de 50 % en Afrique subsaharienne depuis 1960, soit deux fois moins que la moyenne mondiale. Résultat : la région n’a pas été capable de créer une croissance de qualité, durable et inclusive. Ce modèle économique défaillant est entretenu par la corruption. Il compromet l’émergence d’une classe moyenne forte et économiquement résiliente.
Il en résulte que l’Afrique souffrira autant de fois que les soubresauts de l’économie mondiale plomberont la demande et les cours des matières premières, qu’ils soient dus à une crise sanitaire comme le Covid-19 ou à n’importe quelle autre crise. Devrait-on cependant arrêter le narratif de la pandémie Covid-19 à cet état de fait ? Nullement. Cette crise est aussi une opportunité à saisir pour opérer un changement profond de modèle économique.
Face à la crise du Covid-19, la plupart des pays envisagent de repenser leur modèle économique. Certains pays développés entendent relocaliser tout ou partie de leur tissu productif stratégique afin de réduire leur dépendance envers la Chine. Pour briser son accoutumance aux crises de toute nature, l’Afrique subsaharienne se doit, elle aussi, de rompre avec son modèle économique actuel. Sans être exhaustifs, les points ci-dessous doivent être au cœur de ce changement de paradigme :
Bâtir de vrais États régaliens. Les États doivent assurer la fourniture des infrastructures de base (eau, santé, éducation) et des infrastructures structurantes (transport, énergie) partout sur leur territoire et garantir la sécurité des populations. Une tolérance zéro vis-à-vis de la corruption et une gestion efficace des ressources publiques doivent être au cœur de cette construction. C’est la condition nécessaire à la fois pour le développement du secteur privé et l’émergence de citoyens responsables et conciliants vis-à-vis de la fiscalité.
Construire des modèles de développement endogènes. Bien qu’il existe autant de modèles de développement que de pays, il s’agit d’assurer l’adéquation des plans de développement avec les dotations naturelles, l’histoire et la culture des États africains. L’Afrique doit renouer avec la planification de ses grands défis de transformation structurelle tout en évitant les travers de la gouvernance du passé.
Former un capital humain adapté. L’offre du système éducatif doit être cohérente avec les avantages comparatifs révélés et latents ainsi qu’avec les défis de la mondialisation. Les défis de productivité dans l’agriculture et l’agro-industrie, l’auto-entrepreneuriat et les sciences doivent être au cœur des offres de formation pour bâtir un modèle de développement autour d’une classe moyenne forte et économiquement résiliente. Par ailleurs, il est urgent d’investir massivement dans les infrastructures de santé pour sortir de la fragilité structurelle des systèmes de santé et garantir un capital humain de qualité.
Industrialiser l’Afrique. Il est urgent de rompre le cercle vicieux de la dépendance débridée aux matières premières brutes. Les économies doivent donc s’industrialiser pour créer de la richesse en capitalisant sur leurs ressources naturelles et leur capital humain. Les stratégies industrielles doivent aussi s’appuyer sur des partenariats stratégiques et le développement des secteurs à fort contenu technologique. Une gestion rigoureuse et transparente de la dette et des ressources liées à l’exportation des matières premières est indispensable dans la phase de transition.
Formaliser l’informel. La construction de vrais États régaliens ainsi qu’un capital humain adapté y contribue beaucoup. Mais au-delà, il est impératif de veiller à la suppression de toutes les procédures administratives contraignantes et inutiles, à la transparence et à la force des règles et au renforcement de l’inclusivité financière, notamment pour les femmes.
Accélérer la transition numérique. Le saut numérique a l’avantage du gain d’efficacité. La création de compte mobile money, une spécificité de l’Afrique subsaharienne, a permis de desserrer drastiquement certaines contraintes de financement au niveau microéconomique. Les États doivent continuer d’investir massivement dans la digitalisation de leurs économies, à tous les niveaux, pour vaincre bien d’autres fléaux dont la mal-gouvernance. Le numérique est un allié clé pour une formalisation de l’économie souterraine et une plus grande mobilisation des ressources internes.
En résumé, bien plus qu’une réponse circonscrite au Covid-19, l’Afrique subsaharienne doit opérer un changement de paradigme pour briser la tragédie de sa croissance ».
* Blaise Gnimassoun est maître de conférences en sciences économiques à l’université de Lorraine.
** Sampawende Jules Tapsoba est chercheur associé à la Fondation pour les études et recherches sur le développement international (Ferdi), au sein de l’université Clermont-Auvergne.