Des milliers d’israéliens vivent leur shabbat enrobé par l’odeur de la dafina, un repas ancestral. Tous les samedis matin de mon enfance j’entendais ma mère accueillir ainsi notre dévouée Fatéma. Elle lui disait bonjour par cette perpétuelle question du samedi matin, cette question qu’elle posait à cette perle qui travaillait chez nous et qui, arrivée aux aurores, était chargée de livrer son verdict en donnant son avis à maman sur la fameuse « skhina », LA DAFINA du shabbat.
Fatéma devait immanquablement dire à maman en guise de bonjour si la dafina était réussie… ou non ! Pourquoi ? Eh bien tout simplement parce qu’une fois mise à cuire le vendredi soir au coucher du soleil, nous n’avions plus le droit d’y toucher (de modifier quoi que ce soit notamment en changeant la température de cuisson) avant de la servir.
Alors, c’est une sorte de poker pour la cuisinière : au réveil, sa dafina est soit trop blanche, soit caramélisée, soit en phase de sécheresse avancée, soit elle peut carrément avoir brûlé, alors que la même procédure est adoptée chaque semaine pour la préparer…
Plusieurs réponses étaient possibles :
“Très belle ô madame” (rzaaaa-la ya lala) ou alors “Oh lala… lala! madame, elle est encore blanche” (willi willi ya lala !, mazala béda !) “, suivi d’un “vous n’auriez pas oublié de mettre des dattes madame ?”. (Yak ma nsiti dirri tmarr, ya lala). Pour finalement ajouter positivement (toujours optimiste) : “non non mais ne vous inquiétez pas madame quand Monsieur rentrera de la synagogue, elle sera très très belle (la la matkhafish ya lala, mlli radi yiji msiou mssslâ, rad tkoune rzaaaala).
Et, en effet, elle n’était jamais ratée ! C’est jusqu’à aujourd’hui “la” spécialité de Maman Abitbol ! Un pur régal pour les papilles !
En vous expliquant la Dafina Marocaine, que nous appelons aussi skhina, je ne vous déclamerai (soyez rassurés!) ni “le spleen de Paris” de Charles Baudelaire ni même “les feuilles d’automne” de Victor Hugo… Je vous raconterai juste un plat qui représente un moment chaleureux mais qui, avant d’arriver sur nos tables, a généré appréhension et angoisse de la mère depuis le moment où elle se couche jusqu’à celui où elle sert la dafina. Aura-t-elle suffisamment mijoté ? Sera-t-elle bien caramélisée ? Aura-t-elle une jolie couleur ? Oui, la couleur est très importante, autant que la qualité et la taille des pommes de terre.
Le mot Dafina est un mot judéo-arabe (appelée aussi : skhina). La dafina dont je vous parle a des dérivés tunisiens et algériens qui sont la tfina, tafina, matfun ou autres. Mais je ne vous parle que de la dafina, de la skhina, la daf quoi ! Dafina signifie “couvert, très chaud, étouffé” et ce, en regard du mode de cuisson. La religion juive interdit de cuisiner pendant le shabbath. La dafina, précuite avant l’entrée du shabbat, continuera de cuire, de mijoter, de caraméliser pendant au moins 20 heures soit sur une plaque électrique chauffante (plata), soit de façon plus moderne aujourd’hui, dans une mijoteuse (slow cooker) pourvue d’un thermostat.
Source : https://www.196flavors.com