À Tel Aviv, une femme règne sur les murs. On la connaît sous le nom de Murielle Street Art mais personne ne sait que cette femme a troqué les talons aiguilles et les régimes draconiens contre les bombes de peinture et les Posca.
S’il est une chose que l’on ne sait pas sur Tel Aviv, c’est que c’est l’une des capitales mondiales du street art, une galerie à ciel ouvert. Dans le quartier hipster de Florentin se trouve la Mecque en la matière. Ici, une femme règne et fait la loi. Murielle Cohen, 33 ans, a laissé sa trace sur chaque mur, chaque café, chaque restaurant du coin. Elle est la grande prêtresse du graff du sud de Tel Aviv. Se retrouver devant l’une de ses créations provoque immédiatement un flux sans fin de questions sur les addictions les plus sombres de l’homme. Murielle Cohen est technophobe et, à l’instar de la série Black Mirror, ses graffs nous poussent dans nos retranchements et à penser notre relation avec les nouvelles technologies.
La vie de Murielle Cohen était toute tracée. Née dans une banlieue cossue de Montréal, elle grandit dans une famille juive religieuse où l’on respecte les traditions. Au travers du chemin de sa sœur, la jeune femme sait qu’elle doit finir ses études, trouver un homme, se marier et faire des enfants. C’est ainsi pour les femmes de sa famille. C’était avant que le destin s’en mêle. Repérée par une agence de mannequins, Murielle Cohen enchaîne les castings, dans le plus grand secret. Rapidement, tout s’accélère et elle se retrouve convoitée par la célèbre agence de mannequins Viva Model Management qui lui offre un aller simple pour Paris. Elle n’a que 17 ans quand elle arrive dans la ville Lumière. Mannequin lingerie, sa carrière décolle vite et elle se retrouve rapidement dans les pages des plus grands magazines de mode. Mais, dans son appartement à Goncourt, elle ne se fait pas vraiment d’amis. “Alors entre deux shootings, entre deux avions, je me réfugiais dans les musées”, se souvient-elle. De Paris à Milan, de Munich à New York, comment une reine des podiums devient-elle une reine de la rue?
“Les hommes pensent que nous sommes une espèce d’objet à disposition. Je légende mes dessins avec des phrases suggestives qu’ils aimeraient entendre ‘viens me chercher’ ou ‘laisse moi te servir’, justement pour pousser à la réflexion.”
“Je n’aurais jamais pensé être une artiste -ça ne se faisait pas chez moi. D’ailleurs, je ne pensais même pas être bonne. Ma vie n’a été qu’un enchaînement d’évènements”, assure Murielle Cohen qui se souvient du 11 septembre 2001 comme d’un déclencheur. Alors que la seconde tour du World Trade Center s’effondre sous ses yeux, elle s’aperçoit que sa vie doit changer. “La semaine suivante, chez un copain, je tombe sur un bouquin regroupant les premiers dessins d’Henri Matisse. La claque, lâche-t-elle. En quelques lignes, il exprimait l’âme des gens.” Dorénavant, entre deux castings, Murielle Cohen s’assoit dans les rues de New York et propose, gratuitement, des portraits de gens. Elle en réalisera plus de 2000.
Au top de sa carrière, le sort s’acharne subitement sur elle: son corps est couvert d’eczéma. Si elle ne le soigne pas, elle peut dire adieu à ses projets. Direction la mer Morte, en Israël. Comme toujours avec Murielle Cohen, le destin s’en mêle. Le premier jour, dans l’eau, elle rencontre celui qui va devenir son mari et le père de ses trois enfants. Ensemble, ils s’installent près de la bande de Gaza où elle commence à récolter du bois pour le recycler. Il lui faudra presque dix ans pour affiner cette technique et oser afficher ces bouts de bois sur les murs de Tel Aviv sous la forme d’oeuvres d’art. Son crédo, c’est la technologie qui nous bouffe au quotidien. Son combat? La perception des femmes dans et hors de l’espace public.
Avec sa série Beautiful Women, elle veut célébrer la sensualité et la féminité: “Les gens vont s’arrêter parce que je dessine des femmes nues sur les murs. Ce n’est pas grave, s’ils s’arrêtent ils lisent le message.” Le message justement, c’est de grossir le trait. “Les hommes pensent que nous sommes une espèce d’objet à disposition. Je légende mes dessins avec des phrases suggestives qu’ils aimeraient entendre ‘viens me chercher’ ou ‘laisse moi te servir’, justement pour pousser à la réflexion. Est-ce que c’est vraiment ce qu’ils cherchent chez une femme?”, interroge la graffeuse.
Dans sa série exprimant sa technophobie, ce sont aussi des femmes qui prennent la parole et s’interrogent: est-ce que la technologie domine les femmes? Nous rend-elle plus belles? Est-elle l’ennemie de la féminité? Autant de questions que les murs forcent à se poser. Libérée de ses carcans, familiaux et religieux, et du diktat de la beauté, de coups du sort en trajectoires déviées, Murielle Cohen a quitté les catwalks pour devenir la voix de toute une génération telavivienne.
Sarah Koskievic, à Tel Aviv.
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