Le géant technologique américain Google a nommé Uri Frank, un ancien cadre d’Intel Corp., au poste de vice-président du bureau d’ingénierie dans la création de semi-conducteurs. Frank a aussi pris la tête d’une équipe en Israël. La firme va ainsi pouvoir multiplier par deux sa fabrication de puces personnalisées destinées à stimuler la performance de ses systèmes informatiques.
Google a mis en place en 2005 un centre de R&D au sein de l’État juif, avec des équipes qui, à Haïfa et à Tel Aviv, sont chargées de travailler sur l’apprentissage automatique, l’intelligence artificielle, le traitement du langage naturel et sur les défis posés par la perception artificielle.
Le nomination de Frank, toutefois, marque la toute première incursion de Google Israël dans les secteurs de la création et du développement de puces – des activités qui nécessiteront l’embauche de salariés Israéliens.
Bien loin des IPOs, fusions ou autres opérations de bourse sensationnelles qui ont eu lieu dans le monde israélien de la technologie, c’est une nouvelle révolution plus discrète qui est en cours sur le terrain dans le secteur -moins tape-à-l’œil – des semi-conducteurs.
Les mastodontes comme Google, Microsoft, Facebook, Intel et Nvidia installent tous ou renforcent leurs opérations de création de semi-conducteurs en Israël – cimentant encore la réputation d’Israël en tant que poids lourd dans la bataille électronique du silicium en plus de son statut de Startup Nation.
Ce nouvel intérêt pour Israël est entraîné par un glissement général vers la numérisation en plus d’une pénurie mondiale de puces qui est ressentie dans toutes les industries, ce qui amène les fabricants et les firmes technologiques à commencer à prendre en charge le développement de leurs propres semi-conducteurs dans le but de pouvoir encore élargir leurs opérations.
« Israël présente de nombreux avantages avec une forte expérience et le pays figure en bonne place à ce point de vue », note Eyal Waldman, fondateur de Mellanox Technologies, qui a été happé par le fabricant de puces américain Nvidia en 2019 pour la somme de sept milliards de dollars.
Il existe des milliards de puces, appelées également des semi-conducteurs, qui sont utilisées dans un nombre déterminant de domaines qui façonnent le monde contemporain – téléphones mobiles ou ordinateurs, voitures ou informatique du Cloud – ce qui fait d’elles le moteur de l’industrie technologique. Toutefois, les fabricants se trouvent démunis ne peuvent plus faire grand-chose si les approvisionnements en puces ne sont pas suffisants.
« Les puces et les semi-conducteurs sont, pour le monde numérique, ce qu’est le carburant pour le monde de l’industrie », commente David Perlmutter, ancien haut-responsable au sein d’Intel Corp. qui, au cours de 34 années de carrière passées chez ce géant américain de la technologie, a aidé à développer certains produits phares de la firme et notamment l’architecture du processeur Intel Pentium et du processeur Centrino Mobile.
« Il y a des centaines de puces aujourd’hui dans votre voiture », ajoute Perlmutter au cours d’un entretien téléphonique. « Les fabricants d’automobiles expliquent aujourd’hui qu’ils sont obligés de revoir à la baisse leur production en raison d’un manque d’approvisionnement en puces. Il y a dix ans, une telle pénurie n’aurait pas autant affecté les activités de l’industrie. Tout évolue, aujourd’hui, autour des capacité des semi-conducteurs. »
Même avant la pandémie, de nombreuses entreprises hi-tech avaient commencé à créer et à fabriquer leurs propres puces, cessant de déléguer ce travail à des sous-traitants comme TSMC, Intel et Samsung. Les puces personnalisées sont plus à même de servir leurs différents produits dans un contexte de concurrence accrue. Elles répondent aussi mieux aux exigences complexes de l’informatique basé sur l’intelligence artificielle lorsqu’elles sont amenées à prendre en charge des algorithmes d’apprentissage automatique ou qu’elles traitent des images.
« La complexité de chacune de ces puces s’est renforcée d’une manière sans précédent », poursuit Perlmutter. « Quand j’ai rejoint Intel, en 1980, le nombre de composantes – ce qu’on appelle les transistors – dans le microprocesseur le plus avancé était de 30 000 à 40 000. Aujourd’hui, il y a 50 milliards de transistors dans chaque microprocesseur de pointe ».
Les prouesses israéliennes ne s’observent pas dans la fabrication des puces mais majoritairement dans leur création, explique-t-il. « Le développement de la R&D d’une puce est probablement la tâche la plus compliquée au monde. Le niveau de complexité est énorme, et ce sont des projets réunissant des centaines de personnes utilisant des outils informatiques pour les programmer et des ordinateurs géants pour effectuer des simulations ».
Avec les puces, « on touche au point névralgique le plus important du monde numérique », s’exclame-t-il.
Ce glissement vers l’informatique basée sur le Cloud et l’utilisation de plus en plus forte de l’intelligence artificielle donne une nouvelle impulsion au secteur, alors même que de nouvelles puces doivent être créées et développées pour permettre l’accélération du traitement de quantités énormes de données.
Former des ingénieurs nécessite de nombreuses années et même après obtention de leur diplôme, il faut encore plusieurs années pour « comprendre pleinement la complexité » de la création de puces, continue Perlmutter.
Les géants technologiques ont très bien compris que toutes les activités basées sur l’intelligence artificielle et sur le Cloud reposaient sur les puces. Ils estiment également qu’ils « trouveront les meilleurs talents en Israël », note-t-il.
En plus de Google, plusieurs autres firmes majeures ont également pris des initiatives visant à donner à Israël un rôle plus important dans leur stratégie de création de semi-conducteurs.
Pat Gelsinger, nouveau directeur-général d’Intel, a ainsi expliqué au cours d’une visite en Israël, cette année, que le mastodonte américain allait élargir ses opérations locales en établissant un nouveau campus – qui coûtera 200 millions de dollars – au sein de l’État juif où seront développées « les puces du futur », précisant que mille personnes seraient embauchées dans le pays.
Nvidia, un important fabricant de puces américain, a fait savoir au mois de mars que l’entreprise prévoyait de recruter 600 ingénieurs israéliens pour dynamiser ses activités en Israël, des activités principalement concentrées sur l’intelligence artificielle.
Microsoft revoit également à la hausse ses opérations en matière de création de puces sur le territoire israélien et Facebook chercherait, selon des informations, à établir un centre de R&D au sein de l’État juif qui se concentrerait sur le développement de semi-conducteurs. Pour sa part, Amazon a acheté la firme israélienne Annapurna Labs en 2015 qui est devenue depuis l’unité de création de puces du géant et qui est à l’origine d’un grand nombre de ses projets de puces personnalisées les plus avancées.
« Nous avons les connaissances ».
Jusqu’en 1974, les semi-conducteurs étaient exclusivement créées dans la Silicon Valley, en Californie – qui a tiré son nom du matériau utilisé pour cette technologie, le silicium. La même année, Intel avait ouvert un centre de recherche et de développement en Israël alors que l’industrie commençait tout juste à décoller.
Certains des processeurs les plus rapides d’Intel ont été développés par l’équipe de Haïfa, qui travaille au centre de R&D le plus important de l’entreprise hors des frontières des États-Unis.
National Semiconductor, le fabricant américain de puces, AMD et Motorola avaient par la suite suivi l’exemple d’Intel en installant des structures de création de puces en Israël, aidant l’État juif dans sa transformation en Startup Nation.
Les compagnies technologiques étendent leurs activités en Israël parce qu’elles ont conscience « des compétences complexes qui existent ici en Israël et qui sont nécessaires pour créer des puces complexes », indique Perlmutter.
Selon les données rassemblées par le Centre de recherche IVC Research Center, une firme rassemblant toutes les données de l’industrie locale hi-tech, 37 multinationales au total ont investi en Israël dans le secteur des semi-conducteurs au cours du premier semestre 2021 – un chiffre similaire à 2020. Elles étaient 33 en 2017.
Alors que la demande d’une vitesse plus rapide, d’un traitement plus important et de plus de puissance de stockage augmente, d’importants défis technologiques restent à résoudre, dit Waldman, le fondateur de Mellanox. « Nous avons les connaissances et les capacités nécessaires et nous sommes parmi les pays les plus avancés dans ce domaine dans le monde ».
D’autres pôles de création de semi-conducteurs – dont l’Europe qui est en train de décoller – sont également bons dans le domaine de la création de puces, précise Perlmutter, sans être pour autant au niveau d’Israël. La Chine et l’Inde « se rapprochent », continue-t-il, « mais Israël conserve toujours l’avantage ».
« Juste la pointe de l’iceberg ».
Microsoft emploie plus de 2 000 personnes dans son centre de recherche de Herzliya et le développement interne de puces est considéré comme une partie « stratégiquement importante et significative » de ses activités, selon Ohad Jassin, qui gère Azure Edge & Platform au sein de Microsoft Israel R&D. Même ainsi, ajoute-t-il, un grand nombre de puces qui sont utilisées par la firme américaine dans ses produits proviennent encore des partenaires de l’entreprise et notamment d’Intel, d’ARM et d’AMD.
Les puces crées par l’équipe israélienne de Microsoft sont utilisées dans l’informatique, dans les appareils ménagers de pointe et dans les centres de données du Cloud, explique Jassin au cours d’un entretien. « Il y a de l’expérience ici en Israël, le pays étant vétéran dans ce domaine, et il y a des talents qui sortent de l’université ».
Microsoft considère également que les start-ups qui travaillent dans ce secteur particulier sont des cibles possibles d’investissement et d’acquisition, indique-t-il.
Il y a, sur le territoire de l’État juif, plusieurs startups spécialisées dans les semi-conducteurs qui développent des puces, des carte-mémoires et des processeurs, et il n’est pas rare que les multinationales achètent des compagnies locales ou qu’elles travaillent avec elles lors de l’élargissement de leurs activités dans le pays.
« Il y a un écosystème ici qui est très intéressant, qui peut interagir avec les entreprises plus importantes », dit Perlmutter. Ces dernières investissent dans les firmes, les rachètent parfois et les ingénieurs « vont d’un endroit à l’autre. Cela fait partie de l’écosystème technologique qui est très important ».
Les firmes d’investissement et les corporations placent davantage de fonds dans le secteur des semi-conducteurs – un secteur qu’elles avaient ignoré pendant des années, plutôt séduites par l’attrait des industries logiciel et spécialisées dans les applications. Si le montant investi dans les entreprises israéliennes reste pâle en comparaison avec celui qui est injecté dans les compagnies américaines, il y a une claire tendance à la hausse qui s’affiche.
La plus grande sortie technologique de toute l’Histoire de la nation avait été la vente, en 2017, de Mobileye, fabricant de technologies et de puces de conduite autonome, à Intel pour un montant époustouflant de 15,3 milliards de dollars.
Autres acquisitions notables, l’achat par la firme américaine KLA-Tencor d’Orbotech au prix de 3,4 milliards de dollars en 2018 et celui, en 2019, de la compagnie Mellanox Technologies par le fabricant de puces Nvidia pour une somme avoisinant les 7 milliards de dollars. Intel avait également acheté Habana Labs en 2019 pour deux milliards de dollars.
« Il y a six ou sept ans, c’était difficile de soulever de l’argent pour la technologie à puce. Beaucoup d’argent a été investi dans le développement logiciel parce que les investissements dans le développement des puces sont un processus plus long. Mais tout cela a changé avec l’essor de l’intelligence artificielle et avec celui de la communication rapides des données », explique Perlmutter. Même ainsi, ajoute-t-il, le nombre de corporations et de firmes d’investissement injectant des fonds dans le domaine des semi-conducteurs reste bien inférieur à celui des investissements, dans leur ensemble, qui son versés aux firmes technologiques.
Au cours du premier semestre 2021, les start-ups travaillant sur les semi-conducteurs, au sein de l’État juif, ont soulevé un total de 588 millions de dollars dans le cadre de 13 accords – soit 141 millions de dollars de moins que le montant collecté pendant toute l’année 2020 dans le contexte de la signature de 24 accords, selon des données rassemblées par l’IVC. Les firmes technologiques israéliennes ont soulevé la somme gigantesque de 11,9 milliards de dollars au cours des six premiers mois de l’année 2021.
« Il y a une renaissance du secteur et il y a beaucoup d’argent des investisseurs qui est injecté dans le secteur, et c’est le cas aussi en Israël. Cela dynamise l’économie israélienne et cela renforce l’écosystème des start-ups parce que cela entraînera des sorties », continue Perlmutter.
Les chiffres d’IVC révèlent qu’au premier semestre 2021, trois firmes israéliennes travaillant dans les semi-conducteurs ont conclu des accords visant à soulever au moins cent millions de dollars. Trois accords de ce type seulement avaient été signés pendant toute l’année 2020 et zéro en 2019.
Les montants obtenus par série de financement sont aussi bien supérieurs, avec une moyenne de 45 millions de dollars soulevés par série pendant les six premiers mois de l’année 2021 – contre une moyenne de 30 millions de dollars en 2020 et une moyenne de 15 millions de dollars en 2019.
« Ce à quoi nous assistons jusqu’à présent, en termes de financement et de sorties, n’est que la pointe de l’iceberg », commente Perlmutter.
« Dans l’ensemble, en Israël, c’est une période très propice au génie des équipements électroniques », note pour sa part Shlomit Weiss qui, au début du mois, a été nommée co-administrice générale du groupe d’ingénierie d’Intel, où elle sera responsable du développement tout entier des puces et du processus de création du géant technologique américain, notamment pour les ordinateurs, les portables et les serveurs.
Intel est l’investisseur le plus actif sur la scène des semi-conducteurs au sein de l’État juif, fait savoir l’IVC, avec 15 investissements réalisés dans la période qui s’est écoulée entre 2017 et la première moitié de l’année 2021.
Mener des opérations en Israël « est une bonne chose pour les compagnies parce qu’il y a de très bons ingénieurs, très innovants » dans le pays, explique-t-elle au cours d’une interview récente. Et c’est aussi une bonne chose pour Israël parce que « ça aide l’économie et que c’est positif pour les ingénieurs, qui bénéficient ainsi d’un plus grand nombre d’opportunités et de plus de concurrence ».
Forte demande d’ingénieurs et start-ups
Il reste encore de nombreux défis à relever toutefois – les plus importants étant un manque d’ingénieurs et de programmateurs et une augmentation énorme des salaires qui a été entraînée par la concurrence entre les multinationales et les start-ups locales, avides de nouveaux talents. Le salaire mensuel moyen d’un ingénieur logiciel à Tel Aviv est de 24 000 shekels, contre un salaire moyen d’environ 13 000 shekels pour le reste de l’économie.
Selon des données rassemblées par l’Autorité israélienne de l’innovation et Start-Up Nation Central, il manquait environ 13 000 employés qualifiés dans l’industrie technologique israélienne à la fin de l’année 2020.
« Les universités ne font pas sortir suffisamment d’ingénieurs et il doit y avoir un mouvement stratégique de la part de l’industrie et du gouvernement en faveur de l’augmentation du nombre d’ingénieurs à court-terme comme à long-terme », estime Perlmutter.
Autre tendance émergente, qui se fait aussi ressentir dans le reste de l’écosystème technologique israélien : la baisse du nombre de start-ups créées, les potentiels entrepreneurs décidant d’éviter le risque de fonder leur propre firme en faveur des salaires attirants qui sont offerts par les multinationales locales ou par les firmes technologiques qui sont récemment devenues des « licornes ».
Selon l’IVC, au cours du premier semestre de l’année, aucune nouvelle start-up n’a été créée dans le secteur des semi-conducteurs. Il y en avait eu trois l’année dernière et 12 en 2017.
« C’est un danger majeur pour la croissance de notre industrie », déplore Perlmutter. « L’énergie de l’innovation doit continuer. Un écosystème sans nouvelles start-ups n’est pas un écosystème en bonne santé ».
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