Le phénomène a émergé dans les années 2000 : des escrocs franco-israéliens basés en Israël arnaquent des Français à coup de stratagèmes plus ou moins sophistiqués. Longtemps, ils ont pu opérer depuis Israël. Mais le temps de l’impunité est terminé et les justices des deux pays sont passées à l’action.

Selon www.franceinter.fr:

« Un grand et beau bureau ministériel avec les drapeaux français et européen et le portrait du président de la République accroché au mur. Un homme en costume cravate est assis à sa table de travail. Son visage est familier avec son crâne dégarni, sa bouche tombante et ses lunettes rondes. Le 14 février 2019, l’émission Envoyé spécial sur France 2 révélait au grand public l’ahurissante histoire du « faux Jean-Yves Le Drian« . Pendant plusieurs mois, des escrocs basés en Israël ont usurpé l’identité de celui qui était alors ministre de la Défense en enfilant un masque en latex ressemblant au visage du responsable politique.

Entre appels téléphoniques du soi-disant cabinet ministériel et appels vidéo du prétendu ministre, plusieurs personnes fortunées ont été abusées. Croyant avancer de l’argent à l’État français pour payer la rançon de Français otages à l’étranger, elles ont transmis des milliers d’euros à ces escrocs qui ne les ont jamais remboursées. Le 9 septembre 2020, deux suspects ont été condamnés en appel à Paris à sept et dix ans de prison.

Des escrocs qui se font passer pour des PDG.

Dans la même veine, en octobre 2014, Secrets d’info sur France Inter racontait l’histoire tout aussi édifiante de cet escroc franco-israélien se faisant passer pour le PDG d’une entreprise et demandant à une comptable de virer une grosse somme d’argent à l’étranger. Ce type d’escroqueries, souvent lancées depuis Israël, est désormais bien connu des enquêteurs même si des entreprises tombent encore dans le panneau.

« Plusieurs entreprises ont été victimes d’escrocs franco-israéliens avec les faux virements, explique un commissaire de police français très au fait des dossiers entre la France et Israël, qu’on appelle chez nous les Fovi [pour faux ordres de virement international]. Après avoir fait les repérages nécessaires, un escroc téléphone depuis Israël à une personne ayant la capacité de faire des virements bancaires au nom d’une entreprise, secrétaire ou comptable mais qui ne connaît pas personnellement le PDG… Cet escroc se fait passer pour le PDG, il dit qu’il y a une urgence et demande un virement vers un compte domicilié à l’étranger. Pour crédibiliser l’opération il double d’un e-mail qui a tout l’air d’un vrai. Généralement cela se passe le vendredi matin et la fraude est découverte le lundi ou le mardi, au retour du week-end, quand il est déjà trop tard. »

Une escroquerie à la taxe carbone pour 1,7 milliard d’euros.

Autre escroquerie retentissante, la fraude à la TVA sur les quotas de carbone. En 2008-2009 des escrocs – dont beaucoup étaient basés en Israël – se sont enrichis grâce à une arnaque très ingénieuse et massive. Emmanuelle Elbaz-Phelps, journaliste pour la télévision publique israélienne Kan 11 et pour la chaîne parlementaire israélienne, a tourné le documentaire Le casse du siècle avec le réalisateur Harry Pines, consacré à cette escroquerie et diffusé dans la célèbre émission Zman Emet.

« Ces sociétés, dont certaines en Israël mais pas uniquement, vont acheter ces quotas de CO2 dans des pays comme l’Allemagne et les Pays-Bas où il n’y a pas de TVA sur ce marché et vont les revendre en France à un prix TTC. Selon les lois françaises, ils doivent évidemment reverser la TVA aux services publics, ce qu’ils ne feront pas. Et cette TVA se retrouve rapidement sur des comptes offshore à Hong Kong, à Chypre et dans d’autres pays », détaille-t-elle.

« De novembre 2008 à juin 2009, ces voyous affairistes ont dérobé à l’État français 1,7 milliard d’euros. Certaines estimations parlent même de quatre milliards d’euros. On n’a jamais vu ça. »

Ces escroqueries gigantesques mais aussi d’autres moins spectaculaires, sont désormais regardées de près par les autorités françaises. Elles ont même fait l’objet d’un chapitre particulier dans le dernier rapport du Service d’information, de renseignement et d’analyse stratégique sur la criminalité organisé (Sirasco) de la Police nationale publié à l’été 2019.

On peut notamment y lire que ces escrocs franco-israéliens « sont numériquement peu nombreux en comparaison d’autres groupes touchant la France ». Mais « leur préjudice économique tant à l’égard des États européens (l’escroquerie à la taxe carbone par exemple) qu’à celui de particuliers ou d’entreprises (les Fovi) s’élève à plusieurs milliards d’euros. Fonctionnant sur le principe d’une solidarité communautaire voire familiale, ils ont mis en place des escroqueries juteuses dans les années 2000 ».

► Une imagination sans limites.

Plus simplement, les escrocs utilisent aussi le téléphone. Avec des cartes SIM prépayées, ils installent un petit logiciel qui affiche un numéro privé voire un numéro français. Puis, ils téléphonent à des particuliers ou à des entreprises en France et font preuve d’une imagination sans limites.

Collecte de dons contre le coronavirus, vente de maques FFP2 ou de gel hydroalcoolique, faux placements d’épargne avec des promesses de rendements à 30 % et une sécurité comparable à celle du livret A, opérations en bourse mirobolantes, investissements très rentables dans des parkings, diamants payés d’avance sur catalogue, placements sur le Forex (le marché des taux de changes entre monnaies), isolation à un euro, achat d’une « carte verte » pour aller vivre et travailler légalement aux États-Unis… : les propositions sont enthousiasmantes mais elles sont toutes bidons. A chaque fois, les gens paient d’avance et se retrouvent grugés, bernés par le professionnalisme et l’assurance de leurs interlocuteurs qui sont très bien organisés en Israël.

Des donneurs d’ordre et des petits soldats.

En 2019, le groupe Empact lancé par l’Union européenne et Europol, pour répondre de façon coordonnée à la criminalité organisée, a tenu une réunion importante à Tel-Aviv en présence de policiers israéliens et européens.

La police israélienne a présenté ces filières franco-israéliennes dans le détail. « En bas il y a les ‘soldats’, c’est plusieurs dizaines voire centaines d’individus », décrit notre source policière citée plus haut, qui a assisté aux débats. « Ce sont les ‘petites mains’ organisées en petites cellules installées dans des appartements conspiratifs. Il y a des lignes téléphoniques pour ceux qui téléphonent en français. Des ordinateurs puisque des geeks créent de faux sites pour crédibiliser l’escroquerie avant de les faire disparaître rapidement du web. Eux, c’est le sous-prolétariat, payé quelques centaines de shekels… Il y a aussi les intermédiaires chargés des plateformes de blanchiment, ils sont bien mieux rémunérés… Ils recrutent des hommes de paille payés 2 000 euros pour ouvrir des comptes bancaires en Europe de l’Est (notamment en Pologne) ou en Chine… Et puis il y a le sommet, 20 à 30 individus. Ceux-là ce sont de gros parrains dont certains peuvent être originaire de l’ex-URSS par exemple. »

Ce système pyramidal est efficace car il est souple, agile et adaptable. Il n’y a pas toujours de liens hiérarchiques entre les différentes strates. Chaque niveau fonctionne comme un « prestataire de service » pour le niveau supérieur.

« Pas vraiment la crème de la crème ».

Parmi les « intermédiaires » se trouvent quelques dizaines d’individus représentant une marge de la communauté franco-israélienne. « Le phénomène a émergé au début des années 2000″, poursuit le policier. « On a réalisé alors que certains types d’escroqueries convergeaient vers Israël de façon systématique. Dans ces années d’aliyah massives, il y avait quelques mauvais garçons, une infime minorité, pas vraiment la crème de la crème. Ils se retrouvent dans une grosse communauté française, à Netanya ou Ashdod, ils traînent et finissent par se faire recruter. Ils pensent qu’en étant en Israël, plus loin de la France que la Belgique par exemple, ça va aller. »

Changement d’identité en Israël.

Ces personnes, souvent déjà délinquantes en France, se sont installées en Israël en vertu de la loi du retour qui n’a pas d’équivalent ailleurs dans le monde. Mais ils l’ont détournée. « Cette loi permet à tout Juif qui décide de venir s’installer en Israël d’obtenir de façon automatique la nationalité israélienne », explique la journaliste Emmanuelle Elbaz-Phelps. « Il existe bien une condition stipulant qu’une personne ayant un casier judiciaire ou un passif criminel peut se voir refuser cette nationalité israélienne. Mais il faut bien dire que sur l’histoire du pays d’Israël, les cas refusés d’aliyah se comptent à peine sur les doigts de la main. C’est très rare. Les affairistes et les voyous le savent. Ils ont vite compris que cette loi avait une faille leur permettant de venir s’installer dans ce pays et d’y trouver un refuge. » Aubaine pour les personnes mal intentionnées : cette loi du retour permet même de changer de nom et de prénom, ce qui ralentit les démarches judiciaires.

Parmi les nouveaux arrivants en Israël, les autres, qui représentent la grande majorité, ne sont pas des délinquants. Mais les circonstances peuvent en pousser certains à le devenir. Ceux qui connaissent des débuts difficiles et se sentent à l’écart du miracle israélien de la start up nation, ne peuvent pas ou ne veulent pas s’intégrer à la société israélienne, très différente de la société française. La vie y est chère, les prestations sociales moins développées, l’hébreu est une langue difficile. Ce sentiment d’exclusion et de repli sur soi les fait basculer dans la délinquance. « Israël est un melting-pot de Juifs venus du monde entier », abonde Emmanuelle Elbaz-Phelps. « On n’est pas tous frères et sœurs, contrairement à ce que l’on pourrait croire. Il faut apprendre à se connaître et quand on regarde plus précisément dans les détails, on voit une tendance à garder en Israël des ghettos communautaires. Il est dur de trouver un travail et donc parfois, au bout de quelques mois, quand on n’a pas d’argent, cela peut créer un terrain favorable à tomber vers des activités un peu moins honnêtes. »

« C’est cachère ? Evidemment tout est cachère dans ce que je fais ».

Les centres d’appel sont le cœur du réacteur des escroqueries par téléphone ou sur le web. Leurs « petites mains » sont recrutées à la sortie de l’oulpan (centre d’apprentissage de l’hébreu) ou bien dans des moments festifs.

Noémie, une française qui vit en Israël depuis trois ans, a été approchée plusieurs fois : « Cela s’est passé dans les groupes d’amis, dans un restaurant ou lors de dîners. On se voit, on demande : ‘Et toi, tu fais quoi dans la vie ?’ Et puis on s’entend répondre : ‘je travaille dans un call center, je vends des listings de noms à des entreprises d’isolation à un euro, est-ce que tu veux te faire de l’argent ?’ Donc moi je demande si c’est cachère [légal] et on me répond : ‘Évidemment, tout est cachère dans ce que je fais.’ Je vois aussi passer des publicités sur Facebook : job excellent avec un salaire fixe mirobolant et des commissions en travaillant sept heures par jour… C’est juste impossible de gagner autant avec un travail légal. »

Pourquoi l’État laisse-t-il faire ?

On ne peut pas accuser les autorités israéliennes de laisser-faire. Mais dans ce pays historiquement très mobilisé contre le terrorisme, qui doit aussi financer l’occupation militaire d’une partie de la Cisjordanie, il ne reste plus beaucoup d’énergie à consacrer à la lutte contre la délinquance financière.

Nili Arad, ancienne magistrate à la cour suprême et présidente de l’association Transparency International Israël, constate une faiblesse dans l’application des lois :

« La législation israélienne, criminelle et civile est très précise, mais sa mise en œuvre n’est pas aussi rigoureuse à cause d’un manque de budget ou d’un manque de bras. »

À force de les vilipender, le sens civique de certains israéliens en a été altéré et cela a donné aux délinquants un sentiment d’impunité. « Cela me préoccupe qu’en Israël, les garants de l’État de droit que sont la police, le procureur général, les tribunaux, les juges de la cour suprême et les médias bien sûr, soient affaiblis par les critiques systématiques de certains groupes qui y ont intérêt », déplore la juge.

Une meilleure coopération judiciaire entre Israël et la France.

Malgré ce contexte, les choses avancent. Avant, « chaque juge d’instruction en France émettait sa demande vers Israël », relève Emmanuelle Elbaz-Phelps. « Parfois, ça passait par tel tuyau, parfois par d’autres. Et très souvent les demandes d’extradition ou même les demandes de coopération se retrouvaient bloquées dans les tuyaux. » Mais désormais, la France et Israël sont passés à la vitesse supérieure.

À Paris, la loi du 23 mars 2019 a créé la juridiction nationale chargée de la lutte contre la criminalité organisée (Junalco) qui dépend du parquet de la capitale. Les affaires les plus complexes ou en lien avec un pays étranger remontent maintenant vers elle, qui fait office de guichet unique, visible et centralisé, à la façon du FBI américain. Par ailleurs, en 2006, la France a installé un policier référent français à l’ambassade de France à Tel-Aviv. Dès qu’un dossier franco-israélien émerge, il est là pour s’assurer de son suivi.  »

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