Juste derrière le restaurant Kayser de Tel-Aviv se trouve la statue qui représente Alfred Dreyfus, en pied, tenant son sabre brisé devant le visage.

Elle a été commandée en 1985 par Jack Lang quand il était ministre de la Culture et devait être placée dans la cour de l’École militaire de Paris à l’endroit où le capitaine fut dégradé.

La réplique du bronze installé boulevard Raspail à Paris, œuvre du sculpteur et caricaturiste Tim, a été inaugurée en 2018 par Ron Huldai, maire de Tel Aviv-Yafo et Anne Hidalgo en présence des descendants de l’officier français de confession juive accusé de trahison puis réhabilité en 1906.

Selon http://kefisrael.com : « Pour rendre hommage au Capitaine Alfred Dreyfus, qui eut un impact sur Herzl et le sionisme, une copie de la statue du caricaturiste TIM (Louis Mitelberg) a pu être réalisée avec l’accord du CNAP (Centre National des Arts Appliqués) et le soutien du Ministère de la Culture français, de la Fondation David Hadida, de la Fondation pour la Mémoire de la Shoah, de l’Institut Alain de Rothschild, de la Fondation Beitler (USA) et de la Mairie de Paris, pour être offerte à la Ville de Tel Aviv.

J’ai assisté au dévoilement de la statue le 27 novembre 2018 en présence d’Anne Hidalgo et de Ron Huldaï, les maires de Paris et de Tel Aviv et d’Hélène Le Gal, Ambassadrice de France en Israël. Mais ce qui m’a le plus ému, c’est la présence de nombreux descendants d’Alfred Dreyfus et parmi eux, l’une de ses arrières-arrières-petites filles soldate en Israël. L’affaire Dreyfus est intimement liée à l’histoire du sionisme et à la fondation de l’Etat d’Israël et cette image n’en était que plus forte. Dans l’assemblée aussi, des descendants du sculpteur TIM et d’Emile Zola dont Martine Leblond-Zola, vice-présidente avec Charles Dreyfus du projet Maison Zola -Musée Dreyfus.

Après maintes péripéties, la statue a enfin trouvé sa place à Tel Aviv grâce au travail de l’arrière-petite-fille du Capitaine Dreyfus, Yaël Pearl Ruiz. Le projet d’un don à la municipalité de Tel Aviv d’une statue en hommage au Capitaine Alfred Dreyfus est né suite à l’exposition consacrée à l’Affaire Dreyfus au Musée de la Diaspora en Israël en mars 2014, organisée par Yaël Perl Ruiz en coopération avec l’Institut français d’Israël et la Bibliothèque Nationale d’Israël à Jérusalem.

Dreyfus, notre Dreyfus, symbole de toutes les injustices, vilipendé par l’armée à laquelle il tenait si fort. Mieux même : dans laquelle il plaçait non seulement sa confiance, mais son honneur. Il était le symbole du juif intégré, ou qui se croyait tel et que la grande histoire remettra à sa place ».

Gilles Pudlowski. Pour saluer “J’accuse”. Dreyfus (Alfred).

Une scène que j’adore dans « Z », le film de Costa Gavras inspiré de l’assassinat du député grec Lambrakis, c’est l’arrestation inopinée, par le « petit juge » qu’incarne Jean-Louis Trintignant, des officiers putschistes joués par Julien Guiomar et Pierre Dux. Un journaliste demande à ce dernier : « votre arrestation, c’est une nouvelle Affaire Dreyfus ? ». Et Dux de répliquer du tac au tac : « Dreyfus était coupable ! ».

Ce fils d’un riche industriel de Mulhouse – où il naît en 1859 -, ayant opté en 1871 pour la nationalité française, fera ses études à Paris au collège Sainte-Barbe. Il sera interne au collège Chaptal, préparera Polytechnique, en sort sous-lieutenant, choisit l’artillerie, entre à l’école d’application de Fontainebleau. Lui qui avait été frappé à onze ans par l’entrée des Prussiens dans sa ville natale, décide d’embrasser la carrière militaire pour manifester son attachement profond à la France.

Il est promu lieutenant en 1885, est adjoint, quatre ans plus tard, au directeur de l’Ecole de Pyrotechnie de Bourges, est promu Capitaine. Sera admis à l’Ecole Supérieure de Guerre, en sort avec le numéro 9 et mention très bien, est nommé à l’Etat-Major de l’Armée, où il est le seul juif. C’est le 15 octobre 1894 que démarre « l’Affaire ». Il est arrêté par le commandant du Paty de Clam, officier du 3e bureau. On l’accuse d’être l’auteur d’un document dérobé à l’ambassade d’Allemagne, annonçant la livraison de documents concernant la défense nationale.

C’est le « faux Henry ». Une affaire Clearstream avant Clearstream, qui déchaîne l’antisémitisme, met la France en porte-à-faux avec ses démons. Son procès, qui s’ouvre le 19 décembre 1894, devant le Conseil de guerre de Paris, déchaîne les passions. Il est condamné, le 22 décembre, à la déportation perpétuelle dans une enceinte fortifiée, est dégradé au cours d’une cérémonie publique qui se déroule dans la grande cour de l’Ecole militaire, le 5 janvier 1895, est embarqué, le 21 février, pour l’Ile du Diable.

Tout cela appartient à l’Histoire avec un grand H. Le journaliste Bernard Lazare mène campagne pour la révision du procès. La publication par Zola dans l’Aurore, en janvier 1898, d’une lettre ouverte au président de la République (« J’accuse« ) et sa condamnation absurde à un an de prison font véritablement éclater « l’Affaire » qui, jusque là, restée confinée dans les milieux de l’armée. L’opinion se divise. Dreyfusards et « anti » s’affrontent. Il y a le dessin fameux du banquet familial déchiré par une discussion à son propos : « ils en ont parlé ». Théodore Herzl, qui rend compte du procès pour la « Neue Freie Presse » viennoise, prend conscience alors de l’importance de l’antisémitisme et a ainsi l’idée de « l’Etat juif », le livre qui porte ce nom, bien sûr, mais surtout le futur état d’Israël, que certains auraient voulu placer en Ouganda.

Parmi ses soutiens, deux alsaciens : le colonel Georges Picquart, né à Strasbourg, élevé à Geudertheim, qui découvre la trahison d’Esterhazy qui a été à l’origine de l’Affaire, et Auguste Scheurer-Kestner, natif de Mulhouse, vice-président du Sénat, qui défendra l’honneur bafoué du capitaine auprès du ministre de la guerre Billot et président Félix Faure. La Cour de Cassation annulera le premier verdict anti-Dreyfus le 3 juin 1899. Un deuxième procès s’ouvre à Rennes du 7 août au 9 septembre 1899, à l’issue duquel le capitaine Dreyfus est à nouveau condamné quoique avec des « circonstances atténuantes », ce qui n’a guère de sens, mais indique surtout l’embarras de l’armée devant une innocence largement prouvée, mais qui entache son honneur.

Le 19 septembre, Alfred Dreyfus est gracié par le président Loubet. Il vit ensuite à Carpentras, chez une de ses soeurs, puis à Cologny, près de Genève. On passe sur les péripéties juridiques de l’affaire alors qu’on sent bien que notre héros malheureux est parfaitement innocent, grâce notamment aux révélations du colonel Picquard. Il faut attendre le 5 mars 1904 pour que la Cour de Cassation déclare acceptable la demande en révision du jugement de Rennes et le 12 juillet 1906 pour que le dit-jugement soit cassé sans renvoi.

Il faudra encore le vote d’une loi par la Chambre pour que Dreyfus soit réintégré dans l’armée avec le grade de chef d’escadron. Le 21 juillet 1906, il est nommé Chevalier de la Légion d’honneur, puis à la direction d’artillerie de Vincennes, enfin le 15 octobre, désigné pour commander l’artillerie de l’arrondissement de Saint-Denis. Admis à la retraite en octobre 1907, il est mobilisé pendant la Grande Guerre et sera affecté à l’Etat-major de l’artillerie du camp retranché de Paris, puis, en 1917, à un parc d’artillerie divisionnaire. Il aura le temps de voir sa chère Alsace et Mulhouse rejoindre la mère patrie.

On imagine Alfred Dreyfus désabusé, mais non découragé. Il aura entraîné derrière lui toute une frange d’intellectuels – le mot est inventé à cette occasion – capables de se battre pour la liberté, la sienne, mais surtout celle de tout homme injustement accusé, même par la « Grande Muette », peu encline alors à reconnaître ses torts. Lorsqu’il meurt le 12 juillet 1935, son cortège funèbre, qui rejoint le cimetière Montparnasse, traverse la place de la Concorde au milieu des troupes célébrant la fête nationale. Celles-ci sont au garde à vous.

La France a finalement donné raison à Dreyfus et à ses partisans dont Zola qui aura tant œuvré pour sa libération.

tribunejuive.info

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