« En Israël, le rapport qualité-prix est totalement inconnu » : Yaëlle Ifrah transforme la consommation avec Kaspenu
L’ex-restauratrice française a créé « le Waze du supermarché », une application à but non lucratif qui introduit le Nutri-score en Israël pour aider les consommateurs face aux monopoles alimentaires


Dans un entretien accordé à l’émission « Conversations » sur i24NEWS ce dimanche soir, Yaëlle Ifrah, fondatrice de l’application Kaspenu (littéralement « notre argent » en hébreu), a dévoilé les dessous d’un projet aussi ambitieux qu’atypique dans le paysage israélien : une application gratuite pour aider les consommateurs à mieux acheter, mieux manger, tout en préservant leur pouvoir d’achat.
Arrivée en Israël il y a dix ans, cette ancienne restauratrice diplômée d’école de commerce a été « très choquée dès son arrivée » par deux phénomènes : « le coût de la vie qui était déjà très cher » et « la qualité très médiocre de la plus grande partie des produits de grande consommation ». Un constat qui l’a poussée à imaginer pendant la pandémie de Covid une solution concrète pour les consommateurs israéliens.
« J’ai mis un peu de temps avant de comprendre cette histoire de monopole, d’importateur exclusif, de mainmise sur le marché par des grandes marques qui ne se soucient pas trop des consommateurs », explique-t-elle. Une situation qui perdure malgré des changements dans la structure même du marché : « 60 à 70% des produits alimentaires vendus dans un supermarché sont produits en Israël, mais il y a une mondialisation évidente des grandes entreprises », précise Yaëlle Ifrah, citant Tnuva (propriété chinoise), Strauss (multinationale) ou encore OSEM (Nestlé).
L’application Kaspenu, inspirée du modèle français Yuka mais adaptée aux spécificités israéliennes, combine une évaluation de la qualité nutritionnelle des produits avec des informations sur leur prix et une analyse comparative du marché. « C’est une boîte à outils du consommateur, ou même le Waze du supermarché », résume sa fondatrice.
Pour la première fois en Israël, Kaspenu introduit le concept du Nutri-score, avec « la bénédiction du professeur Serge Herzberg qui en est l’inventeur ». Ce système permet d’évaluer la qualité nutritionnelle globale d’un produit, au-delà des seuls critères de sel, de sucre ou de matières grasses qui sont actuellement signalés par des étiquettes rouges ou vertes en Israël. « Grâce à l’échelle du Nutri-score, on peut comprendre d’un coup d’œil quelle est la valeur d’un produit », souligne-t-elle. L’un des aspects les plus novateurs de Kaspenu réside dans son modèle économique, totalement à contre-courant des habitudes israéliennes. « Ce que j’ai fait de choquant pour les Israéliens, c’est que Kaspenu est une association, un non-profit », explique Yaëlle Ifrah. « Je l’ai financé et développé uniquement avec des dons, avec l’aide de donateurs privés, de la Fondation Rothschild en France aussi. Ça, aucun Israélien ne peut comprendre qu’on mette à la disposition du grand public une sorte de service public gratuit, sans volonté de gagner de l’argent, juste pour le bien du plus grand nombre. »
Cette approche désintéressée, typiquement française selon elle, combinée à une réelle expertise dans le domaine alimentaire, explique pourquoi cette initiative n’aurait pu naître que d’une « nouvelle immigrante ». Pour autant, elle répond manifestement à un besoin, comme en témoigne le succès fulgurant de l’application : « En moins de trois semaines, on a déjà presque 15 000 téléchargements, c’est assez spectaculaire pour une nouvelle application. » Si Kaspenu est actuellement disponible en anglais et en hébreu, une version française est en préparation, un signe que la communauté francophone d’Israël constitue également une cible privilégiée pour cette initiative.
Plus qu’une simple application, Kaspenu incarne une vision politique au sens noble du terme. « Le but de la politique en principe, c’est de changer la vie des gens et de la rendre meilleure. On a un petit peu peut-être perdu ce chemin dans les dernières années en Israël », observe Yaëlle Ifrah. Elle conclut par une profession de foi qui résume parfaitement son engagement : « Je suis une vraie Française dans ma culture, je suis pour l’égalité, pour l’universalisme et pour que tout le monde ait ce qu’il y a de meilleur. On a le plus beau pays du monde, il faut qu’il soit meilleur à vivre, plus égalitaire et que tout le monde puisse en profiter. »
Dans un pays souvent critiqué pour le coût élevé de la vie et les monopoles qui dominent son marché alimentaire, l’initiative de Yaëlle Ifrah pourrait bien marquer le début d’une petite révolution consumériste.