En Grèce, les télévisions diffusent la même scène tous les soirs à 18 heures. Le professeur Sotiris Tsiodras, infectiologue de l’Ecole de médecine d’Athènes, informe sur l’évolution du coronavirus. A ses côtés, le ministre de la Protection civile, Nikos Hardalias, exhorte les Grecs à respecter les consignes de sécurité. Désormais, le professeur Tsiodras, également directeur du comité grec des maladies infectieuses, note une baisse des nouveaux cas de Covid-19. A ce jour, la Grèce ne compte que 2463 contaminés avérés et 125 décès dus au coronavirus pour une population de 10,8 millions d’habitants (Israël: 200 morts pour 9 millions d’habitants). «L’âge moyen des personnes décédées est de 74 ans, et 91% d’entre elles présentaient une maladie sous-jacente», précise le Ministère de la santé.
La Grèce, avec 12 morts pour 1 million d’habitants, s’en sort mieux que nombre de pays européens dans la lutte contre la pandémie. La Suisse déplore 178 «morts du Covid-19» par million d’habitants, l’Italie 415 et l’Allemagne 68. Or, en théorie, la Grèce est l’un des pays les plus exposés au virus. Sa population est la deuxième plus âgée de l’Union européenne, avec 22% des habitants de plus de 65 ans; le surpoids, voire l’obésité frappe 55% de la population, au-delà de la moyenne européenne. Enfin, le système médical est mal en point après dix ans d’austérité budgétaire.
Une vague tardive
Les dépenses de santé ont chuté de 23,2 milliards d’euros en 2009 à 14,5 milliards en 2017. Le nombre de lits d’hôpital pour 1000 habitants est passé de 4,9 en 2009 à 4,2 (contre 8 en Allemagne); en février, les hôpitaux ne disposaient que de 567 lits en soins intensifs. Depuis 2009, 18 000 médecins ont quitté le pays. «Cette crise révèle les défaillances du système de santé grec», analyse le docteur Giorgos Vichas. Selon ce médecin, fondateur de dispensaires sociaux, «le pays ne propose pas un accès satisfaisant à la médecine générale et manque de lits d’hôpitaux. Les quantités disponibles de tests, masques et équipements de protection sont insuffisantes.»
Dans ce contexte, comment le pays résiste-t-il à l’épidémie? Professeur d’épidémiologie à l’Université d’Athènes et membre du comité des maladies infectieuses, Takis Panagiotopoulos explique: «Ici, la vague épidémique a commencé plus tard car la Grèce n’est pas au cœur de la mondialisation. Il n’y a pas autant de voyages vers la Grèce que vers la France ou l’Italie à cette période de l’année.» Ainsi, ajoute-t-il, «nous avions des éléments de comparaison internationale pour réagir et avons donc pris des mesures drastiques très tôt».
Ces mesures ont été appliquées dès la fin février. Les rassemblements et carnavals ont alors été interdits et les gestes barrières recommandés. Dès le 11 mars, écoles et universités ont été fermées, suivies des lieux de restauration et de culture deux jours plus tard. Depuis le 23 mars, le confinement, généralisé, est massivement respecté. Pendant quinze jours, cinq villages ont même vécu l’isolement total. En cause? Des pèlerins revenus de Jérusalem et des marchands de fourrure rentrant de la semaine de la mode italienne, porteurs du virus. Les agents de la protection civile déposaient de la nourriture à la porte de chaque maison.
«En appliquant ces mesures, la courbe du virus n’a jamais été exponentielle», affirme Takis Panagiotopoulos. Et le système n’a jamais été débordé. Spécialiste des maladies infectieuses, le professeur George Panayiotakopoulos détaille: «Nous avons développé des consultations téléphoniques pour éviter aux patients de sortir. Mais en cas de nécessité, ils étaient envoyés vers des hôpitaux de référence.»
En flux tendu
Cardiologue et présidente de l’Hôpital public Alexandras à Athènes, Sofia Xantzidou explicite: «Tous les matins, nous faisons un point précis avec le ministère pour définir les besoins en matériel de protection, etc.» Ainsi, si le pays a été en flux tendu, il n’a jamais manqué de ces biens. En outre, précise-t-elle, aux premiers symptômes, un traitement à base de chloroquine a été prescrit. George Panayiotakopoulos décrypte: «Dans un premier temps a été prescrite la chloroquine, puis l’hydroxychloroquine accompagnée d’un antibiotique, l’azithromycine. Si le patient est suivi, les risques sont faibles.» D’ailleurs, fin mars, la Grèce a relancé la production de médicaments à base de chloroquine pour lutter contre le paludisme qu’elle avait abandonnée.
Désormais, l’OCDE cite même le pays en exemple pour sa gestion de la crise du coronavirus. Mais les ONG qui viennent en aide aux migrants tirent, elles, la sonnette d’alarme. Dans un hôtel du Péloponnèse, dans le sud du pays, 150 demandeurs d’asile ont été testés positifs cette semaine. Et le confinement décrété pour les camps de migrants correspond essentiellement à une restriction de mouvements en dehors de ces enceintes. Car à l’intérieur des camps surpeuplés, les conditions sanitaires sont déplorables et l’accès aux soins défaillant. «Toutes les conditions sont réunies pour qu’une contagion engendre un drame humain si le virus y arrive», prévient Apostolos Veizis, directeur de Médecins sans frontières en Grèce. L’ONG Human Rights Watch, craint, elle, «une crise de santé publique».