Les israéliens observent la France avec surprise. Après la crise politique provoquée par la pénurie de masques de protection et de gel hydroalcoolique, place à l’impasse entraînée par la promesse de fournir «un masque pour tous» d’ici au 11 mai, aux 67 millions de Français. Un mois après le revirement du gouvernement français sur l’utilité du port du masque dans l’espace public pour se protéger du Covid-19, le casse-tête n’a fait que se déplacer alors que le pays compte 120 804 cas de patients contaminés et 21 856 morts.
Lorsque Emmanuel Macron arbore pour la première fois un masque FFP2, réservé au personnel soignant, lors de sa visite de l’Hôpital militaire de Mulhouse le 25 mars, l’heure est à la polémique sur l’absence de «stocks stratégiques», suite au non-renouvellement des 2 milliards de masques entreposés en 2009-2010, après l’épidémie de grippe H1N1. Le même jour, le ministre de la Santé Olivier Véran annonce la livraison imminente de 20 millions de masques aux hôpitaux. Problème: le sujet est, depuis, devenu explosif.
Côté approvisionnement, l’Etat, les collectivités locales et les entreprises privées ont eu ces dernières semaines le plus grand mal à se coordonner, au point que des réquisitions par l’armée de cargaisons commandées par les régions ont eu lieu dans des aéroports. Côté public, l’incompréhension n’a cessé de monter, au fur et à mesure de l’augmentation de la production de masques artisanaux en toile. «En changeant de discours sur les masques, le gouvernement français a alimenté une nouvelle hystérie», juge un médecin parisien, contraint de répondre aux demandes de ses patients. Désormais, chacun fait ses comptes avant le déconfinement: combien de masques par personne? Et que veut dire cette expression «masques grand public» désormais utilisée?
Pharmaciens passibles de 6 mois de prison
Sur le plan pratique, l’heure reste à la pénurie de masques chirurgicaux et de masques FFP2. Réservés au personnel soignant ou aux professionnels engagés en soutien (transport, forces de l’ordre, chaîne alimentaire, magasins), ceux-ci ne peuvent toujours pas être achetés en pharmacie, où une prescription médicale ou une carte professionnelle restent indispensables pour en obtenir. Mieux: même s’ils estiment avoir des stocks suffisants, les pharmaciens ne peuvent en disposer. Ils sont passibles jusqu’au 31 mai 2020 de 6 mois de prison ou 10 000 euros d’amende s’ils vendent des masques au public, en vertu des ordonnances législatives publiées au début de la crise. Résultat? Des officines démunies et des pharmaciens de plus en plus questionnés, voire harcelés et menacés, lorsqu’ils répondent négativement à leurs clients. Une situation dénoncée le 13 avril par le syndicat des pharmaciens dans une lettre au ministre de la Santé lui réclamant «une position claire et précise».
L’affaire se complique encore plus en raison… de l’arrivée d’une concurrence déloyale. Sous couvert de débrouille et de système D, encouragé par la diffusion de normes sur la meilleure manière de fabriquer des masques chez soi, de grandes quantités de masques en tissu commencent à faire surface. Les pharmaciens se plaignent aussi des agissements de certains acteurs – prestataires de soins à domicile ou entreprises – qui «vendent ou donnent aujourd’hui des masques chirurgicaux à la population, estimant que la réglementation relative à l’importation de ces produits leur permet de le faire en toute légalité».
Chaos
Bref, le chaos s’installe alors que l’approche de la date du 11 mai, début du déconfinement annoncé par Emmanuel Macron, «tend» ce marché et favorise les calculs les plus extravagants. Comment équiper de masques 67 millions de Français, surtout si cet accessoire doit être changé plusieurs fois par jour? Cela a-t-il un sens alors que l’Allemagne, meilleure élève sanitaire, est bien moins stricte sur ce point? L’apparition de masques de chantier anti-poussières, baptisés hâtivement «masques grand public», entretient enfin la confusion. D’autant que le président français a reconnu jeudi soir, devant une délégation des maires de France, qu’il «faudra probablement imposer le port du masque» après le 11 mai sur de nombreux lieux de travail et dans les transports en commun.
Autre impact de cette «guerre des masques» qui n’en finit pas: les conséquences socio-économiques. Invoquer l’absence de masques de protection peut être un argument pour exercer son «droit de retrait» et ne pas retourner au travail. En mars, des facteurs avaient ainsi justifié l’arrêt de leur distribution de courrier. Les employés d’Amazon ont aussi invoqué le manque de conditions de sécurité et ont obtenu, début avril, la mise en demeure de leur entreprise par l’inspection du travail. Entre les pharmaciens mobilisés et énervés par la montée des actes de délinquance (et aussi des cambriolages) contre leurs officines, et les inspecteurs du travail mobilisés, le «front» français des masques est loin d’être apaisé.
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