Episode N°3. Voyage à l’intérieur d’un hôpital israélien (septième jour). De Daniel Rouach (Rédacteur en Chef). Je suis arrivé à l’hôpital en urgence et en ambulance (annexe de Assaf Harofé) dimanche soir dernier. Confiné avec 15 malades au bout du monde du côté de Beer Yaakov.
Le bilan total lié aux cas de coronavirus en Israël s’élève ce dimanche à 8.018 personnes infectées (dont moi!), 127 dans un état grave et 46 morts, selon le ministère de la Santé. Le ministère avait annoncé samedi soir 423 nouveaux cas de coronavirus en 24 heures, ce qui avait porté le bilan à 7.851 personnes contaminées.
HASSID. Vendredi a été un jour très spécial. Autour d’une grande table de 16 convives, dont trois rabbins barbus en chemise blanche étincelante, nous nous sommes rassemblés vers 19 heures. Un Hassid très maigre et long comme un arbre sans fin (37 ans, deux femmes, trois enfants) en tenue magnifique (une redingote superbe) a mené les chants. Il ne portait pas de shtreimel [chapeau de fourrure traditionnel] mais il arborait sa bekeshe [redingote].
Il parlait le Yiddish avec un vieil homme originaire d’Australie. Le visage de ce vieux juif australien ressemble à ce que l’on peut voir dans les livres d’histoire. Une peau fissurée par le temps. Un regard vitreux. Une voix cassée. Il ressemble à un arbre centenaire. Il tenait dans sa main un grand livre broché et bordé d’or. Le « Grand Hassid » lui portait avec déférence son repas et le vin sacré. Durant le vendredi et samedi j’ai été de manière assez bizarre le numéro dix de tous les minians.
Dans le judaïsme, le minian, est le quorum de dix hommes adultes nécessaire à la récitation des prières les plus importantes de tout office ou de toute cérémonie (circoncision, mariage, deuil…). De temps à autre un petit coup sur la porte de ma chambre. Je suis demandé par les rabbins pour être le numéro dix. Je n’hésite jamais à dire oui aux invitations (je ne ne suis pas religieux). Ils acceptent sans broncher que je rejoigne le groupe avec une casquette « New York ». Cool…
REPAS. Le repas du vendredi soir a été d’une grande qualité. Les mets sont livrés dans des grands caissons blanc. Une abondance incroyable de la part de l’hôpital. Pour mes lecteurs non juifs et non religieux : le shabbat, il est prescrit à tout Juif de manger trois repas : Seouda Rishona (premier repas), le vendredi soir, Seouda Shenit (second repas), samedi après l’office du matin, Seouda Shlishit (troisième repas), en fin d’après-midi. Un quatrième repas après le Shabbat, Mélavé Malka, en raccompagnant la reine Shabbat, prend place le samedi soir.
Ce dernier samedi, pour la première fois de ma vie (j’ai 65 ans) j’ai été embarqué dans TOUS les repas! Merci au coronavirus. Selon la halakha (loi juive), un repas doit contenir du pain. Chaque tablée de shabbat est garnie de deux pains le vendredi soir, qu’on consomme au cours de la journée. Cette tradition a été tenue à l’hôpital où je me trouve. Un rabbin francophone réputé et au sourire communicatif est parmi les malades. Il nous explique que nous nous trouvons dans le « Shabbat Hagadol ».
GRAND DEPART. Samedi, jour de repos « zéro action », aura été une journée très dure. Vers 15 heures les portes électriques de notre Résidence-Hôpital s’ouvrent brusquement. Comment est-ce possible que cela soit le cas, un jour de Shabbat, jour sacré? Un nouveau départ de malade? Une visite officielle? Nous sommes supposés être isolés du reste du monde jusqu’à 20 heures. L’incroyable se produit : une vieille dame américaine frêle et très affectée par le coronavirus (et qui tousse à n’en plus finir) sort de sa chambre à grands pas, s’approche de la porte d’entrée avec deux grands sacs. Et elle s’envole! Pas vraiment mais, à peu près.
Elle est emportée par des infirmiers. Son dernier sourire restera cloué dans ma mémoire. Elle m’a remercié en Anglais de lui avoir offert un stylo en bois portant une marque d’une grande banque française. Elle est persuadée que son avion personnel l’attend sur le tarmac de l’aéroport Ben Gourion. De mon côté j’ai compris de quoi il s’agissait. De nombreuses juifs durant la dernière guerre mondiale étaient persuadés d’embarquer vers des lieux sûrs et finalement … se retrouvaient ailleurs. Cette image terrible et glaçante a plombé mon samedi. Elle était trop malade pour un voyage vers New-York.
Plus tard nous avons appris qu’un « drame a eu lieu » dans la nuit de samedi à dimanche dans un hôpital. « Une dame a perdu la vie ». Les israéliens respectent la vie de tous. La présence de la Shoah dans l’ADN de l’histoire d’Israël est telle que personne ne pourrait accepter que le Gouvernement israélien puisse abandonner des personnes en faisant un choix délibéré sur qui mérite de vivre où pas. Cette dame de plus de 70 ans est morte malgré les efforts exceptionnels de l’équipe de sauvetage.
Hier j’ai craqué. Un mal de tête terrible. Que faire? Je me calme. Et je marche en écoutant des chansons de Léonard Cohen à plein tube. Le coronavirus est une saloperie.
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DEUXIEME EPISODE. De Daniel Rouach (Rédacteur en Chef). Résumé de l’épisode précédent. J’ai le coronavirus, comme des milliers de gens à travers le monde. Je suis arrivé à l’hôpital en urgence et en ambulance (annexe de Assaf Harofé) dimanche soir. Confiné avec 15 malades au bout du monde du côté de Beer Yaakov. Impossible d’ouvrir les fenêtres et de sortir du compound. Des caméras tapissent les plafonds. Et nous surveillent.
INTRODUCTION. Même les chats qui rodent aux alentours ont peur de nous. Ils ne cherchent pas de nourriture autour de notre annexe d’hôpital. Pas de chants d’oiseaux non plus. Bizarre quand même. De ma fenêtre blindée j’observe à 200 mètres de nous des ouvriers qui arrivent tous les matins à 6h55 pour construire une bâtisse dans un immense chantier industriel grisâtre. Ils ne se savent pas qu’ils sont observés par des malades en cage.
VIEUX. Le slogan actuel des des israéliens ? « On n’abandonne pas les vieux ». Les personnes qui ont plus de 70 ans et qui ont le coronavirus ne sont pas condamnés par leur âge en Israël. J’ai constaté que les juifs de France qui sont ici dans cet hôpital, voyant le danger venir (frontières fermées), m’ont tous dit qu’ils ont rejoint l’Etat Hébreu pour sauver leurs vieux parents. Certains ont payé de grosses sommes pour se procurer un billet d’avion. Le fait de partir à temps de France a sauvé des vies d’anciens qui vivaient dans des EPHAD. En Israël, les médecins ne négligent aucune vie, vieux où jeunes. Ce n’est donc pas du tout par hasard si le Mossad sillonne le monde avec des valises de dollars pour acheter des respirateurs destinés à tous. Toutes les Ambassades sont mobilisées.
TEMPS. J’ai perdu le sens du temps. Tout se mélange au point où je ne sais plus à qui j’ai parlé durant la journée. Ai-je parlé avec Miriam du Technion hier où avant-hier? Ai-je répondu à Gérard? Peu importe. Edouard m’a t-il parlé? Le rythme de vie dans une entité médicale hermétique où je suis enfermé depuis des jours est marqué par des micro-évènements uniques et qui n’ont aucune liaison les uns avec les autres. Certains des 16 malades (ils toussent, tous) se sentent comme dans une prison. Ils ne voient que les portes blindés et les caméras qui nous surveillent 24h/24. Un des malades s’est enfermé dans la nuit d’hier dans les toilettes pour parler avec des amis. Des hauts parleurs l’ont appelé au milieu de la nuit, dans un bruit étrange, pour savoir où il se trouvait. Avait-il fuit l’hôpital? Un drame a eu lieu récemment en Israël : un malade a sauté du troisième étage. Il n’en pouvait plus.
Je ne sais si c’est un hasard, mais hier nous avons reçu des boîtes de bonbons et chocolats offerts par des donateurs. Des grandes marques. Une manière d’adoucir notre vie. En prime nous avons reçu du dentifrice. Pas n’importe lequel, du Colgate. Un échantillon « Géant ». J’ai tenté de sentir son odeur. Malheureusement mon odorat a disparu. Et avec cela, mille souvenirs. Disparu l’odeur des gâteux, et autres. Hier soir je me suis rendu compte que j’ai perdu au fil des années : un oeil, un doigt et à présent l’odorat. Ceci dit, lorsque j’ai perdu mon doigt j’étais sur qu’il allait repousser! Je vais donc retrouver mon odorat…
SHABBAT. La porte d’entrée s’ouvre. Un chariot arrive. Nous venons de recevoir le repas et les nappes du shabbat. Six nappes en papier de couleurs différentes. C’est une infirmière enveloppée d’une lourde combinaison verte qui nous a apporté les nappes. Un juif orthodoxe a décidé d’ouvrir les paquets avant shabbat, car m’explique t-il : « il est interdit de déchirer les plastiques qui enveloppent les nappes ». Nous avons aussi reçu des soupes de poulet. Les israéliens sont hystériques avec le poulet. On en mange matin, midi et soir. Ce soir ce sera donc « Happy chicken hour – la fête au poulet ».
Ces derniers jours tous les matins des plateaux d’oeufs nous ont été livrés. Les israéliens en font une sur-consommation. L’armée a habitué ses soldats a en manger de manière déraisonnable. Les oeufs israéliens sont moches. Personne n’y prête attention.
CIGARETTE. Un Monsieur sympathique, arrivé hier soir, à besoin de fumer. Il est en ébullition. Un spécial « addicted ». Comment lui trouver des cigarettes? J’ai mis en place une stratégie « en tenaille ». Toutes les quelques minutes je vais dans la salle des vidéos des médecins (ils sont dans une salle à trois kilomètres de chez nous) et je supplie en Hébreu d’aider ce Monsieur. Je dois tenter d’être meilleur que Macron face à son prompteur. J’ai convaincu le médecin ophtalmologue qui est avec nous (parmi les malades) de mener une opération « coup de force ». Finalement l’hôpital a cédé. Un feu vert est arrivé. A travers une barrière qui donne sur l’extérieur, un infirmier, en tenu lunaire blanchâtre, a livré un paquet de cigarettes, il y a quelques minutes. Encore une victoire sur le coronavirus.
J’ai aussi convaincu les infirmiers de nous apporter des journaux en hébreu. Une dame est littéralement hystérique. Toutes les demi-heures elle me demande si : »le journal est là ». Elle le reçoit enfin. Et se jette avec passion sur le « Israel Hayom », journal de propagande de « BIBI The King ».
Habituellement, les infirmières comptent leurs minutes dans notre annexe d’hôpital. Elles fuient le virus. Ce n’est pas le cas aujourd’hui. C’est la veille de shabbat . Tout doit être nickel…
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Editorial d’IsraelValley. De Daniel Rouach. (Rédacteur en Chef). Ce matin je suis dans un hôpital de la région sud de Tel-Aviv, le Centre médical Assaf Harofeh (1) , proche de l’aéroport Ben Gourion. Vendredi dernier j’ai été me faire tester avec une rapidité étonnante à Tel-Aviv. Une recherche sur le site des Assurances israéliennes m’avait fait savoir que dans mon avion El Al (Paris-Tel-Aviv), quatre malades du coronavirus se sont déclarés. J’ai perdu l’odorat après deux-semaines.
Les résultats sont tombés hier après-midi. Un appel très officiel, et tout en douceur, du Maguen David Adom. J’ai bien le coronavirus. Rien de dramatique. Je m’y attendais. Les signes étaient là. A partir de ce matin, je vous transmettrai mon expérience israélienne. Hier je n’en ai pas eu la force.
Hier a été une journée très, très spéciale. Vers 20 heures, une ambulance silencieuse et sans flashs d’urgence du Magen David Adom m’a récupéré. L’atmosphère était lunaire. Le conducteur était seul et habillé avec une blouse et des lunettes totalement hermétiques. Je n’ai pas pu voir son visage. Sa voix était jeune. Très style « militaire ». J’avais l’impression qu’il travaillait pour l’armée israélienne.
Un moment assez incroyable, où l’on passe d’une vie « classique » à une autre vie. En Israël, le style est humain et très direct. Pas de place pour le blablabla. Le conducteur me demandait toutes les cinq minutes si tout va bien. Devant l’hôpital, dans la nuit sombre et silencieuse l’ambulance s’est garée. Je suis sorti. Assommé!
J’ai été transporté dans une annexe de l’hôpital qui recevait habituellement des retraités israéliens. 16 personnes sont dans ce mini-hôpital, style résidence spartiate fermée. Ce qui frappe le plus : les médecins communiquent à travers une salle vidéo et ne sont pas en contact physique avec les malades. Tout se passe via écran.
De temps à autre un micro grésille et donne, toujours dans un style militaire, en hébreu, un prénom. Tout le monde entend « la voix ». L’installation où je me trouve est bourrée de caméras vidéos. Tout est sous-surveillance. Impossible de sortir à l’extérieur. Tout est verrouillé à double tour.
Chacun a son téléphone portable et porte en permanence un masque. Le plus extraordinaire : une entraide de style familiale existe vraiment entre les seize malades.
Une expérience unique de voir des jeunes américains de Duke University (environ 30 ans) aider des personnes de 70 ans qu’ils ne connaissaient pas la veille. Chacun apporte son savoir-faire de manière naturelle. Un jeune médecin chirurgien-ophtalmologue est dans le groupe des « 16 ». De manière naturelle il est devenu mon médecin bénévole. Je le questionne sans arrêt. Un dialogue en Anglais. Des personnes se chargent de ranger les tables et le frigo. Un juif orthodoxe est penché en permanence sur un livre du Talmud.
Tout est en accès libre : café, lait, gâteaux, pizzas, houmous…
Le matin une porte s’ouvre : deux employés couverts d’une robe médicale, de l’hôpital, livrent un chariot. C’est aux malades de prendre la suite. Et d’organiser le petit-déjeuner. Aucune tristesse. Aucune lassitude. Juste quelques mots entre les « 16 ». Une femme de ménage a pénétré les locaux ce matin. Un jeune américain l’a aidé amicalement à récupérer les poubelles. Il l’a aidé à déplacer chaises et tables.
L’hôpital me livre un sac toilette complet. Mon nom y est inscrit en hébreu. Un geste inoubliable. On me transmet un thermomètre. Chaque prise de température est une épreuve. Chacun est appelé par les infirmiers. Les tests au coronavirus démarrent. Chacun avec son angoisse.
J’oubliai de vous dire: beaucoup de gens toussent. Une vielle dame américaine va mal. Elle me demande d’appeler les médecins en urgence. C’est ce que je fais. Elle a peur. Au même moment une annonce grésille : « des glaces à la vanille pour tous ». Je traduis en hébreu, Français, Anglais. Applaudissements! Mon nouvel ami, juif orthodoxe à la longue barbe, me demande si les glaces sont cashers. Je lui répond par un tonitruant « Qen » (« oui »). Il est heureux… moi aussi. Les petits plaisir de la vie… en période de coronavirus.
(1) Le Centre médical Assaf Harofeh est le quatrième plus grand hôpital public en Israël. Le centre médical est situé à Be’er Ya’akov. L’hôpital est un établissement médical universitaire de 848 lits qui dessert une population croissante de toutes les nationalités, ce qui représente actuellement près d’un demi-million de personnes. L’hôpital offre des services à une population d’environ 1,5 million d’habitants et offre une grande variété de services de soins de santé de premier ordre.
Le centre médical comprend 848 lits pour les patients hospitalisés, 21 blocs opératoires de pointe, des unités de soins intensifs cardiaques, néonatales, pédiatriques et respiratoires, dotés d’équipements de pointe, de laboratoires sophistiqués et de diverses unités cliniques spécialisées. L’hôpital offre une attention personnelle, un diagnostic et un traitement médical. Une équipe de 3 400 médecins, chercheurs, professionnels de la santé, personnel infirmier et administratif, travaillent ensemble pour offrir un service professionnel à tous les patients. Le personnel offre des services médicaux de haut niveau, tout en fournissant à chaque patient des soins personnels, chaleureux et humains.