« J’ai fait perdre de l’argent à mes premiers investisseurs, mais ils ont décidé de continuer à me suivre dans mes start-up suivantes. Je les remercie. Aujourd’hui, ils ont gagné de l’argent grâce à moi. Je crois qu’ils peuvent me remercier ». Les 350 personnes – dont une bonne part d’entrepreneurs – assistant au déjeuner s’esclaffent, ils adorent. Un secrétaire d’État qui affiche un rapport décomplexé à l’échec et à l’argent, ça leur plaît.
Parmi eux une bonne part est issue de ce fameux « éco-système high-tech israélien », constitué des centres de recherches des universités et de l’armée, des incubateurs de starts-ups, des filiales de multinationales implantant en Israël leur département recherche et développement. Ils l’accueillent comme l’enfant prodige. Volontiers accessible et volubile, parlant un anglais fluide aux intonations françaises, Mounir Mahjoubi marque des points là où la France pèche souvent par trop de formalisme.
Selon un entrepreneur français accompagnant Mounir Mahjoubi en Israël, les Français ont deux défauts majeurs qui les mettent à la peine dans le secteur de l’innovation : « notre anglais est pourri dit-il, et on n’ose qu’avec peine parler en public » alors que toutes les connections ou presque du milieu de l’innovation se font lors de moments informels; et que le « pitch » en public de son projet est le levier principal pour lever des fonds. Autre talent qui a plu, ici en Israël, Mahjoubi a gagné ses galons en remportant une importante bataille symbolique face à des hackers, soupçonnés d’être en lien avec la Russie. (Source : http://fr.timesofisrael.com)
LE PLUS. Daniel Haïk a interrogé Mounir Mahjoubi pour Studio Qualita.
Daniel Haïk: L’Etat d’Israël se caractérise par sa population issue de l’immigration, composée de personnes qui ont beaucoup voyagé. De ce que vous connaissez d’Israël, réussit-il dans la haute technologie grâce à cette richesse qui compose sa société?
Mounir Mahjoubi: C’est principalement le message que j’ai voulu faire passer dans mon intervention. Il s’agit de comprendre qu’une trajectoire de réussite qui est au départ individuelle voire qui s’inscrit dans un projet familial se concrétise souvent dans ce voyage. Le voyage nous enrichit par sa rencontre avec l’autre qui nous donne la capacité d’agir, la motivation et nous aide à avoir une vision de ce que nous voulons faire.
Je pense que la plus grande force de l’Etat d’Israël c’est sa diversité. Elle se décline sur plusieurs plans: diversité des origines, des parcours intellectuels et familiaux. Tous les étudiants qui y réussissent le font à leur manière et apportent chacun à l’Etat d’Israël cette intelligence qui permet de créer des start-up que l’on ne retrouve pas dans d’autres pays. L’Etat d’Israël favorise le fait que chacun décide de son chemin, que chacun désigne l’endroit où il veut aller et qu’il puisse réussir ce dont il a besoin pour le faire. Ces parcours sont célébrés ici. Une des particularités de l’Etat d’Israël, c’est qu’il y a peu de modèles à reproduire parce que c’est un Etat très jeune avec une population issue du voyage; c’est-à-dire issue de parents qui ont quitté un endroit pour aller vers un autre, volontairement ou pas. Ils ont eu à reconstruire ou à continuer de construire ou à construire en héritage le chemin que quelqu’un avait démarré pour eux. C’est formidable et ça peut aider une nation à se dépasser. Dans le terme start-up nation que l’on accole à Israël, j’y vois aussi l’idée du dépassement d’aller plus vite.
D.H.: Que peut-on apprendre d’un tel pays?
M.M.: L’état d’esprit que je viens de décrire est un peu celui que nous voulons donner à la France avec Emmanuel Macron. Comment faire pour que la France se dépasse? La première réponse est que la somme des individus doit se dépasser. Ensuite, on ne doit plus assigner personne à résidence dans l’échec. Nous devons sortir tous ceux qui sont dans l’échec, au logement, à l’emploi, à l’éducation, afin qu’ils puissent dessiner leur trajectoire. Ils doivent pouvoir créer la richesse qu’ils ont voulue pour eux. Cette richesse peut simplement être la capacité de subsister à ses propres besoins.
D.H.: Comment fait-on aujourd’hui pour motiver une nation?
M.M.: C’est certain, c’est un défi. Ce qui doit nous animer c’est la conviction que nous ne devons jamais renoncer. Tout le monde doit être pris en considération: de la petite section de maternelle, à celui qui a décroché à l’école, jusqu’à celui qui est en chômage de longue durée en passant par celui qui exerce le même emploi depuis 20 ans mais qui est appelé à disparaitre dans les cinq prochaines années et qui doit donc se reformer. Si on néglige une personne, on se condamne tous. C’est pourquoi nous devons être capables de mobiliser nos concitoyens pour les aider à se construire et à suivre le chemin qu’ils auront choisi. Nous devons être plus efficaces et changer notre façon d’aider les autres pour ne pas sombrer collectivement.
D.H.: Avec quels modèles allez-vous repartir en France?
M.M.: Sur le plan du numérique, nous allons travailler sur la façon de développer une plus grande diversité dans les parcours d’entrepreneurs à l’image de ce que l’on voit en Israël, avec des femmes plus engagées, des gens issus des quartiers populaires,…
Aujourd’hui en Israël, on a réussi à multiplier cette diversité qui est essentielle.
Il y a aussi en Israël, la culture du »on peut le faire », « pourquoi pas essayer ». Cela vient aussi du fait que si on s’est installé en Israël, c’est que l’on a déjà passé un grand cap dans le »rien n’est impossible ». C’est aussi l’idée qui sous-tend à l’existence de cet Etat.
Cette mentalité doit s’implanter aussi chez chacun des Français. Historiquement, les Français ont su montrer aussi qu’ils étaient convaincus que tout est possible. Nous devons redonner ce sentiment à notre population. Notre gouvernement y croit et nous le ferons à travers des transformations radicales et en profondeur dans tous les domaines de la vie.
D.H.: Cet esprit peut-il être utile à la résolution du conflit qui touche cette région depuis tant d’années?
M.M.: Je sens que l’entreprenariat et les relations commerciales peuvent être quelque chose de très beau et de très fort. Par le business, on peut créer des solidarités que l’on n’aurait pas créées autrement. Nous avons rencontré des entrepreneurs à Ramallah, nous avons rencontré des entrepreneurs arabes et Juifs à Tel Aviv. Ils ont souvent les mêmes problématiques et la même envie de développer des relations dans la région et dans le monde. L’idée de travailler ensemble est un début de paix. C’est peut-être un moyen de créer les conditions auxquelles il faudra ajouter du courage politique pour parvenir peut-être à une solution.
Propos recuellis par Daniel Haïk pour Qualita
www.studioqualita.com
Times of Israel (Copyrights) : « Mounir Mahjoubi, 33 ans, secrétaire d’État à l’Innovation était en visite en Israël du 5 au 7 septembre. 350 personnes étaient présentes lors du déjeuner organisé par deux chambres de commerces franco-israélienne (CCFI et CCIIF) à l’hôtel Dan Panorama.