Cependant, l’adoption de cette sanction commerciale bute sur un obstacle de taille : l’opposition du chancelier allemand Friedrich Merz. Car, dans l’architecture complexe de la prise de décision européenne, cette suspension commerciale nécessite une majorité qualifiée au Conseil. Une minorité de blocage existe tant que l’Allemagne et l’Italie n’ont pas basculé dans le camp des partisans des sanctions.
L’effet domino italien.
Selon plusieurs sources diplomatiques, l’Italie de Giorgia Meloni a fait savoir qu’elle alignerait sa position sur celle de Berlin. « Si l’Allemagne bouge, l’Italie bouge aussi », résume un diplomate européen. Cette mécanique de suivisme n’est pas inhabituelle dans les dossiers sensibles, où Rome préfère éviter l’isolement. La position italienne s’est d’ailleurs durcie ces derniers mois. Le 27 août, Giorgia Meloni avait déclaré que les attaques israéliennes à Gaza « ont dépassé le principe de proportionnalité » et qu’il y avait eu « trop de victimes innocentes ». Une évolution notable pour une dirigeante qui avait initialement soutenu sans réserve le droit d’Israël à l’autodéfense après le 7 Octobre.
Avec l’Allemagne et l’Italie dans l’escarcelle, Bruxelles disposerait alors d’une majorité solide. Car au-delà de ces deux poids lourds, plusieurs capitales ont déjà signalé leur soutien à la mesure, à commencer par la France. Les derniers récalcitrants se comptent sur les doigts d’une main : République tchèque, Hongrie, Bulgarie, Autriche. Des pays traditionnellement pro-israéliens qui pourraient maintenir leur opposition, mais seraient mathématiquement minoritaires si Berlin et Rome basculaient.
Le chancelier Merz sous pression.
Pour Friedrich Merz, l’équation est délicate. Le chancelier conservateur a suspendu début août les livraisons d’armes allemandes à Israël à la suite de la décision de Tel-Aviv d’intensifier ses opérations à Gaza. Il fait déjà face à une « rébellion ouverte » au sein de son propre parti, la CDU, sur la cessation des livraisons d’armes. Ses opposants internes l’accusent de trahir l’engagement historique de l’Allemagne envers Israël, cette Staatsräson forgée par la culpabilité liée à la Shoah.
Mais les pressions s’accumulent. D’un côté, l’opinion publique allemande s’émeut de plus en plus du bilan humanitaire à Gaza. De l’autre, ses partenaires européens multiplient les appels du pied pour que le chancelier Merz rejoigne la position des pays comme la France, les Pays-Bas, l’Espagne, la Belgique, l’Irlande…
Israël proteste avant la sanction
Israël n’a pas attendu la décision de la Commission européenne pour adresser, dès le 16 septembre, une lettre cinglante à Ursula von der Leyen. Dans ce courrier de deux pages, signés par le ministre des Affaires étrangères Gideon Sa’ar, Israël proteste contre « cette proposition sans précédent, qui n’a jamais été mise en œuvre contre aucun autre pays ». Cette sanction constitue « une tentative claire de nuire à Israël alors que nous menons encore une guerre qui nous a été imposée », poursuit le chef de la diplomatie israélienne. Gideon Sa’ar dénonce un processus « entaché de fausses accusations et de vices juridiques », accusant la Commission de ne pas avoir respecté les exigences minimales de consultation prévues dans l’accord d’association.
Cette lettre est également transmise en copie au secrétaire d’État américain Marco Rubio et à la haute représentante Kaja Kallas, signe d’une stratégie d’internationalisation du conflit avec Bruxelles. Tel-Aviv espère visiblement mobiliser Washington pour faire pression sur les Européens. La présidente von der Leyen s’est d’ailleurs entretenue avec le président Trump le 16 septembre, mais elle n’a évoqué que la coordination UE-US sur le 19e paquet de sanctions contre la Russie, dont la présentation a été différée. Aucune mention d’une conversation sur Israël, officiellement.
L’Amérique appelée au secours.
La protestation anticipée des autorités israéliennes trahit l’inquiétude réelle de Tel-Aviv face à une mesure prise très au sérieux. Cela dit, l’impact économique des mesures envisagées demeurerait limité : les produits israéliens passeraient du régime de faveur (0 % de droits de douane) aux tarifs OMC standards, ce qui affecterait 37 % des échanges en valeur, soit 5,8 milliards d’euros d’importations annuelles. Le surcoût pour les importateurs israéliens atteindrait 227 millions d’euros de droits de douane supplémentaires. Les secteurs concernés seraient principalement agricoles. Les produits pharmaceutiques sont déjà à 0 %, selon les standards OMC. Les mesures commerciales ne concerneraient que les produits issus des frontières de 1967 ; les colonies, déjà exclues des préférences tarifaires, ne seraient pas affectées par cette suspension.
La Commission européenne a également décidé de suspendre l’aide bilatérale à l’État hébreu. Ce qui se traduit par un gel de 20 millions d’euros d’assistance technique, sans que cela affecte les programmes en lien avec la société civile et le soutien au mémorial de Yad Vashem.
Au-delà de l’impact économique limité, l’État hébreu redoute surtout l’effet de précédent et le signal politique d’une Europe qui se détacherait progressivement. L’Allemagne reste l’un de ses derniers remparts au sein de l’UE pour empêcher cette sanction historique.
Concrètement, que changerait cette suspension commerciale ? La Commission proposerait de remettre les tarifs européens sur certains produits israéliens au niveau des droits de douane de base internationaux, abandonnant les préférences tarifaires accordées dans le cadre de l’accord d’association entré en vigueur en 2000. Ce serait la première fois dans l’histoire que l’Union européenne suspendrait les dispositions commerciales d’un accord d’association pour des motifs liés au non-respect du droit international. Un précédent qui pourrait faire jurisprudence.