Analyse | Comment peut-on être syrien ?, par Raphaël Jerusalmy


Tout le monde s’accorde à fermer les yeux sur l’agenda salafiste d’Ahmed al-Charaa et sur l’islamisation radicale qu’il mène en parallèle de ses travestis d’ouverture vers le monde

Raphaël Jerusalmy
Raphaël JerusalmyAncien officier du renseignement militaire israélien, auteur de « Tribunes de guerre  » chez David Reinharc

En 1721, le philosophe Montesquieu posait la célèbre question « Comment peut-on être persan ? » dénonçant par-là l’incompréhension de ce qu’est le monde musulman. Cette incompréhension, qui perdure jusqu’à ce jour, est la source des innombrables bourdes géo-politiques perpétrées par l’Europe au Proche-Orient. Ces jours-ci, la communauté internationale en commet une nouvelle, due une fois encore à sa lecture erronée de la carte.

Comptant sur un terroriste islamiste avéré pour qu’il instaure un régime consensuel unissant tous les Syriens, elle oublie tout simplement une donnée de poids : la Syrie n’est pas un pays. Pas plus que la Jordanie, le Liban, l’Irak, la Palestine qui font historiquement partie de ladite Syrie, laquelle désigne une étendue géographique. Créée de toutes pièces en 1916 des suites des accords secrets de Sykes-Picot, elle ne constitue pas une nation au sens propre du terme.

C’est une région. Avec en son sein, une mosaïque intriquée d’ethnies, de tribus et de clans, aujourd’hui artificiellement dispersés de part et d’autre de frontières qui font fi de leurs singularités respectives, qu’ils soient bédouins, kurdes, sunnites, chiites, alaouites, turkmènes, assyriens, chrétiens.

Il existe entre ces ethnies et tribus aussi bien des haines ancestrales que des accords tacites que ne délimitent aucun territoire national, mais des domaines du patrimoine traditionnel régis par des familles dominantes ayant plus d’influence et de pouvoir, au niveau local, que les gouvernements centralisateurs. Lorsque Thomas Barrack, l’ambassadeur américain en place à Ankara, leur demande de s’unir tous en une seule nation sous l’égide d’un djihadiste issu du clan Salamat de la tribu Anizah, il ne précise pas ce qui doit les souder. Un sentiment patriotique ? Barrack, pour sa part, est un patriote américain d’origine libanaise. Ce qui n’est une bonne référence ni à Damas ni à Ankara. Unir, souder ? Encore faudrait-il que le régime en place à Damas exerce effectivement un contrôle sur les différentes composantes du pays.

Les heurts sanglants de ces derniers jours montrent à quel point il est ardu de tenir en laisse les rancunes et vendettas de longue date. Le danger qui menace actuellement la Syrie est celui d’un retour à une dictature qui pousserait Damas à rejeter ses problèmes, ses échecs, sur le bouc émissaire de prédilection : l’ennemi sioniste. Dictature est le mot puisque le président actuel n’a pas été élu. Tout le monde s’accorde à fermer les yeux sur l’agenda salafiste d’Ahmed al-Charaa et sur l’islamisation radicale qu’il mène en parallèle de ses travestis d’ouverture vers le monde. Dans son magnifique livre, Les Portes de Damas, l’écrivaine belge Lieve Joris décrit la condition de la femme syrienne au début des années quatre-vingt dix. Cette condition peu enviable, étouffante, angoissante, est en passe d’empirer gravement. La passivité de la communauté internationale face aux atroces décrets des Talibans ne peut qu’encourager un ancien de l’État islamique d’Irak a brimer de plus belle la femme musulmane en Syrie. La question de Montesquieu devient alors : « Comment peut-on être syrienne ? »

L’aveuglement occidental, le plus souvent délibéré plutôt que vraiment ingénu, est une forme de racisme dans la mesure où il ne fait aucun cas des mentalités et des cultures qui régissent la vie en terre d’Islam. Il fait mine d’ignorer l’oppression des femmes, des dhimmis ou infidèles non-musulmans, des homosexuels, des handicapés, des minorités de toutes sortes. Cette semaine en Israël, la première femme bédouine à devenir médecin a raconté comment l’un de ses frères avait menacé de la tuer si elle poursuivait ses études. Pour bien lui rappeler sa place.


Le seul espoir de la Syrie de connaître la stabilité, et un jour la paix, c’est Tsahal, une armée qui montre l’exemple de la cohésion de différentes ethnies, religions, couches sociales en une force de défense démocratique et populaire. Une armée qui franchit des frontières tracées pour diviser et non unir, des frontières tracées par l’hypocrisie et la bêtise, sans considération aucune pour les populations qu’elles dispersent sur des territoires morcelés au coupe-coupe. Telles les frontières d’un futur état palestinien alors qu’il n’y a pas ni jamais eu de Palestine en dehors d’une province romaine, elle aussi inventée pour les besoins de la cause. La cause romaine, s’entend. Comme c’est le cas aujourd’hui pour une Pax Americana. Et le nouvel État islamique de Damas.

Tribunes de guerre, par Raphaël Jerusalmy, commentaires de Mohamed Sifaoui, éditions David Reinharc. Tribunes de guerre 2023-2025 – broché – Raphaël Jérusalmy – Achat Livre | fnac

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