Le jour d’après, par Raphaël Jerusalmy.
Aujourd’hui, bien regrettablement, partout où Tsahal se retire, le Hamas reprend le pouvoir. Il est cependant hors de question de considérer une occupation militaire à long terme
Avec l’atteinte imminente des principaux objectifs tactiques, l’approche de l’hiver, la nécessité de refourbir l’arsenal, l’épuisement des troupes ayant combattu durant de longs mois, il est temps de capitaliser sur les succès militaires de Tsahal et d’envisager des solutions négociées de cessez-le-feu. Les acquis sur le terrain doivent être consolidés par des dispositifs sécuritaires et des mécanismes administratifs assurant que les factions terroristes ne puissent ni se réarmer, ni se redéployer, et qu’une alternative leur soit trouvée pour gérer les zones qu’elles contrôlaient.
À Gaza, ce problème aurait dû être traité depuis des mois. Il aurait fallu prévoir l’aménagement d’un appareil sécuritaire local ou international qui soit responsable du maintien de l’ordre ainsi qu’un nouveau régime administratif pour la gestion de la bande de Gaza. Aujourd’hui, bien regrettablement, partout où Tsahal se retire, le Hamas reprend le pouvoir. Il est cependant hors de question de considérer une occupation militaire à long terme. Ce serait s’enliser. L’armée est en train de renforcer ses positions le long des axes de Philadelphie et Netzarim afin de pouvoir intervenir rapidement si nécessaire, sans laisser d’importantes forces sur le terrain.
À l’encontre de l’avis des experts stratégiques, certains membres du gouvernement prônent la réinstauration d’implantations juives en vue d’une possible annexion des territoires. Et donc un retour à la situation précédant l’évacuation israélienne de Gaza ordonnée par le premier ministre Ariel Sharon en 2005. Et à laquelle Benjamin Netanyahou s’était fermement opposé au point de démissionner du gouvernement. Jusqu’à présent, aucune résolution n’a été votée dans un sens ni dans l’autre, créant un vide désastreux qui se trouve tout à l’avantage de l’ennemi alors qu’il y a des propositions sur la table, émanant des Américains, de pays arabes et même de compagnies privées, qui permettraient à Israël de fermer la porte sur Gaza et jeter la clef. Il est important de noter que les chefs de Tsahal et du Shin Beth avertissent que toute continuation de l’offensive à Gaza met en danger la vie des otages détenus dans les ultimes retranchements du Hamas.
Concernant le sud-Liban, un cessez-le-feu semble non seulement possible mais souhaitable dans la mesure où une guerre d’attrition traînant en longueur ferait le jeu du Hezbollah. Là aussi, le moment est venu de prévoir un retrait de Tsahal pour éviter l’embourbement des troupes en plein hiver. Mais surtout afin de profiter de l’affaiblissement de la position politique du Hezbollah au sein du Liban ainsi que des instructions de Téhéran de ne pas escalader. L’Iran redoute en effet que son « proxy » principal soit réduit à néant. Là aussi, si un arrangement est atteint entre Beyrouth et Jérusalem, il faut des garanties régionales et internationales. Sinon, il sera hors de question d’escompter que des dizaines de milliers de citoyens israéliens évacués de la zone dangereuse acceptent de regagner leur domicile.
La Judée-Samarie exige également que des décisions soient prises de toute urgence. Des dizaines de bataillons israéliens y sont mobilisés alors qu’ils sont destinés à opérer sur d’autres fronts. Certains ministres poussent à une annexion pure et simple des territoires alors que d’autres privilégient un renforcement de l’Autorité palestinienne, et même le retour de son hégémonie sur Gaza, à condition que les dirigeants de l’OLP et du Hamas soient évincés au profit d’une nouvelle génération, plus technocratique ou par des personnalités plus aptes à faire respecter l’ordre, tel que Mohamed Dahlan. .
Là encore, tout coince au niveau politique, ce qui oblige les militaires à poursuivre une interminable campagne au jour le jour, sans qu’aucune vision stratégique n’en précise le but à long terme. Les services de sécurité et de défense d’Israël travaillent dans le flou, suivant leurs choix professionnels. Ces choix ne s’alignent pas nécessairement sur ceux que ferait le gouvernement. Mais le gouvernement n’a pas tracé de ligne directrice, ni défini d’orientation claire quant à ses intentions, laissant un brouillard planer sur l’avenir sécuritaire de la nation.
Le dernier gros morceau, c’est l’Iran. Il est clair que les réussites de Tsahal ont complètement changé l’équation stratégique au Proche-Orient. Téhéran tablait sur le Hezbollah et le Hamas pour une éventuelle offensive de masse contre Israël. C’est râté. Quant aux Houthis du Yémen, ils sont sous le feu d’une coalition internationale. Reste à savoir s’il faut frapper l’Iran encore plus fort ou s’en tenir là pour l’instant. Qui en décidera ? Le gouvernement écoutera-t-il les militaires ? Bien lui en prendrait puisque ce sont eux qui ont planifié, monté et mené les victoires spectaculaires de ces derniers mois. Mais on peut en douter à voir le premier ministre démettre le ministre de la Défense, Yoav Gallant, de ses fonctions et le remplacer par un politicien peu qualifié pour le poste.
En parlant de qualification, il est effectivement important de savoir avec qui l’on négociera le jour d’après. Il est fâcheux de constater que les régimes et dirigeants avec qui Israël doit traiter sont corrompus, dictatoriaux ou instables. Bref, pas du tout fiables. Impossible de faire confiance au Hamas. On ignore d’ailleurs qui, au sein de cette faction en pleine débandade, est habilité à entériner puis faire respecter un accord. Les chefs de Gaza, terrés dans les tunnels ? Ou ceux qui se prélassent dans les palaces d’Istanbul et Damas ? Idem pour le Hezbollah. Et aussi pour un gouvernement libanais dysfonctionnel qui peut tomber du jour au lendemain.
D’où la nécessité absolue d’une implication des nations normatives, américaine et européennes en tête, d’assumer leurs responsabilités quant à une stabilité du jour d’après au Proche-Orient. C’est d’ailleurs dans leur intérêt économique et énergétique. Sans compter leur obligation morale et humanitaire. On ne peut tout de même pas attendre qu’Israël tienne toute la région et endigue à lui seul la déferlante djihadiste.
De multiples questions demeurent sans réponse. Que fera Donald Trump ? Ou même son gendre, Jared Kushner ? Que décideront les Chinois ? Dans quel camp virera MBS ? Qui succédera à Abou Mazen et Khamenei ? Mais trois facteurs sont sûrs et certains. Rien ne doit être envisagé ni négocié tant que les otages israéliens du 7 octobre ne seront pas libérés. Deuxièmement, le jour d’après est en retard au rendez-vous. Alors, c’est maintenant ou jamais. Et enfin, si les modalités ne sont pas bien ficelées et que l’ennemi reprenne du poil de la bête tandis que le reste de la planète croise les bras, le jour d’après risque fort de devenir le jour d’avant. D’avant un conflit généralisé. Et peut-être même mondial.