Israël : « Moins on parle des accords d’Abraham, mieux ils se portent », une conversation avec Jonathan Winer.
Jonathan Winer, ex envoyé spécial de Barack Obama en Libye.
« Il est impossible qu’Israël gère Gaza sur une base permanente. Par ailleurs, la réticence de l’Égypte à gouverner ce territoire est ancienne : elle découle de son opposition au Hamas, émanation des Frères musulmans, que le président Al Sissi a activement réprimés avec le soutien des Émiratis. L’Autorité palestinienne en Cisjordanie, actuellement dirigée par un leader vieillissant, perçu comme inefficace, n’est pas non plus une solution.
Malgré cela, l’Autorité palestinienne tente de collaborer avec Israël pour stabiliser la Cisjordanie et éviter les crises potentielles. Finalement, la Jordanie, qui a été une clef dans les tentatives de stabilisation de la Cisjordanie, doit être soulignée : elle pourrait faire partie intégrante de la solution.
En définitive, si l’on veut sortir de la crise, il est essentiel qu’émerge un gouvernement palestinien capable d’administrer efficacement à la fois Gaza et la Cisjordanie, tout en garantissant la sécurité d’Israël. Cela nécessite non seulement du leadership politique, mais aussi une connexion géographique entre les deux régions, qui est une condition absolument nécessaire pour envisager la création d’un État palestinien unifié.
Pensez-vous que les accords d’Abraham survivront au conflit actuel ?
Moins on parle des Accords, mieux ils se portent. Les Émirats arabes unis entretiennent depuis longtemps des relations commerciales avec Israël, qui comprennent des échanges fréquents vers Dubaï et la vente de nombreuses technologies israéliennes au gouvernement des Émirats arabes unis. En ce qui concerne les accords d’Abraham, si je conseillais l’une ou l’autre des parties concernées, j’insisterais pour que la question ne soit pas mise sur la table pour l’instant, afin d’attendre la fin du conflit pour évaluer la situation.
L’opinion publique européenne, contrairement à celle des États-Unis, est divisée depuis longtemps sur la question du conflit israélo-palestinien. Mais le consensus américain semble aujourd’hui vaciller : une évolution est perceptible, notamment au sein du parti démocrate, où la frange la plus à gauche s’oppose à Joe Biden. Cela peut-il peser sur les prochaines élections présidentielles ?
Il est vrai qu’une partie de l’électorat — les jeunes et une partie des minorités — s’identifie aux Palestiniens. Cette tendance n’est pas nouvelle, mais elle a été réactivée par l’horreur actuelle. Cette tendance est également exacerbée par la tendance à l’extrémisme sur les campus universitaires. Les étudiants — et j’ai connu les turbulences de la fin des années 1960 et des années 1970 — ne sont pas connus pour leurs positions nuancées ou pour leur propension à adopter une position équilibrée…
Aux États-Unis, il y a eu une évolution significative vers les identity politics. Ce nouveau discours transcende évidemment les clivages existant puisque c’est l’identité — raciale, culturelle ou de genre — qui détermine la position politique. Ce phénomène est exacerbé par des événements très médiatisés tels que la guerre israélo-palestinienne. Cela met en évidence un problème plus large dans la société américaine qui nécessite un retour à un sens collectif : les Américains doivent s’efforcer de renouer avec l’idée qu’ils font partie d’une grande nation, diverse, mais unie par des intérêts communs. De ce point de vue, la promotion de la diversité humaine et la création de conditions égales pour tous est une idée politique fondamentale qui peut trouver un fort écho aux États-Unis, mais aussi en Europe et dans le reste du monde. Je pense néanmoins qu’il ne faut pas exagérer l’impact des identity politics — ou a fortiori du conflit israélo-palestinien — sur les prochaines élections.
Après l’Ukraine, la guerre de Soukkot est le deuxième conflit qui détourne les États-Unis de son pivot Indo-Pacifique. Cela peut-il durer ?
Je pense que ce pivot ne sera pas remis en question sur le long terme, parce qu’il est déjà bien ancré. En réalité, la question n’est pas de savoir s’il pourra se maintenir, mais pourquoi il fallait la mener. Au départ, la « transition indo-pacifique » visait à créer un équilibre des pouvoirs entre les États-Unis, la Chine, les nations du Pacifique, l’Amérique du Sud et l’Asie du Sud-Est, ainsi que l’Australie et la Nouvelle-Zélande. Cette nouvelle alliance aurait ainsi rééquilibré les relations avec la Chine et favorisé la prospérité régionale.
De nombreux préjugés culturels ont entravé le développement de ce projet. L’initiative menée par Kurt Campbell, qui a été nommé secrétaire d’État adjoint, visait à créer des opportunités qui profiteraient à toutes les parties, y compris à la Chine — car la diversification l’aide en fin de compte plus qu’elle ne l’entrave — en encourageant une diversification bénéfique à toute la région. J’insiste sur ce point : même si la Chine n’avait pas été consultée au préalable, cette approche n’était pas anti-chinoise, mais plutôt axée sur la promotion de la diversification, une idée fructueuse d’un point de vue économique, politique et environnemental ».
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