La crise de l’eau au Proche-Orient. Potentiel de guerre ou facteur de paix ?

Raphaël Jerusalmy

Ancien officier du renseignement militaire israélien

Le Nil, en Égypte
AP/Amr Nabil 2017 ©Le Nil, en Égypte

Fin mai dernier, un affrontement sanglant a opposé troupes iraniennes et talibans à la frontière entre l’Iran et l’Afghanistan. La cause : une querelle de l’eau qui illustre à quel point la sécheresse qui sévit dans la région est un vecteur de conflit. Descendue des montagnes afghanes, la rivière Helmand déverse sa manne dans le lac Hamoun, dont les eaux irriguent les espaces agricoles du sud-est iranien. Du côté afghan, un barrage hydro-électrique régule l’écoulement de la rivière. Un accord datant de 1973 régit la répartition équitable des eaux de l’Helmand. Récemment, les Iraniens ont accusé les talibans de transgresser cet accord. Et le 27 mai, ils les ont pénalisés en déclenchant une escarmouche qui, bien que s’ensuivant de mort d’hommes, n’a pas donné lieu à une conflagration. Cette fois-ci, du moins. Cet incident est un alarmant rappel de la grave crise de l’eau dont souffre la région.

« L’indice de sécheresse a doublé en trente ans dans cette partie désertique du globe » 

En effet, sur les dix nations du monde menacées d’un dangereux manque d’eau, sept se trouvent au Moyen-Orient. A commencer par l’Egypte dont la centaine de millions d’habitants dépend d’un seul fleuve, le Nil. L’Egypte est suivie de près par le Bahreïn et les Emirats Arabes Unis qui, malgré leur opulence financière, peinent à gérer une consommation d’eau huit fois supérieure aux ressources naturelles dont ils disposent. Et pour cause, l’indice de sécheresse a doublé en trente ans dans cette partie désertique du globe. De nombreux experts considèrent que cette situation, si elle continue d’empirer, pourrait mener à des conflits dans les trois zones les plus critiques : le bassin du Tigre et de l’Euphrate, le bassin du Nil, la vallée du Jourdain. Cette dernière est sans doute la plus problématique puisque le Jourdain prend sa source en Syrie pour aller longer la frontière entre Israël et la Jordanie, abreuvant au passage, tant le lac de Galilée que la Cisjordanie. Or il s’avère que cette rivière, aussi étroite qu’un ruisseau par endroits, est et a été un facteur de paix.

Dès le début des années 90’, des rencontres secrètes au croisement des trois frontières, syrienne, israélienne, jordanienne, ont permis une répartition équitable et agréée des eaux du Jourdain. J’ai eu le privilège de participer à ces discrètes réunions durant lesquelles des experts mesuraient le flux de la rivière puis supervisaient le placement de sacs de pierraille destinés à réguler le taux d’écoulement de part et d’autre de la frontière. Durant ces rencontres, nous avons pu entamer le dialogue avec nos collègues jordaniens et discuter de thèmes sécuritaires. Ce furent là les premiers jalons d’un futur accord de paix.

« Israël fait figure de superpuissance de l’eau. En Israël, aujourd’hui, 86% des eaux évacuées sont recyclées »

Cette coopération en vue d’une distribution des ressources naturelles évite des guerres. Elle permet à Israël de tendre une main secourable au reste de la région. Et ce, pour la simple raison qu’Israël fait figure de superpuissance de l’eau. En Israël, aujourd’hui, 86% des eaux évacuées sont recyclées. L’entretien des canalisations y est à ce point avancé qu’il inclut un repérage de fuites par satellite. Et surtout, Israël possède une maîtrise inégalée du processus de désalinisation de l’eau de mer. Autant de techniques que les Israéliens sont disposés à partager et enseigner à toute nation qui le désire. A commencer par ses voisins.

La Jordanie, qui recevait d’Israël 55 millions de mètres cubes d’eau par an, de par une stipulation de l’accord de paix signé entre les deux pays en 1994, en reçoit aujourd’hui 105 millions pour l’aider à affronter la sécheresse qui la frappe. A cela s’ajoute un accord signé en 2015 pour la construction commune d’une station de pompage dans le golfe d’Aqaba. Quant aux palestiniens de Cisjordanie dont, en 1967, seulement 10% étaient connectés à une plomberie moderne, ils sont aujourd’hui 96% à avoir l’eau courante.

Couronnant cet effort exemplaire pour toute la région, l’organisation ECOPEACE perpétue cette dynamique par des initiatives auxquelles participe aussi l’Egypte. Il se pourrait donc que les théoriciens alarmistes d’une guerre de l’eau au Proche-Orient se voient démentis par l’advenue d’accords issus de la nécessité d’une coopération environnementale entre les pays concernés. Il se pourrait que l’eau, si vitale pour tous, soit le principal facteur d’une paix future.

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